Fini les administrateurs apathiques, qui ronronnent pendant les conseils d’administration ? En tout cas, ils sont clairement priés de sortir cette année de leur zone de confort. C’est le message délivré par les proxys lors de la conférence annuelle que vient de tenir l’Hebdo des AG, en prévision des assemblées générales 2019 des grandes sociétés cotées. Les proxys, sociétés de conseil de vote aux investisseurs, qui ne font que mettre en musique les desiderata de ces derniers, ont décidé de durcir le ton cette année.
Les institutionnels comme les petits porteurs sont de plus en plus attentifs à la gouvernance des sociétés cotées et en particulier à la réactivité des administrateurs ainsi qu’à la composition des organes de gouvernance. C’est ce qui ressort des débats du 24 janvier 2019 L’an dernier, les actionnaires minoritaires avaient manifesté leur mécontentement en votant plus nettement « contre » certaines résolutions, qui, de fait ont été désapprouvées par plus de 20 % des votants. Mais les conseils d’administration, ont peu réagi à ces signes d’insatisfaction, le dialogue n’est toujours pas au niveau souhaité par les investisseurs. Résultat : dans un climat boursier peu favorable à la clémence des actionnaires, leur mécontentement pourraient s’exprimer lors des renouvellements des membres des conseils visés.
Le dialogue avec les investisseurs avant les AG s’améliore mais les taux d’opposition aux résolutions restent élevés
« Cette année, au sein du SBF 120, 39 directeurs généraux sont en campagne, dont 19 PDG » a compté Bénédicte Hautefort qui dirige l’hebdo des AG. Elle a aussi noté qu’en 2018, les scores des renouvellements des administrateurs étaient déjà en baisse de 11 points. « Le déficit de communication est une autre occasion de susciter le développement d’attitudes activistes, qui se manifeste davantage en France, tout en restant relativement faible » a-t-elle remarqué.
Pour ISS, la société de conseil en vote américaine, le dialogue que les investisseurs peuvent avoir avant les AG s’améliore, mais les taux d’opposition aux résolutions, après la saison, restent relativement élevés. Il reste 20 % d’opposition sur les vote du Say on Pay ( rémunérations) du SBF 120, si on enlève les votes des actionnaires « majoritaires », estime le responsable de la recherche d’ISS, Cédric Lavérie. Les sociétés donnent l’impression de ne pas réagir et l’effet induit sera la sanction s’il n’y a pas d’explication.
Les membres de certains comités de rémunération particulièrement visés
Comme l’a expliqué Proxinvest, de son côté, un Say on Pay ( vote de rémunération) qui fait un score de moins de 80 % sans que le Conseil se donne la peine de réagir et de prendre des mesures pour corriger le tir, se soldera en 2019, par un vote contre le Président du comité des rémunérations ou contre les administrateurs de ce comité, a prévenu Jehanne Leroy qui encadre l’équipe de recherche. Au sein de l’Association Française de gestion (AFG), où, on est généralement moins sévère, on reconnait néanmoins qu’il est « frustrant d’envoyer un signal et de constater qu’il ne se passe rien ». Mais c’est peut-être le proxy Glass Lewis qui aura la position la plus sévère. Patrick Fiorani, senior analyst a prévenu : lorsque le mécontentement exprimé par les investisseurs sera resté lettre morte sans explication, Glass Lewis sera prêt à s’opposer au renouvellement de tous les membres du conseil si au bout de quelques années, il n’y a pas eu de changement. Ce qui se fait déjà dans d’autres pays.
Les proxys ne font évidemment que mettre en musique la demande de leurs clients-investisseurs. Une bonne gouvernance exercée par le conseil, pour le compte des investisseurs nécessite que s’engage un dialogue constructif avec le conseil et la Direction. Les actionnaires ne veulent plus d’administrateurs qui ne sont pas prêts à écouter les messages qu’ils veulent faire passer.
Pour ISS, la loi donne bien la possibilité de dialoguer entre le dépôt des résolutions et le vote en AG et laisse la possibilité de poser des questions écrites, mais cet exercice n’est pas toujours satisfaisant et les actionnaires n’obtiennent pas toujours les réponses qu’ils attendent. » Il y a des périodes où les investisseurs étaient moins attentifs à la gouvernance qu’aujourd’hui, on ne veut pas retourner à cela » indique Patrick Fiorani de Glass Lewis. » Tous les sujets de mécontentement doivent donc être analysés et de préférence avant l’AG ».
Une petite poignée d’administrateurs en risque, au final
Tout le monde semble d’accord pour que les administrateurs ne sous-estiment pas ce qu’on attend d’eux. Pour autant faut-il s’attendre cette année au débarquement en AG d’un grand nombre d’administrateurs ?
Tout dépendra des décisions qui sont prises par les comités de rémunération en 2019. Un certain nombre d’émetteurs sont sous surveillance après des scores de résolutions de say on pay des dirigeants peu reluisants, en 2018.
Minoritaires.com a dressé une liste des administrateurs dont le mandat se termine lors des AG 2019 après des contestations en AG 2018. Ils sont relativement peu nombreux mais certains scores pourraient faire les frais d’un manque d’empathie à l’égard des actionnaires, à moins qu’ils ne renoncent au renouvellement de leur mandat.
Teleperformance : le mandat du président du comité des rémunérations du conseil, Robert Paszczak, 67 ans, vient à échéance en 2019. Les conditions de départ du DG ont été critiquées en 2018, et mal votées.
Renault : les écarts de conduite de Carlos Ghosn mals gérés par l’administrateur référent Philippe Lagayette pourraient coûter sa place à ce dernier, en poste jusqu’à l’AG de juin 2019. Le mandat de Cherie Blair ( épouse de Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique), membre du comité Risk et Ethics du conseil, de Renault se termine également en 2019.
Publicis : l’opposition au Say on Pay des dirigeants et notamment du président Raymond Lévy a été forte en 2018. Véronique Morali, membre du comité des rémunérations de Publicis avec une échéance de mandat en 2019, pourrait en faire les frais si elle se représente.
Vinci : Mal votées également en 2018, les rémunérations de Xavier Huillard avec entre 43 et 45 % de votes contre alors que son fixe pour la période 2018-2022 est augmenté de 20%. Deux membres du comité des rémunérations voient leurs mandats d’administrateurs proposés au renouvellement en 2019. Il s’agit du président du comité Robert Castaigne (71 ans) et de Pascale Sourisse.
Dassault Systemes : Pour avoir fait preuve d’une générosité extravagante à l’égard de Bernard Charlès champion des rémunérations du SBF 120, plusieurs membres du comité des rémunérations de l’entreprise, en fin de mandat, sont sur la sellette. Il s’agit de Jean-Pierre Chahid Nouraï ( président du comité) et d’Arnoud de Mayer ( membre du comité). Le premier est âgé de 79 ans.
Carrefour : le départ de l’ex-PDG Georges Plassat et l’intention de lui verser une indemnité de non concurrence lors de sa retraite ont été corrigés après un vote contestataire en AG. Thierry Breton, président du comité de rémunération de Carrefour et Charles Edelstenne, qui en est membre, essuieront-ils néanmoins la désapprobation des actionnaires de Carrefour, seront-ils candidats à leur renouvellement en 2019 ?
Atos : le mandat d’administrateur de Thierry Breton vient à expiration en 2019. Le PDG cumule, lui, aussi les fonctions de DG et de Président et voit son mandat soumis au renouvellement. L’an dernier sa rémunération de 2017 a été « mal votée » avec une opposition de 41 %, en revanche celle de 2018 est mieux passée, les investisseurs ont probablement été entendus.