Qui a peur du grand méchant loup ? A peine le rachat du pôle Energie d’Alstom bouclé, le 2 novembre dernier, son prédateur américain, General Electric, dévoile sa vraie nature. Les actionnaires minoritaires d’Alstom réalisent aujourd’hui à quel point le tour de passe-passe réalisé sur leur dos sera surtout une excellente affaire pour le géant d’outre-Atlantique. Non seulement, GE trouve avec cette acquisition l’occasion d’utiliser sa cagnotte constituée dans les paradis fiscaux pour éluder les impôts dans son pays. Mais la mainmise sur la branche énergie, payée 9,7 milliards € selon GE, au lieu des 13 milliards € initiaux (y compris l’amende d’Alstom de 700 millions ) va rapporter entre 0,15 et 0,20 $ de bénéfice annuel par action supplémentaire au groupe américain d’ici 2018, soit entre 1,4 et 1,8 milliard € de bénéfices annuels.
Un lobbying intense pour amadouer le gouvernement
Le PDG de GE fait donc une belle affaire. Respectera-t-il en contrepartie ses engagements en matière d’emploi ? En 2014 et 2015, Jeff Immelt a multiplié les rencontres avec François Hollande et ses ministres, expliquant que s’il rachetait les activités énergie d’Alstom, ce serait pour préserver l’emploi en France. Il a promis de créer 1000 emplois dans les trois ans dans l’hexagone … et même 400 de plus depuis que la France s’est engagée en septembre à couvrir ses risques d’impayés à l’export à hauteur de 3,5 milliards €. Dans le rôle du petit chaperon rouge, le gouvernement a gentiment ouvert la porte au rachat de la branche énergie d’Alstom par le groupe américain, donnant notamment son feu vert au titre des investissements étrangers en France.
Match nul sur le terrain social: 1000 emplois à créer après 1000 emplois supprimés
Mais le masque tombe ! Pour respecter ses engagements de créer au moins 1000 postes en France, GE en aurait tout simplement supprimé un millier, depuis un an et demi, dans ses autres branches françaises. Moins 1000 plus 1000, ce serait au mieux un match nul pour l’emploi.
L’essentiel est d’éviter les licenciements avant les présidentielles de 2017. A noter tout de même que la pénalité prévue dans le cas contraire (50 000 € par emploi non créé, soit 50 millions s’il ne crée aucun des 1000 postes promis) n’est guère dissuasive pour la multinationale, comparée aux 3 milliards € de synergies attendues !
Trois sites fermés en Europe
Quoi qu’il en soit, les autres sites européens ne sont pas épargnés. Au lendemain du rachat, GE a annoncé aux syndicats la fermeture des sites de Mannheim en Allemagne, déjà au chômage partiel, de Barcelone (éolien), et de Birr en Suisse (gaz et hydroélectricité).
Au cours des derniers mois, le groupe américain avait laissé entendre que les patrons de la branche d’Alstom Energie trouveraient une place à leur mesure dans le groupe. De quoi rassurer les bataillons de cadres du siège inclus dans le périmètre racheté. Or, si Patrick Kron s’est arrangé pour que ses proches collaborateurs bénéficient de primes juteuses, il faut se rendre à l’évidence : GE ne leur a proposé que des strapontins. Henri Poupart-Lafarge ex-patron de la branche transport (et fils d’Olivier Poupart-Lafarge, longtemps gardien des intérêts financiers de la famille Bouygues) qui remplace Patrick Kron comme PDG d’Alstom après l’opération, est le seul à tirer son épingle du jeu.
Les membres du Comex d’Alstom dégagés ou déclassés
Le sort réservé aux autres « généraux » inquiète les bataillons de l’ex-Alstom Energie. Jérôme Pecresse reste en poste pour diriger la branche éolienne depuis Paris, mais c’est GE qui a choisi les collaborateurs directs du mari de Valérie Pécresse, probable prochaine Présidente du Conseil Régionale d’Ile-de-France. GE, champion international du lobbying, a toujours su se ménager des appuis politiques.
Bruno Guillemet et Jean-Jacques Morin, deux membres du Comex, respectivement DRH et directeur financier d’Alstom ont dû quitter le groupe. Le premier a pris la direction des ressources humaines de Valeo, tandis que le second a rejoint la direction financière d’Accor. Patrick Kron a-t-il tenté de reclasser son protégé Grégoire Poux-Guillaume, qui dirigeait Alstom Grid (la branche réseau) et faisait partie du trio de négociateurs avec GE ? Sans succès en tout cas. Le vent a tourné pour M. Poux-Guillaume, qui quitte le groupe, a-t-on appris en interne la semaine dernière. Quant à Keith Karr, le directeur juridique qui a également négocié l’accord avec le Département de la justice américaine, il a été épargné, en acceptant un poste de second rang au sein de GE. Enfin, Philippe Cochet, l’ex-patron de la branche hydraulique d’Alstom Energie, a dû renoncer à son poste. Il est parti chez GE aux Etats-Unis avec un titre fumeux de « conseiller du président pour la qualité et l’efficacité industrielle », peut-être dans l’attente d’un nouveau point de chute.
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