A peine l’AMF vient-elle de publier ses recommandations concernant la cession d’actifs significatifs, que celles-ci montrent déjà leurs limites. La cession de Bouygues Telecom à Altice pour 10 ou 11 milliards €, alors que la capitalisation boursière de la maison mère Bouygues n’est que de 11,3 milliards € ne font pas pour autant de cette vente, une « cession d’actifs significatifs » qui mérite un effort de surveillance particulier du gendarme. C’est une des bizarreries de la recommandation de l’AMF. Si l’opération va à son terme, elle passera au travers des mailles du filet. Les exigences de transparence prévues pour ce type de cessions dès lors qu’elles sont qualifiées de « significatives » ne s’appliqueront pas. Explication.
Un vrai couac
Le gendarme des marchés s’est prononcé sur le problème des cessions d’actifs dits significatifs qui s’est posé début 2014 avec la vente de SFR à Altice par sa maison mère Vivendi et la vente initiée l’an dernier, d’Alstom Energie à General Electric. Dans les deux cas, en l’absence d’informations exigibles, les actionnaires ont eu du mal à comprendre ce qui se passait en coulisse. Si bien, qu’au bout du compte, il leur était difficile de savoir si Vivendi avait eu raison de préférer Altice à Bouygues pour la vente de SFR, ou si Siemens et Mitsubishi avaient obtenu toutes les informations qu’ils souhaitaient pour déposer une offre concurrente à celle de General Electric sur Alstom Energie.
Ces opérations opaques, avaient inciter l’AMF à mettre en place un groupe de travail sur le sujet, puis à consulter sur les conclusions qui en découlaient, puis à publier la semaine dernière une recommandation sur le traitement réservé aux actionnaires lorsqu’intervient ce type de cession.
Des actifs pas assez significatifs…
L’opération de cession de Bouygues Telecom (BT) à Altice, par sa maison mère Bouygues devrait être la première à expérimenter cette nouvelle recommandation. En effet, si l’opération se réalise, le groupe Bouygues dont la valeur d’entreprise * atteint 14,6 milliards € va vendre Bouygues Telecom pour une somme supérieure à 10 milliards €. Qui peut contester qu’ il s’agit bien là d’un actif essentiel pour les actionnaires de Bouygues ?
Personne n’y songerait, sauf si l’on s’en tient au texte publié par le gendarme des marchés. Pourquoi ? Tout simplement parce que les critères retenus (voir notre article ici), ne permettent pas de la classer dans la catégorie « cession d’actifs significatifs ». L’opération Bouygues Telecom ne serait donc pas soumise à une obligation d’information spécifique et rien n’obligerait à ce qu’elle soit votée par l’assemblée générale des actionnaires de Bouygues.
Pour cela, il aurait fallu que deux années de suite, deux des cinq ratios suivants aient été supérieurs à 50 % . Voici le résultat pour chaque critère :
1/ le ratio chiffre d’affaires réalisé de BT/chiffre d’affaires consolidé du groupe Bouygues.
En 2014, le chiffre d’affaires de Bouygues Telecom atteignait seulement 13 % du chiffre d’affaires consolidé de Bouygues ( 4 432 M€/33 138 M€). Le ratio est du même ordre de grandeur pour 2013.
2/ la valeur nette de BT/total de bilan consolidé du groupe Bouygues
En 2014, l’actif net de Bouygues Telecom était de 2 815 M€ rapporté à un total de bilan groupe de 34 868 M€ soit un ratio de 8 %, bien en dessous des 50 % requis. Même ordre de grandeur pour 2013.
3/ le résultat courant avant impôts de BT/ résultat courant consolidé avant impôt du groupe Bouygues.
Il n’est pas supérieur à 50 % puisque le résultat courant de Bouygues Telecom est une perte pour 2014. A noter qu’en 2013, le ratio était d’environ 10 % donc bien en dessous de 50 % également.
4/ les effectifs salariés de BT/ effectifs mondiaux du groupe Bouygues
Bouygues Telecom affichait fin 2014 un effectif de 8 817 salariés contre plus de 127 000 pour le groupe Bouygues. Le ratio est donc de 7 % et n’a guère changé depuis 2013.
5/ le prix de cession de BT/ capitalisation boursière du groupe.
Le prix de cession pourrait être au minimum de 10 milliards € comparé à une capitalisation boursière de 11,3 milliards €, soit un ratio de 88 %.
Seul ce dernier ratio est donc supérieur à 50 %. Mais il n’est pas suffisant pour que la recommandation sur « les cessions d’actifs significatifs » s’applique.
Ces chiffres se passent de commentaires. Que l’opération de vente de Bouygues Telecom aille ou non à son terme, la mise à l’épreuve de la recommandation du gendarme, mériterait peut-être qu’on s’interroge sur les indicateurs retenus.
* valeur d’entreprise de Bouygues = capitalisation boursière de 11,4 milliards € + dette net de 3,2 milliards € La valeur d’entreprise est le prix réel qu’un repreneur devrait payer s’il reprenait le groupe ( y compris ses dettes)
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