COP21 : « Préserver le climat, c’est discuter de la meilleure manière de faire décroître le PIB en douceur »

Jean-Marc Jancovici polytechnicien, marie la réflexion économique et scientifique avec une vision écolo, non-complaisante du secteur énergétique et du développement durable. C’est un fervent partisan du nucléaire, il pense qu’il faut appliquer un critère de gestion simple : se débarrasser de l’énergie fossile en minimisant le capital investi. Il croit avant tout à l’efficacité de la réglementation. Une vision rafraichissante à l’heure de la Cop21 où il n’est plus question que d’instaurer des taxes ou de créer un gigantesque marché financier des « permis de polluer ».

Nous reprenons ici, avec l’aimable autorisation de la journaliste, des extraits de l’interview de Jean-Marc Jancovici réalisé à la veille de la COP21 par Irène Inchauspé et paru dans le quotidien l’Opinion.

Irène Inchauspé : Comment peut-on juger le résultat d’une conférence climatique comme la COP21 ?

Jean-Marc Jancovici : Ces conférences climatiques sont utiles pour mettre le monde en pression. Rappelons à ce sujet que l’objectif de la limitation à 2 degrés du réchauffement climatique date de Copenhague, qui n’a pas du tout été un échec. Pour le reste, les moyens d’atteindre cet objectif sont ailleurs qu’aux Nations Unies.

Si le comité de Bâle décide que lorsqu’une banque prête dans une activité bonne pour la décarbonation, elle peut avoir un ratio de fonds propres un peu plus bas, ou si l’OMC dit qu’il est loisible d’instaurer des droits de douane au prorata de l’intensité carbone du pays qui a exporté, cela aura un véritable effet sur l’économie.  S’il est décidé qu’en Europe, à partir de 2020, il est interdit de vendre des voitures qui consomment plus de deux litres aux cent kilomètres, aussi. C’est ce genre de mesures qui compte vraiment.

Quels arguments pouvez-vous opposer aux climatosceptiques, vous qui ne l’êtes pas ?

J-MJ : Aucun de nature scientifique, car leur vraie motivation est ailleurs. On peut grosso modo les classer en cinq catégories. Il y a d’abord des scientifiques reconnus dans leur spécialité, mais dotés d’un ego surdimensionné et qui deviennent vexés comme des poux si leur domaine n’est pas au centre du grand débat climatique. C’est le cas de Claude Allègre – et plus largement de nombre de géologues – par exemple. Ensuite, vous avez des scientifiques peu reconnus dans leur domaine, mais qui ont aussi un problème d’ego, et ont compris qu’en s’affichant comme climatosceptique ils arriveraient à faire parler d’eux. Puis on trouve des libéraux : ils savent bien que si on accepte la vérité scientifique sur le changement climatique,  cela créera des contraintes dans un certain nombre de domaines économiques, et ils ont horreur de ça ! Viennent après des dirigeants retraités ayant sincèrement cru n’apporter que du progrès leur vie durant. Qu’il faille en fait balayer un peu derrière eux les perturbe beaucoup. Enfin il y a les religieux fondamentalistes pour qui la marche du monde, c’est l’œuvre de Dieu, et l’action de l’homme ne peut rien y changer (mais cette catégorie est peu présente en Europe).

Pouvons-nous compter encore longtemps sur les énergies fossiles ? En Europe, il y en a déjà de moins en moins !

J-MJ : Dans le monde, le maximum des découvertes annuelles de pétrole s’est fait au début des années 1960, et désormais pour un baril découvert on en consomme deux. La recherche de gisements de pétrole c’est comme la chasse aux œufs de Pâques, on découvre d’abord les plus gros et les moins bien cachés, ensuite les plus petits et/ou mieux dissimulés. Nous continuons donc à découvrir du pétrole, mais les gisements sont soit plus petits, soit très difficiles à exploiter, comme l’offshore brésilien, ou Kashagan, dans la Caspienne. Quant au pétrole de schiste, il ne sera pas suffisant pour compenser le déclin géologique du reste. Et rappelons qu’il faut cinquante à 100 millions d’années pour que la terre fabrique du pétrole !

Cette baisse des énergies fossiles va-t-elle limiter les possibilités de croissance ?

J-MJ : Dans l’OCDE, la décroissance énergétique est là depuis 2006, et elle est assez inéluctable. L’Europe a notamment perdu 18 % de son pétrole (sans le vouloir) depuis cette date. Du coup, depuis 2007, la production industrielle est en baisse dans la zone, et même dans quasiment chaque pays pris un par un. La crise financière de 2008 en a découlé : aux États-Unis le PIB par personne a commencé à décélérer en 2005, année où la production mondiale de vrai pétrole s’est arrêté de croître. Les prix de l’immobilier se sont retournés en septembre 2006, et le reste a suivi. Faute d’énergie, le quantitative easing des banques centrales ne fait pas repartir la croissance. Et si celle-ci est homogène, la décroissance ne l’est pas. Les plus agiles sauvent ou améliorent leur place, tandis que les autres se cassent la figure beaucoup plus rapidement.

Alors pourquoi le monde politique parle-t-il sans cesse du retour de la croissance ?

J-MJ : Les politiques raisonnent par induction. Ils pensent que ce qui a marché hier marchera demain, mais le contexte physique d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’il y a cinquante ans. Prospèrent donc sur l’incurie du débat politique les promesses de miracle dont l’histoire a montré qu’elles conduisent en général à l’enfer. Quant au développement de la production immatérielle, il ne pourra pas compenser la baisse de la production industrielle, car cela ne marche que pour les CSP++. Le Big Data par exemple ne va pas remplacer un logement ou une chemise. C’est du « Nice to have » en plus du reste, qui concerne surtout ceux qui ont déjà assez sur le plan matériel.

Les énergies renouvelables ne peuvent-elles compenser la fin des énergies fossiles ?

J-MJ : Pas sûr… En Allemagne, environ 350 milliards d’euros ont été investis pour remplacer des réacteurs qui en valent 15 en valeur amortie. Ensuite, l’Allemagne a créé des afflux fatals massifs d’électricité solaire ou éolienne que les autres pays sont obligés de gérer à leurs frais. Tout cela en conservant la pollution du charbon !

De façon plus générale, le soleil, le vent, et l’eau ont été utilisés pendant des millénaires. Si on les a remplacées par les énergies fossiles, c’est que celles-ci fournissent de l’énergie concentrée avec beaucoup moins de travail humain, et donc pour beaucoup moins cher. 1 kWh de pétrole saoudien coûte 0,3 centime en sortie de puits, alors qu’un kWh extrait du vent c’est 6 à 7 centimes. Si en plus vous ajoutez un stockage à large échelle, vous multipliez à nouveau le coût par 2 ou 3. Dire que, en France, on va arriver à faire quasiment la même quantité d’électricité qu’aujourd’hui en 100 % renouvelable et pour pas plus cher, c’est raconter des salades

Vous êtes pessimiste pour notre futur ?

J-MJ : Il faut être réaliste. Marcel Boiteux le disait déjà : préserver le climat revient ni plus ni moins à discuter de la meilleure manière de faire décroître le PIB en douceur. La production industrielle était notre amie tant que nous pouvions avoir plus sans que l’environnement nous donne moins par ailleurs. Il va donc falloir considérer comme désirables des évolutions qui sont tout l’inverse de ce que nous avons souhaité pendant des générations et des générations. Pour les secteurs du logement (il faut isoler et passer aux pompes à chaleur) et du transport (rouler moins vite et pour plus cher) on voit bien quoi faire. Ce sera globalement plus difficile pour l’industrie. Il va falloir apprendre à payer plus cher les objets, à en avoir moins, et ne plus s’attendre à ce qu’ils soient remplacés la semaine d’après par des objets plus performants. Mais s’il s’agit de préserver un monde en paix, et une liberté relative, je vous assure que le jeu en vaut la chandelle !

Jean-Marc Jancovici  est l’auteur de « Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie » chez Odile Jacob, il anime  The Shift Project destiné à accélérer la transition énergétique et a collaboré à l’élaboration du Pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot.

© photo John Englart via Flickr

A lire ou à écouter également,

L’audition de Jean-Marc Janovici, le 6 février 2013 devant la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.

L’homme et l’énergie, des amants terribles – J-M. Jancovici – Septembre 2015

Retrouvez  l’interview in extenso sur L’Opinion.fr