Rémunérations patronales : que réserve la loi ?


Difficile de s’y retrouver dans le foisonnement de propositions visant à brider les rémunérations patronales. On retiendra d’abord que le sujet est extrêmement sensible chez les parlementaires de tous bords ( exceptés peut-être l’UDI qui défend l’autorégulation patronale).  Les députés, quant à eux,  reconnaissent dans leur ensemble, que la main mise de la haute administration et des grands patrons sur les conseils d’administration soulève un problème de gouvernance et que le creusement des inégalités que mettent en exergue les rémunérations patronales excessives pose un grave problème de société.

Le 6 juin prochain, lors de l’examen du projet de loi sur la transparence, « l’amendement Ghosn » présenté par le député Denaja, adopté par la commission des lois, devrait être voté. Il vise à rendre exécutoire le say on pay. La proposition de loi de Gaby Charroux ( député gauche démocrate et républicaine) visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises est loin quant à elle d’être arrivée à son terme. Elle a été discutée le 26 mai dernier. Certains amendements dont les médias ont peu parlé pourraient, si elle était adoptée rogner sérieusement les avantages des actions gratuites et des stock-options accordées aux dirigeants.

L’amendement sur le say on pay exécutoire, dans la loi Sapin II

La commission des Affaires sociales a adopté un amendement à la Loi sur la transparence ( qui traite essentiellement de corruption). Il vise à rendre contraignantes les décisions des assemblées générales sur la rémunération des dirigeants. Il s’agit de « donner force exécutoire » aux votes des assemblées générales concernant les « éléments de rémunération d’activité » et « avantages de toute nature liés à l’activité » des dirigeants. Pour l’instant on en sait guère plus. Espérons que les détails qui viendront le 6 juin prochain ne seront pas décevants.

La question va, en effet se poser de savoir sur quelle rémunération faire voter en l’assemblée  générale pour que l’intervention des actionnaires soit efficace.

L’exemple de la Suisse qui a adopté le vote contraignant du say on pay en 2014, montre avec le recul qu’un vote de l’AG (par exemple) en 2017, a posteriori, portant sur une rémunération de 2016, pose problème car il n’est pas facile de revenir sur une rémunération acquise un an plus tôt. En outre les dirigeants peuvent menacer de quitter leur poste. A contrario voter en 2017, à priori,  sur le principe d’une rémunération à verser fin 2017, ne sera pas satisfaisant non plus, pour les actionnaires cette fois. Comment en effet, se déterminer sur une part variable dont on ne sait pas si en fin d’année, elle sera en adéquation avec les performances de l’entreprise cette année là ?

A noter qu’en Suisse, certaines entreprises ont adopté un principe qui permet de contourner ces problèmes et dont le législateur français ferait bien de s’inspirer pour rédiger son texte. Si on se place dans l’hypothèse d’une AG qui se tient en 2017, elles font voter cette annee là, d’une part la rémunération fixe de l’année 2017 et demande d’autre part un vote sur la part variable de l’année 2016, ce qui permet de vérifier que la part variable de la rémunération est bien en adéquation avec les performances de 2016 présentées aux actionnaires. Ainsi, toutes les rémunérations  variables sont-elles votées l’année où elles sont censées être  versées.

L’amendement sur le plafonnement présenté par Karine Berger

Si l’amendement Ghosn précédent est déjà acté, il sera plus difficile de mettre en place un véritable plafonnement des rémunérations qui serait la seule mesure efficace. Le gouvernement n’est pas favorable à un amendement proposé dans le projet de loi sur la transparence (à l’article 45) présenté par la députée Karine Berger qui plaide  pour un encadrement des rémunérations variables des patrons. Il  propose, pour les dirigeants des entreprises cotées uniquement, d’insérer dans la loi le plafonnement la part variable de la rémunération au niveau de la part fixe. Les entreprises qui voudraient déroger à la règle devraient obtenir  un vote favorable de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires ce qui nécessiterait une majorité des deux tiers parfois difficile à atteindre . Le risque d’inconstitutionnalité  invoqué pour d’autres types de plafonnement ne semble pas élevé  car c’est un principe qui existe déjà pour les équipes de traders dans la loi bancaire.

La proposition de Gaby Charroux : une loi fantôme

Cette proposition de loi sur l’encadrement des rémunérations a été débattue en séance publique en présence  du ministre des Finances Michel Sapin, le 26 mai. Si certains éléments se retrouveront a minima dans la loi transparence évoquée ci-dessus, le texte n’ira jamais, il faut  le craindre au delà de la discussion. La proposition de loi proposait initialement trois articles.

L’article 1 prévoyait de ramener l’écart des rémunérations de 1 à 20 dans une même entreprise. Après des débats qui consistaient à savoir s’il fallait plutôt retenir le rapport de 1 à 50 ou de 1 à 100, cet article a été rejeté, au motif qu’il y avait un risque d’inconstitutionalité.

L’article 2 présenté par Alain Bocquet , visait à réduire l’entre-soi des conseils d’administration, en portant le nombre de mandats maximum d’un administrateur de de 5 à 2. Les principales modifications ont porté sur l’exclusion des ETI. Cet article a finalement été adopté.

L’article 3 prévoyait comme l’amendement Denaja, inséré dans la Loi sur la transparence, de rendre contraignant les votes des assemblées générales sur la rémunération des dirigeants. Il a également été adopté et repris via un amendement sur la loi transparence comme indiqué plus haut.

Toute une liste d’amendement sont venu compléter ces articles, principalement présentés par le député Gérard Sebaoun ( parti socialiste) ainsi que Patrice Carvalho ( gauche démocrate et républicaine).

La  suppression des jetons de présence pour les mandataires sociaux, a été rejetée car c’est une décision qui relève du conseil. En revanche, plusieurs dispositions ont été introduites dans le texte et adoptée par la commission des affaires sociales. Toutes ne sont pas cependant acceptées par le gouvernement.

Les amendements au projet adoptés en séance publique

Voici la liste des amendements adoptés le 26 mai :

  • Création d’un comité de rémunération au sein des conseils, à l’instar de ce qui a été fait pour les comités d’audit par l’ordonnance n° 2008-1278 du 8 décembre 2008, afin de donner un statut légal aux comités des rémunérations pour toutes les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé remplissant des seuils de chiffre d’affaires hors taxe, d’effectifs et de bilan comptable, définis par décret en Conseil d’État.
  • Annulation de l’article 34 de la loi Macron de février 2015 ( qui avait fait l’objet d’un 49.3) qui concerne les actions gratuites dites aussi « actions de performance », dont les entreprises ont abusé (Gérard Sebaoun). Le texte qui a fait l’objet d’un 49-3 à l’époque, prévoit une réduction de charges patronales et salariales sur l’attribution des actions de performance et fait bénéficier leur détenteur d’un abattement pour durée de détention qui réduit significativement, l’impôt sur le revenu résultant de la taxation de la plus-value de cession.
  • Garantie aux salariés d’obtenir au moins 1/3 des sièges dans les conseils d’administration (Patrice Carvalho)
  • Garantie de présence d’au moins deux représentants des actionnaires salariés au sein des conseils d’administration ( Patrice Carvalho).
  • Suppression de la décote de 20 % sur le prix d’attribution des stock-options aux dirigeants et mandataires sociaux ( Gérard Sebaoun)
  • Lissage du prix d’attribution des stock-options sur une plus longue période
  • Interdiction de distribuer des stock-options ou des actions gratuites aux dirigeants dès lors que leur entreprise bénéficie d’aides publiques, recapitalisation ou aides agrées par la Commission Européenne, et cela pendant les deux années qui suivent le soutien de l’Etat ( Gérard Sebaoun reprenant une proposition de loi de 2009 de Pierre-Alain Muet)