Voie de dérobade devant la justice pénale, comme l’affirme Anticor, ou garantie que la sanction sera effective, comme le soutient Transparency France ? La transaction pénale, qui permet d’échapper au procès, constituait une mesure phare de l’avant projet de loi Sapin II, dite loi anti-corruption. Cette faculté a été abandonnée, pour l’instant…
Dans le cadre de la transaction pénale, ou « Convention de compensation d’intérêt public », les entreprises en infraction auraient pu choisir de verser une compensation à l’État (jusqu’à 30 % de leur chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années) et de se soumettre au contrôle de l’agence. En contrepartie : l’extinction de l’action publique, pas de reconnaissance de culpabilité, pas d’inscription au bulletin n° 1 du casier judiciaire, pas d’exclusion de marchés publics. Toutefois, chaque convention aurait été publiée sur le site du nouveau service de prévention de la corruption.
Le projet de loi sera examiné en juin via la procédure accélérée (un seul examen par chacune des deux chambres). A cette occasion, la transaction pénale pourrait réapparaître à la faveur d’un amendement et sur le seul délit de trafic d’influence d’un agent public étranger. En effet, le Conseil d’État refuse l’idée d’une transaction pénale dans tous les autres cas.
Les arguments des spécialistes
Nous avons interrogé deux spécialistes qui ne partagent pas le même avis sur la question.
Le magistrat Eric Alt, président de Sherpa et vice-président d’Anticor n’est pas favorable à la transaction pénale en matière de corruption :
« Les entreprises auxquelles serait donnée la possibilité de recourir à la transaction pénale sont des entreprises qui, moyennant finances, achèteraient l’immunité pénale. On ne peut pas prévoir une loi qui renforce la lutte contre la corruption et qui, en même temps, ne permette pas de sanctionner de façon pertinente. Ce serait une contradiction intrinsèque. Je crains, hélas, que cette disposition ne revienne sur le devant de la scène pour des faits de corruption et de trafic d’influence en direction d’agents publics étrangers »
André Jacquemet, fondateur de BPA, conseil en organisation, spécialiste de la compliance et « subject matter expert » reconnu par l’OCDE en matière de lutte contre la corruption est favorable au principe d’une transaction pénale :
« Je pense que la possibilité de recourir à la transaction pénale va dans le sens d’un temps judiciaire plus proche de celui du temps de l’entreprise. Aux États-Unis, un accord est possible avant les poursuites, et un autre pendant la poursuite. Pour que le dispositif fonctionne bien, il faut que les entreprises aient envie de déceler les irrégularités. Il faudra trouver un point d’équilibre pour que l’auto-déclaration avant toute procédure ne soit pas trop lourde. Ensuite, en cas de poursuites déjà engagées, il faudrait trouver un moyen pour inciter les entreprises à se déclarer coupables. Une réduction de la peine par deux n’est pas suffisante. Espérons que la transaction pénale sera réintroduite dans le texte mais à condition qu’elle soit accompagnée d’une mesure de publicité automatique. »
La transaction pénale présente-t-elle un intérêt pour les actionnaires ?
Transaction ou pas, il ne fait pas bon être actionnaire d’une entreprise soupçonnée de corruption, de trafic d’influence ou de toute autre infraction pénale. Ceux qui ont placé une partie de leur épargne en actions BNP Paribas, Alstom et plus récemment Société Générale en ont fait l’amère expérience.
Pour les actionnaires d’une société cotée, la transaction pénale peut effectivement présenter quelques avantages : elle évite des procédures qui traînent en longueur et peuvent ternir l’image de l’émetteur. L’absence de reconnaissance de culpabilité permet aussi aux dirigeants de sortir indemne d’une affaire peu glorieuse. Mais, a contrario, faute de procès, il subsiste toujours un doute : la direction accepte-t-elle une transaction pour s’éviter une action au pénal contre sa personne quitte à faire payer les actionnaires ? Un procès gagné vaudra donc toujours mieux qu’une transaction.
Le problème de l’information et des provisions sur les litiges reste à traiter
Toutefois, une transaction peut aussi permettre de mettre, assez vite, un prix sur la faute dont la société est accusée et de provisionner, afin qu’elle n’obère pas les profits futurs. Encore faudrait-il que des règles soient fixées et respectées, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Qu’il s’agisse de faits de corruption ou de tricherie ordinaire, alors que les avocats savent souvent très bien évaluer les risques liés aux litiges, transaction ou pas, on observe une fantaisie, voire un opportunisme coupables de la part des grandes entreprises et des banques. L’information financière sur les litiges est de mauvaise qualité avec des arguments peu convaincants pour justifier l’absence de clarté. Peut-on imaginer, en outre, que continuent à co-exister des équipes dirigeantes au fait de ce qu’encourt la société et des actionnaires qui l’ignorent, avec les risques de délits d’initiés que cela comporte ? A partir de quel moment provisionner et quelles sommes inscrire dans les provisions ?
Dans la cadre du soupçon de viol d’embargo américain, au quatrième trimestre 2013, BNP Paribas affichait une provision de seulement 798 millions € pour couvrir l’amende et les pénalités de l’OFAC. Six mois plus tard c’était la douche froide pour les actionnaires : cette affaire aura finalement coûté la bagatelle de 6,5 milliards €, sans compter les frais d’avocats. Si la transaction pénale revient sur le devant de la scène, espérons que les conditions d’information des actionnaires ne seront pas laissées de côté par le gendarme des marchés !