Les salariés des très grandes entreprises cotées sont généralement choqués lorsqu’ils apprennent par la Presse, combien gagne leur patron. Quant aux actionnaires qui votent les say on pay en assemblée générale, ils n’ont pas toujours conscience que derrière les chiffres, se cachent des sommes indécentes et des inégalités grandissantes dans l’entreprise. Ce phénomène de sur-rémunération qui tient du « Toujours plus » cher à François de Closet (1) a souvent peu de rapport avec la performance des dirigeants de ces grands paquebots dont la taille est le principal atout. Et les rémunérations indécentes de ceux qui gagnent en un seul jour autant que certains salariés en une année, sont particulièrement mal acceptées par les jeunes générations de cadres qui cherchent un sens à leur travail et sont rarement adeptes de la culture de la « carotte ».
Or, aujourd’hui, il n’y a guère que les actionnaires qui peuvent mettre un terme aux inégalités qui sévissent à l’intérieur de l’entreprise et détériorent le climat interne. Car si les plus états-major des grands groupes savent tirer profit de l’envolée des rémunérations patronales (+20 % en 2015 pour le SBF120), le salaire de l’employé moyen a du mal à décoller. D’après les derniers chiffres de l’Insee, son revenu plafonnait à 2225 € net mensuel en 2014 ( derniers chiffres disponibles pour le secteur privé), en hausse de 0,5 % en 2014 en euro constant après – 0,3 % en 2013 et – 0,4 % en 2012.
Grâce à la Loi Sapin 2, les actionnaires qu’ils soient grands ou petits vont donc pouvoir choisir cette année, de dire « stop » aux rémunérations extravagantes à l’occasion des assemblées générales des grandes entreprises cotées. Puisque le Haut comité de gouvernement d’entreprise du Medef n’a pas réussi à imposer la modération patronale via l’auto-discipline, la balle est maintenant chez ceux qui contrôlent le capital des entreprises.
Nous expliquons ci-dessous très concrètement pourquoi il est urgent d’arrêter les dérapages et comment s’y prendre pour s’opposer en assemblée générale aux pactoles excessifs de beaucoup de dirigeants « hors-sol ».
Retrouvez ici les chiffres de l’Insee : les salaires dans l’entreprise
Le constat : les patrons du SBF120 gagnent plus de 10 000 €/ jour soit 3,5 millions €/an – Ceux du CAC40 gagnent plus de 5 millions €/an en moyenne
Selon les statistiques fournies par le cabinet de conseil en vote aux investisseurs Proxinvest, les rémunérations des dirigeants des 120 plus grosses entreprises cotées à Paris ( SBF 120), ont grimpé de 20% en 2015 ( et les rémunérations de 2016 sont plutôt en hausse). Un patron du SBF 120 a gagné en moyenne 10 000 € par jour ouvrable ( samedi -dimanche et congés compris) en 2015 soit 3,5 millions € en moyenne.
« Parce qu’il le vaut bien », un dirigeant du CAC40 se place généralement un cran au dessus. Sa rémunération moyenne se situe autour de 14 000 €/jour (*) et il coûte évidemment bien plus cher à l’entreprise si on ajoute les charges patronales. Or, cette rémunération varie finalement peu, que les projets de la direction soient ou non couronnés de succès car le calcul des bonus n’est pas assez lié à la performance, c’est le principal reproche que font d’ailleurs les grands investisseurs institutionnels qui sont de moins en moins indifférents aux inégalités qui se creusent dans l’entreprise.
Retrouvez ici les chiffres de Proxinvest : Publication de proxinvest sur la rémunération des dirigeants en 2015
Ces rémunérations exorbitantes s’appuient sur de fausses justifications
Les super-rémunérés cherchent souvent à se justifier en invoquant les risques personnels qu’ils prennent et la précarité de leurs fonctions. L’argument ne tient pas. Certains prennent effectivement des risques en sortant du cadre de la légalité. Insoutenable pour les actionnaires, puisque c’est eux qui assumeront seuls le risque de pénalités parfois colossales. D’autres prennent des risques mais ne les assument pas toujours. Ils se protègent en délégant leurs pouvoirs à des cadres de niveau N-1 qui font solidement payer leur rôle de fusible sans que l’actionnaire soit au courant de cette pratique de la patate chaude. D’autres, se font offrir par l’entreprise une assurance « chômage ». Il faut savoir que l’assurance perte d’emploi du dirigeant (GSC) lorsqu’elle est souscrite, est payée par l’entreprise à un coût exorbitant égal à environ 10 % de la rémunération pour une durée de 24 mois.
L’argument du risque est aussi vite balayé par les généreuses primes de départ et les retraites chapeau que le dirigeant peut toucher quoiqu’il arrive s’il se contente de suspendre son contrat de travail au lieu d’y renoncer comme le recommande le code Afep-Medef. S’ils sont débarqués, ils retrouveront ainsi leurs indemnités de départ liées au contrat de travail. Et une fois en retraite, ils toucheront annuellement un pourcentage très important de leur meilleure rémunération quelque soient leurs performances.
Seul le paiement maintenant généralisé – grâce notamment à la loi Macron -, de super bonus en actions, lie véritablement le sort du dirigeant à celui de l’actionnaire. Mais ce type de distribution qui doit s’étendre à tous le personnel, exige un effort de l’actionnaire qui se trouve dilué, sans s’en rendre compte de quelque 0,5 % par an en moyenne. Sans compter, que la plupart du temps, ce qu’on appelle les actions de performance viennent purement et simplement s’ajouter à la panoplie de rémunérations variables déjà bien étoffée.
Une autre idée s’avère très répandue pour justifier les cachets démesurés : « Les bons dirigeants sont très rares et donc chers. C’est le marché qui fixe le prix » entend-t-on souvent. S’il n’est pas donné à tout le monde d’avoir les capacités pour diriger une entreprise du CAC 40, le talent des patrons n’est rien et ils le savent, sans un environnement porteur. En France, on requiert du dirigeant un réseau de contacts exceptionnels notamment à Bercy et dans les milieux politiques, les conseils d’administration. Or, dans ce domaine, la rareté des dirigeants s’organise d’elle même. Les élites françaises se cooptent dans un cercle très fermé réservé à quelques énarques, polytechniciens ou ingénieurs des mines. Ce sont par conséquent les mêmes personnes que l’on retrouve successivement dans les conseils d’administration, les cabinets ministériels ou les grandes administrations puis à la tête des grands groupes. Et avec le temps, l’avantage excessif de « l’effet réseau » pourtant dénoncé, a même tendance à se renforcer.
Ainsi, découle-t-il de cet entre-soi bien installé, une sorte de numerus clausus des grands patrons qui a toujours étonné les observateurs étrangers. Et comme chacun sait : éliminer la concurrence permet de faire monter les prix.
Et si la promotion interne et les plans de succession commencent à limiter les parachutages à la tête des grandes entreprises, le promu au poste de dirigeant mandataire social, fait généralement parti du sérail. Il est alors très vite incité à rejoindre ses pairs en matière de niveau de revenu et se voit équipé d’une vraie panoplie : fixe, bonus annuel, variable à long terme et/ou différé , et/ou pluri-annuelle, actions gratuites dites de performance, avantages en nature, jetons de présence, retraites chapeau à cotisations définies et/ou à prestations définies….Et si par hasard, il était tenté de refuser, ce serait un mauvais point pour lui.
Voir l’article de Proxinvest : En mars 2017, les 4,3 millions € de rémunérations de Philippe Salle (Elior) sont rejetés par 63 % des actionnaires en AG
Pourquoi il faut s’opposer aux rémunérations indécentes qui creusent les inégalités et décrédibilisent les patrons
Selon la théorie de l’agence, on s’attend à observer une relation positive entre la performance de l’entreprise et le niveau de la rémunération du dirigeant. Or, ce raisonnement a trouvé ses limites dans les organisations complexes. Les études des experts sont de plus en plus partagées à ce sujet. Le lien direct, entre rémunérations élevées et valorisation de l’action s’établit surtout lorsque la conjoncture est favorable et que la Bourse est sur un trend haussier. Sans compter que les bonus sont trop souvent déconnectés de la performance, car en matière de rémunération variable, on trouve tout et n’importe quoi.
Et on finira peut-être un jour par constater scientifiquement ce qui relève du simple bon sens : que rémunérer les dirigeants à des niveaux stratosphériques, encourage les stratégies de court terme ( 3 ans au plus) au détriment de l’horizon de long terme dans lequel s’inscrit l’actionnaire fidèle et le gestionnaire des retraites. Il deviendra alors évident que les patrons encouragés financièrement à se lancer dans des opérations financières titanesques avec un haut risque d’exécution ou à céder tout bonnement leur entreprise ou des pans entiers d’activité, ont à gérer des conflits d’intérêt personnels qui les amènent à perdre de vue l’intérêt de l’actionnaire qui l’a fait nommer. C’est en tout cas la leçon retenue par les ex-actionnaires d’Alcatel Lucent, de Lafarge et d’Alstom.
Voir l’article sur deontofi.com : Une étude de deux professeurs canadiens qui montre que les pactoles abusifs des dirigeants sont injustifiables
Un effet d’aubaine qui mériterait d’être pointé du doigt pour les états-majors des grands groupes et les cabinets conseil en rémunérations
« On observe dans beaucoup de grandes sociétés, un glissement des rémunérations, qui s’étend à tout l’état-major » fait remarquer un membre du comité d’entreprise d’une société du CAC40. La tendance ne fait pas grand bruit car si la rémunération des dirigeants mandataires sociaux doit être divulguée dans les documents de référence et votée en AG, celle des n-1 et n-2 des grandes sociétés cotées reste pour l’instant occultée. Pourtant, DRH, Directeurs financiers notamment déploieraient, beaucoup de zèle pour que leur patron soit bien payé, escomptant un effet rebond sur leur propre salaire et leur bonus.
Quant aux cabinets de conseil en rémunération, ils rivalisent eux-aussi d’imagination pour aider à faire passer en assemblée générale, les montants de rémunération et les avantages extravagants des patrons exécutifs, auprès des investisseurs et des actionnaires individuels. Ils puisent volontiers dans un catalogue d’astuces destinées à contourner le code Afep-Medef pour justifier des rémunérations variables, retraites chapeau et autres indemnités de départ trop souvent déraisonnables.
Enfin, mieux vaut ne pas s’en remettre aux comités de rémunération et de nomination, au sein des conseils d’administration, pour arrêter l’envolée. Ces comités qui devraient tempérer les ardeurs des cabinets de conseil en rémunération, sont souvent les premiers à faire appel à leurs services. Soit les membres des comités n’ont pas suffisamment de poids pour expliquer aux dirigeants qu’ils sont trop payés, soit ils font partie du sérail et trouvent normaux ces cachets hors normes, soit ils y trouvent personnellement un intérêt.
Et c’est donc ainsi que d’année après année, grâce à la fameuse « échelle de perroquet » les rémunérations extravagantes ne cessent de progresser. En année N, toutes les rémunérations des dirigeants qui se situent en dessous de la médiane du SBF 120 ou du CAC 40 sont réévaluées, du coup en année N+1, la médiane remonte elle aussi et c’est reparti pour un tour. On rehausse de nouveau la rémunération cible des dirigeants en dessous de la médiane ce qui fait remonter de nouveau la médiane et ainsi de suite, le même exercice peut se répéter sans fin au moins pour la partie Fixe+ variable cible. Quant aux patrons les mieux payés qui se trouvent en tête de liste, ils ont souvent à coeur d’y rester.
Lire l’article : Renault, gros salaire entre amis
Seuls les actionnaires individuels et les investisseurs institutionnels peuvent freiner les excès des dirigeants des grandes sociétés cotées
Avec la loi Sapin 2 votée à l’initiative des députés frondeurs du PS et des partis de gauche, qui s’applique depuis décembre 2016, seul un vote négatif des actionnaires peut calmer à présente le jeu. On ne reviendra certainement pas en arrière sur les rémunérations des dirigeants, la loi n’est pas faite pour cela. Mais, en votant contre les résolutions de l’assemblée générale qui sont consacrées aux pactoles, les actionnaires pourront au moins essayer d’enrayer de nouvelles hausses.
Lire notre article : Rémunérations record: la nouvelle loi n’enclenchera pas la marche arrière
Comment ? En votant dès l’ AG 2017 contre l’envolée des rémunérations patronales
Pour l’actionnaire qui souhaite s’opposer aux rémunérations extravagantes, il suffit maintenant de voter lors des assemblées générales des sociétés cotées qu’il a en portefeuille. Il n’est pas nécessaire d’assister à l’AG pour voter. Le vote est possible sur internet via le système Votaccess. Il faut d’abord aller sur le site de la société concernée, accéder à la brochure de convocation de l’AG qui se tient en 2017, repérer dans la liste des résolutions, celles concernées (voir ci-dessous) et voter sur le site internet de sa banque ou de son courtier en cliquant sur l’icône Votacces de la ligne d’actions concernée, pour voter résolution par résolution.
Voir notre article : Comment voter – Actionnaires engagés : défendez vos droits en AG
Retrouvez ici, publiées par F2ic : les dates des assemblées générales 2017 des sociétés du SBF 120
Ce que vous devez savoir pour voter :
Il y a quatre moyens d’endiguer la hausse des rémunérations là où les abus sont manifestes.
1/ Voter en assemblée générale ordinaire (AGO) contre les résolutions de Say on Pay de 2016 intitulées habituellement « Vote sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2016 ».
Vous vous opposerez ainsi à la rémunération de 2016 mais cette année encore votre vote ne sera que consultatif car il s’agit de la rémunération de l’an dernier, non concernée par la nouvelle loi.
2/ Voter en AGO contre les rémunérations qui décrivent les grands principes retenus pour la rémunération des dirigeants en 2017, c’est à dire cette année.
Ces résolutions ( une par dirigeant) s’intitulent « Vote sur les principes et critères de détermination, répartition et attribution des éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération totale et les avantages de toute nature applicables en 2017»
Le conseil doit exposer la façon dont il compte rémunérer les mandataires sociaux. Si plus de 50% des actionnaires votent contre cette résolution ou s’abstiennent en votant blanc, le conseil d’administration devra revoir sa copie et dans le pire des cas la rémunération de l’année 2016 continuera de s’appliquer.
3/ Pour s’opposer aux retraites chapeaux, aux parachutes dorés, aux assurances chômage pour dirigeant, aux golden hello. Il vous suffit de voter contre les résolutions de l’AGO qui les concernent et qui s’intitulent : » Vote des conventions réglementées ».
Si l’assemblée désapprouve la convention, celle-ci produit néanmoins ses effets à l’égard des tiers. Cependant, si les conséquences sont préjudiciables à la société, elle seraient à la charge de l’intéressé et, éventuellement, du conseil d’administration. D’une façon générale, dans le domaine des avantages aux mandataires sociaux, ces conventions dites réglementées ont trait aux conflits d’intérêt que fait naître un engagement de l’entreprise ( ex: assurance chômage, retraite chapeau etc…) au bénéfice de ses dirigeants. Elles méritent donc une attention particulière, alors que leur contenu est rarement clairement et complètement exposé.
4/ En 2018, vous pourrez si vous le souhaitez vous opposer au versement des primes variables des hauts dirigeants au titre de 2017, en votant contre les résolutions de l’AGO qui y seront consacrées. Rappelons qu’en assemblée générale ordinaire, il faut une majorité de 50 % de votes contre ou d’abstentions pour faire échec à la résolution proposée. Difficile toutefois, de bien comprendre comment va se présenter le vote, dans la mesure ou le principe de la rémunération variable aura été approuvé l’année précédente.
(1) voir son livre « Toujours plus » paru en 1982 aux éditions JC Lattès