Changer la régle du jeu, en cours de partie, parce qu’on est en train de perdre, c’est tricher. C’est pourtant ce qu’a proposé le conseil d’administration de Valeo, à ses actionnaires qui ont voté la résolution avec 93 % des voix.
Jacques Aschenbroich, le PDG a fait une mauvaise année 2018 largement dues aux turbulences du commerce mondial. L’équipementier automobile n’a pas atteint les performances qu’il s’était fixé et la rémunération à long terme de 2016 du PDG, sous forme d’actions de performance, est tombée à l’eau. Les actions qu’il aurait dues toucher au titre de 2017 et 2018, ne lui seront pas non plus versées en 2019 et 2020, a indiqué le Président du Comité des rémunérations Georges Pauget.
Jacques Aschenbroich n’a pas perçu l’an dernier ses 1,6 million € d’actions Valeo attribuées il y a trois ans. Il ne lui a donc été versé en 2018 « que » 1,5 million € de cash au titre de son fixe et de son variable à court terme tandis que l’ action Valeo était divisée par deux en un an pour les actionnaires fidèles. Sa rémunération sera bien alignée sur celle des actionnaires.
En revanche, le conseil de Valeo a fait voter le 23 mai, une modification de la règle d’attribution a posteriori pour 2017 et 2018 des plans d’actions de performance, attribuées à une centaine de cadres dirigeants. Sans carotte, les membres du comité de liaison et les n-1 risquaient d’être démotivés et de finir chez un concurrent. Le problème, c’est que la carotte aurait été mal ficelée, explique-t-on en substance. Compte tenu des modalités d’acquisition sur trois ans, les actions de performance attribuées en 2017 et 2018, devaient tomber à l’eau pour tout le monde. Avec le mode d’acquisition voté par les actionnaires en AG l’an dernier, personne ne pouvait toucher de rémunération en actions, ni cette année, ni l’an prochain. Le conseil propose donc de changer les règles pour les salariés concernés.
En effet, chez Valeo, le mode de calcul actuel des performances attachées aux actions gratuites, était jusqu’à présent, établi sur une moyenne arithmétique de trois ans de trois indicateurs, soit 2017-18-19 pour l’attribution d’actions 2017 et 2018-19-20 pour l’attribution 2018. Et les performances de 2018 sont si loin du compte, que la moyenne arithmétique des trois années est complètement plombée : le président du comité des rémunérations qui est aussi l’administrateur référent, estime que ni les performances de 2019, ni celles de 2020 ne pourront redresser la moyenne (ce qui n’est pas encourageant pour les actionnaires qui reçoivent au passage un mauvais signal pour les années 2019 et 2020).
Les investisseurs et leurs société de conseil en vote ( Proxys) ont du mal à s’habituer à ces modifications fréquentes chez Valeo qui donnent l’impression que la politique de rémunération à long terme est opportuniste.
Une rémunération à long terme opportuniste ?
Déjà, en 2017, le proxy ISS avait dénoncé le plafond des actions gratuites des plans de rémunération à long terme du PDG. Ce plafond venait de passer de 135 % de la rémunération fixe en 2015 à 270 % en 2016 soit à 2,7 million €. Le concurrent Faurecia se contentait pour ses actions gratuites d’un plafond à 130 % du fixe.
Georges Pauget¹, le Président du comité des rémunérations de Valeo, était alors monté au créneau avant l’AG du 23 mai 2017 pour défendre « un processus méthodique et rigoureux » d’attribution. Le plafond élevé devait correspondre à une exigence élevée.
L’année suivante, en 2018, le comité de rémunérations proposait un nouveau changement, en AG afin de changer l’un des trois critères d’attribution des actions gratuites. Le TSR ( total shareholder return ou rendement global pour l’actionnaire) plus en vogue, devait remplacer le ROCE ( Rendement des capitaux investis). La résolution numéro 12 de l’AG du 23 mai 2018, qui présentait les nouvelles modalités d’attribution des actions gratuites avait été votée à 95 %. Tout aurait pu semblait donc satisfaire les actionnaires.
L’AG encore appelée à voter un changement rétroactif en 2019
Mais début 2019, le comité des rémunérations constatant que la règle du jeu était toujours défavorable aux attributaires des actions gratuites de 2017 et 2018, propose donc de nouveaux changements rétroactifs, excepté pour le PDG. On fait glisser le plan à trois ans et on le décale d’un an, donnant ainsi une chance de plus aux personnes concernées d’atteindre les performances. La rémunération à long terme de 2017 ainsi modifiée a posteriori, se calculera sur la période 2018-2019-2020 et celle de 2018 sur 2019-2020-2021.
Un gain toujours élevé potentiellement mais qui devient moins aléatoire
De plus, l’acquisition des actions gratuites peut se faire à présent petit à petit, par tranche, chaque fois qu’une des performance est acquise, annuellement, et sur chacun des trois indicateurs. Fini le calcul d’une moyenne arithmétique sur trois ans, trop difficile à atteindre.
On notera au passage que le mode d’attribution des actions de performance au PDG au titre de 2019, va lui aussi être modifié. L’objectif est d’inciter le PDG âgé de 65 ans et qui va devoir abandonner une partie de ses fonctions dans les deux ans, à inscrire son action dans le long terme. Il s’agit de le fidéliser !
Il n’est plus question de moyenne arithmétique. L’attribution d’actions de performance prévoira désormais des critères de performance à satisfaire sur une période de trois années consécutives. Ces ajustements sont destinés à permettre de mieux refléter, dans les critères proposés, la stratégie, les objectifs actuels de performance financière et opérationnelle du Groupe, la création de valeur pour les actionnaires de Valeo mesurée par le nouveau critère de performance externe, le Total Shareholder Return (TSR) et la mesure de la performance.
Explication page 158 du DDR 2018
« Les actions de performance seront conditionnées à la réalisation d’une performance mesurée par rapport à deux critères de performance interne précédemment utilisés, à savoir le taux de marge opérationnelle ainsi que le taux de rendement de l’actif investi avant impôts (ROA), et le TSR qui a remplacé le critère de performance interne relatif au taux de ROCE déjà présent dans la rémunération variable à court terme. Le TSR de Valeo sera mesuré par rapport à l’indice CAC 40 et un panel constitué de sociétés du secteur automobile en Europe. Les critères de performance internes représentent un maximum de 80 % des actions attribuées (40 % pour chacun de ces critères) tandis que le critère de performance externe représente un maximum de 20 % de celles-ci. »
Ce qui ne changera pas en revanche, ni pour le PDG, ni pour son entourage de n-1, c’est le niveau d’attribution d’actions gratuite nettement plus élevé chez Valeo que chez le concurrent Faurecia. Le principe d’un gain très important mais aléatoire, aurait-il été oublié au passage ?
Tous les détails sont ici :
La liste des changements successifs du mode d'acquisition des actions Valeo pour le PDG
Résultat des votes de l'AG du 23 mai 2019 de Valeo
¹ Georges Pauget est l’ancien directeur général de Crédit Agricole SA. Nommé en 2007 au conseil de Valeo, il occupe depuis plus de 12 ans maintenant son poste d’administrateur mais reste considéré comme « indépendant » par Valeo. Il préside le Comité des rémunérations et des nominations depuis plusieurs années et est également administrateur référent. Il a annoncé qu’il quitterait son poste à la fin de son mandat l’an prochain. Il est également administrateur et président du comité des rémunérations d’Eurazeo. L’ex-président du directoire d’Eurazeo Patrick Sayer, vient de rentrer au conseil, nommé lors de l’ AG 2019.
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Nous avons posé en AG de Valeo, une question pour demander un éclaircissement sur la résolution numéro 19 et le say on pay du PDG, car les modifications des conditions des actions de performance chez Valeo, ne nous semblaient pas claires ( voir aussi les tableaux de la brochure de convocation en page 81 et en page 70 à 74 . Le président du comité des rémunérations a bien pris la parole pour faire une description des mécanismes. Mais Valeo qui rediffuse le webcast de l’assemblée générale 2019, a supprimé de cette rediffusion la séance de Q/R des actionnaires. L’explication donnée sur la modification d’attribution des actions de performance ne figure donc pas dans le webcast. Ne figure pas non plus par conséquent la question d’un actionnaire qui a estimé que l’augmentation de la rémunération du PDG de 15 % en 2019 était mal à propos compte tenu des résultats… Lire la suite »