Chez l’ex-PagesJaunes, tout est un cas d’école : LBO, fonds vautours, opération financière complexe, augmentation de capital ultra dilutive, difficultés dans l’exercice du vote en AG, informations financières escamotées … et maintenant connivence entre dirigeants et créanciers.
L’AG historique de SoLocal qui s’est tenue le 19 octobre 2016, laissera des traces. C’est la première fois que les actionnaires individuels parviennent à se faire entendre aussi fort mais c’est aussi la première fois qu’une lumière aussi crue éclaire la convergence d’intérêts qui peut exister entre certains dirigeants et leurs créanciers.
Chez SoLocal, grâce à une clause glissée dans le contrat d’émission des obligations 8,85 % de PagesJaunes de 2011, les dirigeants ont pu faire obstacle à leur révocation et au renouvellement de la gouvernance du groupe, en laissant plâner la menace qu’un renversement du conseil pouvait mettre la société en faillite. Jean-Pierre Rémy, le très contesté Directeur Général, et Robert De Metz, Président de SoLocal, ont conservé leurs postes malgré la colère de nombreux actionnaires qui souhaitaient leur départ, compte tenu de la mauvaise performance de l’action dont le cours a été divisé par cinq en deux ans.
Pour les 1600 actionnaires de SoLocal regroupés au sein de l’association RegroupementPPLOCAL qui s’insurgeaient contre le plan de restructuration financière de SoLocal, pourtant avalisé par l’AMF, l’assemblée générale a été un succès sans précédent ( à lire aussi : Comment s’orchestre la résistance des actionnaires de SoLocal) . Moteur du rejet du plan en AG, l’association qui a réuni 10,6 % du capital via des centaines de procurations, a pu se présenter au vote avec environ 9,5 % des droits de vote ( certaines procurations n’ont pas été acceptées), sans compter les centaines de petits porteurs qui ont voté en direct dans le même sens qu’elle. D’autres actionnaires comme le tandem Benjamin Jayet/Philippe Besnard ( 7%), ou l’autre tandem Didier Calmels/Arnaud Marion ( 1 % du capital quelques jours encore avant l’AG) ont également rejeté le plan et demandé un changement de la gouvernance. Un nouveau plan doit maintenant être renégocié ou amélioré et trois administrateurs issus de la Fronde nommés le 19 octobre au conseil de SoLocal, s’y attellent déjà.
Minoritaires.com qui était présent à l’AG décrypte les temps forts des votes :
Les comptes
Les comptes sociaux et consolidés de SoLocal Group ont été votés de justesse, avec respectivement 53 et 56 % de voix « pour » seulement. Le défaut de communication qui avait été dénoncé auprès de l’AMF, à savoir le manque de documentation et l’information tardive sur une provision de 1,6 milliard € pour dépréciation de la filiale PagesJaunes dans les comptes sociaux, et les errances sur la constitution d’une provision de 35 millions pour le PSE, expliquent l’essentiel de la contestation.
Les actionnaires n’ont d’ailleurs pas hésité à se séparer de deux des « big four » qui assuraient le commissariat aux comptes deSoLocal, Ernst & Young et Deloitte. Ceux-ci devront ainsi à l’avenir, réfléchir sur le silence qu’ils opposent aux questions des actionnaires individuels même s’ils ont un devoir de réserve. Ils pourront s’interroger sur la nécessité de révéler à l’AMF ou au Procureur le non respect de la réglementation AMF sur le profit-warning par exemple, ou encore de signaler le report injustifié de l’Assemblée générale de clôture des comptes..
Le vote contre leur renouvellement des deux commissaires aux comptes, a totalisé respectivement 57 % et 51 % de voix contre ou d’abstentions, et ce n’est donc pas anecdotique. Mais leur éviction est peine perdue, puisque la Direction a aussitôt fait nommer à leur place leurs suppléants, deux cabinets qui leur sont liés puisque BEAS et Deloitte opèrent régulièrement en duo et qu’Auditex, fait partie du réseau de Ernst & Young.
La rémunération des dirigeants
Le vote du « say on pay » a signifié un refus clair et net de la rémunération accordée aux dirigeants. Respectivement 65%, 70 % et 71 % des votants se sont opposés ou se sont abstenus de voter en faveur de la rémunération 2015 de Robert de Metz, Jean-Pierre Rémy et Christophe Pingard, directeur général délégué de SoLocal Group.
Outre un désavoeux du comportement des dirigeants, les actionnaires regroupés ont souhaité dénoncer des critères de performance de la rémunération variable, non alignés sur l’intérêt des actionnaires. Ceux-ci avaient conduit en 2015 à verser de généreux bonus à Jean-Pierre Rémy et Christophe Pingard, malgré l’effondrement du cours de l’action.
Les opérations sur le capital
Le plan de restructuration financière a été rejeté. Toutes les résolutions qui concernaient le plan et ses émissions de titres, ou conversion de dette en actions, ont rencontré une vive opposition d’ actionnaires représentant 46 à 49 % des votants, alors qu’il fallait réunir au moins de 66 % de votes favorables pour qu’elles soient adoptées. Le rejet du plan couronne de succès l’action menée par ses deux fondateurs Alexandre Loussert et Baudoin de Pimodan. Tandis que de grands actionnaires comme Benjamin Jayet, Philippe Besnard, Arnaud Marion, Didier Calmels et de nombreux actionnaires individuels ont voté dans le même sens.
Les actionnaires regroupés ne s’attendaient pas à une telle victoire rendue possible par la mobilisation, mais aussi par le très faible quorum de 39 % au final. Reste maintenant à transformer l’essai en renégociant un plan qui ne spolie pas les petits porteurs de SoLocal.
Les changements au conseil d’administration
Le regroupement a finalement échoué dans sa tentative de révoquer une partie du conseil d’administration. Il avait déposé, le 26 septembre, des résolutions externes en vue de révoquer Jean Pierre Rémy, le directeur Général de Solocal, ainsi que tous les membres du comité de rémunération ( Rémy Sautter, Jean-Marc Tassetto, Cecile Moulard) y compris Robert de Metz, le Président. Sept autres résolutions prévoyaient la nomination de six membres de RegroupementPPLOCAL, à savoir Alexandre Loussert, Loïc de la Cochetière, Anne-Marie Cravero, Christophe Deshayes, François-Xavier Barbier, Roland Wolfrum ainsi que celle du spécialiste des restructurations Arnaud Marion. Les mêmes résolutions externes avaient été déposées par Arnaud Marion en parallèle.
Or, le matin même de l’Assemblée Générale, un accord semblait avoir été trouvé avec la direction de SoLocal Group. Le regroupement avait publié un communiqué indiquant qu’il avait retiré les résolutions concernant la révocation des administrateurs et avait accepté de limiter à cinq au lieu de sept les sièges demandés au conseil en changeant les noms. Figuraient alors sur la liste Alexandre Loussert, Anne Marie Cravero ainsi qu’Arnaud Marion, Benjamin Jayet et Jacques-Henri David.
Premier coup de théâtre, en AG, le regroupement se sentant en position de force compte tenu du quorum faible ( 39 %) et des votes qu’il avait réunis décidait finalement de s’en tenir aux résolutions initialement déposées ( les 5 révocations et les 7 nominations). Robert de Metz reprochant alors que les engagements n’aient pas été tenus. On apprenait que de son côté qu’Arnaud Marion ayant vendu une grande partie des actions qu’il détenait, n’était plus en mesure de maintenir ses résolutions externes.
De forts indices de connivence entre dirigeants et créanciers
Second coup de théatre, à la stupeur générale, cette annonce a été immédiatement suivie d’une autre déclaration du président Robert de Metz indiquant en substance que :
« En cas de changement de la majorité du conseil d’administration de SoLocal, le remboursement des obligations senior 8,875% émises par PagesJaunes Finance & Co SCA en 2011, devenait soit-disant immédiatement exigible comme c’était inscrit dans le document d’émission de l’emprunt que personne n’avait songé à consulter et qui n’était pas mis à la disposition des actionnaires. »
Sous la menace, et alors qu’ils découvraient qu’un changement de contrôle ne s’arrêtait pas à la détention de majorité des actions au capital, mais concernait aussi le changement de la majorité des membres du conseil d’administration ( ce qui n’était pas spécifié dans le document de référence), les actionnaires regroupés ont demandé une suspension de séance qui a duré environ 50 minutes pour se décider.
Ils se trouvaient devant un dilemme : soit maintenir les résolutions qui leur permettaient de rentrer massivement au conseil et de s’imposer dans la renégociation du plan de restructuration ce qu’on leur avait toujours refusée, en risquant de mettre la société en faillite, soit revoir leurs exigences.
Après des discussions apparemment compliquées et alors qu’ils se demandaient si cette clause cachée pouvait être valide, la deuxième option a finalement été retenue : une seule révocation fut soumise au vote par RegroupementPPLocal, celle de Robert de Metz. Sept noms furent retenus au final, sur la liste des nouveaux candidats au conseil, mais ils avaient changé. La liste proposée au vote comprenait maintenant trois membres du regroupement, Alexandre Loussert, Anne Marie Cravero et Roland Wolfrum à laquelle s’ajoutait les noms de quatre autres actionnaires importants de SoLocal. Il s’agissait de Jacques-Henri David ( ex-président de Deutsche Bank France), de Benjamin Jayet, Gérant de BJ Invest, de son partenaire Philippe Besnard spécialiste du numérique et d’Arnaud Marion.
Au final, seulement trois noms ont recueillis une majorité, ceux de Jacques-Henri David, d’Arnaud Marion et d’Alexandre Loussert, laissant penser que ce sont les fonds d’investissement EDRAM (Edmond de Rothschild Asset Management) ou moins probablement DNCA ( le fonds action de Natixis) qui avaient joué les arbitres.
Qui a voté en AG ?
En début d’AG le quorum approchait 32 % ce qui est très faible car il était plutôt de 43/45 % lors des précédentes AG. Pour finir avant les votes, il a atteint 38,95 %. Les % de vote/participation au capital que nous avons identifié sont de cet ordre :
Regroupement PPLocal 10,6 % ( mais seulement 9,5 % de votes par procuration)
DNCA : + 10 %
Benjamin Jayet : + 7 % du capital
Edmond de Rothschild : 6 %
Arnaud Marion : NC
Famille Amar : 2,6 %
A noter d’une façon générale, il y a eu un très grand nombre d’abstentions. Ces abstentions ont été comptabilisées comme le veux la loi, dans les votes « contre » et ont contribué fortement au rejet de certaines résolutions concernant notamment la nomination d’administrateurs de dernière minute.
Ici le résultat des votes :
Résultat des votes de l’AG Mixte de SoLocal du 19 octobre 2016
Ici le lien pour la retransmission de l'AG de SoLocal qui devait être mise en ligne le 21 octobre 2016
Retransmission de l’AG du 19 octobre 2016 de SoLocal Group
Ici les consignes de vote de regroupementPPLocal et les résolutions initialement présentées en AG
Les consignes de vote de PPLocal à l’AG historique de SoLocal
Ici le lien pour la retransmission de l'AG de SoLocal qui devait être mise en ligne le 21 octobre 2016 mais qui n'était toujours pas disponible le 24 octobre
Retransmission de l’AG du 19 octobre 2016 de SoLocal Group
Communiqué publié par SoLocal Group le 21 octobre, après l’AG