Quel patron n’a pas rêvé de diriger une affaire comme Altamir ? Pas de salarié, pas d’impôts, une rémunération plantureuse, aucune chance de se faire débarquer et pas de responsabilité sur ses biens propres. Altamir est bâtie sur mesure pour son gérant et actionnaire à 27 %, Maurice Tchenio.
Du point de vue de l’actionnaire, au premier abord, Altamir cotée sur Euronext ne manque pas de charme. Avant d’être une société spécialisée en private equity, c’est d’abord un montage fiscal attractif pour les actionnaires fortunés. Pas besoin d’aller s’installer au Panama, la société propose ni plus ni moins que d’investir à volonté dans du capital investissement en France et à l’étranger, sans se faire tondre par le fisc. Altamir bénéficie en effet, du régime des Sociétés de Capital Risque. Le résident français qui s’engage à conserver ses titres pendant plus de 5 ans et à réinvestir le dividende, est exonéré d’impôt. Seuls 15,5 % de prélèvements sociaux sont dûs.
Mais que fait Altamir de son argent ? La société a une activité proche du holding de participation. A la différence près qu’elle n’investit pas par ses propres moyens dans les entreprises ce qui ne facilite pas la transparence sur la valeur de son portefeuille. Elle le fait exclusivement par l’intermédiaire ou aux côtés des Fonds Apax Partners France et Apax Partners LLP, une galaxie de fonds pionniers du capital investissement, dont les gestionnaires sont basés à Paris et à Londres. Leur job consiste à sélectionner les entreprises qui présentent un bon potentiel de valorisation ou de revenus, et à les mettre sous pression, tout un art ! Maurice Tchenio qui a mis sur pied Altamir et gère aujourd’hui la société, est aussi un des fondateurs d’Apax Partners. Il se serait retiré pour laisser la place en janvier 2015 à Eddie Misrahi, patron d’Apax Partners MidMarket. Un troisième larron, la société londonnienne Apax Partners LLP qui fait la meme chose que les deux précédentes, offre ses services à Altamir. Apax Partners, Apax Partners MidMarket, Apax Partner LLP, on ne s’y retrouve pas toujours dans la nébuleuse qui gère les fonds Apax !
Altamir en justice contre Moneta : le paradoxe de l’oeuf et de la poule
Comme souvent lorsqu’il y a un avantage fiscal à la clé, les épargnants se laissent vite séduire quitte à réaliser plus tard que tout n’est pas rose. Il arrive, en effet, que la fiscalité avantageuse cache un rendement moins attractif. On peut donc facilement perdre d’un côté ce que l’on peut gagner de l’autre.
La question de la rentabilité d’Altamir est soulevée publiquement depuis 2012 par Moneta ( 2,7 milliards d’actifs gérés). Une des sicav de Moneta qui possède 9,5 % d’Altamir, a obtenu de haute lutte que Maurice Tchenio accepte d’améliorer le dividende versé aux détenteurs d’ actions cotées. Le dividende représentera en 2016, 3 % de l’actif net réévalué ( ANR ou valeur patrimoniale soit 680 millions €).
Les actionnaires d’Altamir ne paient pas l’impôt et le cours d’Altamir reste très décoté (60 % de l’ANR), ce qui arrange ceux qui paient l’ISF. Le rendement de l’action semble donc élevé, il atteint environ 6 % du cours de Bourse, ce qui semble facialement acceptable. Sauf pour les investisseurs institutionnels qui préfèreraient qu’en plus du rendement, le cours s’apprécie. La bataille entre Altamir et Moneta se joue sur ce terrain.
Pour Moneta, le rendement du portefeuille d’Altamir reste insuffisant et les frais que prélèvent la galaxie Tchenio-Apax, sont trop élevés, ce qui explique le cours médiocre. La meilleure défense étant l’attaque, Maurice Tchenio a porté plainte, pour dénoncer les griefs injustifiés de Moneta qui seraient responsables de la baisse du cours de la société. Est-ce la faible performance de l’action Altamir qui explique le cours plombé ou bien le fait que Moneta ait mis le doigt dessus ? Pour résoudre ce paradoxe de la poule et de l’oeuf, deux experts se sont affrontés ( le cabinet Abergel pour Moneta et le Cabinet Kling pour le gérant d’Altamir). Ils ne sont évidemment pas tombés d’accord.
L’affaire n’est pas terminée. Le Président du Tribunal a en effet ordonné une expertise judiciaire élargie pour, outre donner son avis sur les frais de gestion d’Altamir, déterminer les « causes endogènes pouvant expliquer la performance et la décote du cours de la société Altamir ». Va-t-il mettre son nez dans les affaires de Maurice Tchenio?
Les tiroirs secrets d’Altamir gérance
Ce ne sera pas facile. La gouvernance d’Altamir est une construction à la fois complexe et opaque. Le montage juridique et financier est tellement compliqué, qu’on passe des heures pour essayer de comprendre qui se met quoi dans les poches. Mais sans savoir à quelle contribution précise correspondent les rémunérations géantes qui sont prélevées par ceux qui gèrent l’entreprise et ses fonds, car aucun audit n’a été réalisé dans ce sens. La direction de la communication donne volontiers des indices pour trouver certaines informations dans la documentation, mais on est vite épuisé par ce petit jeu. ( Nous découvrons a posteriori que les réponses aux questions de Moneta à l’AG d’avril 2015, qui figurent en annexe dans le PV de l’AG 2015 de la page 54 à 78, apportent un certain nombre de réponses).
Altamir n’est pas une société anonyme comme le sont la plupart des sociétés cotées. A l’instar de Michelin, Hermès ou encore Lagardère, c’est une société en commandite par action (SCA). Dans ce type de structure, il y a les actionnaires commanditaires et le(s) commandité(s). Le contrat est simple : les droits des actionnaires appelés « commanditaires » ( ici tous ceux qui possèdent des actions cotées) sont restreints. Ils sont les bailleurs de fonds, ont le droit de voter en AG, nomment un conseil de surveillance censé contrôler la gérance, les commissaires aux comptes et perçoivent une rémunération, c’est pratiquement tout. Il est interdit au commanditaire de s’immiscer dans la gestion de la société qui est confiée à ce qu’on appelle un associé « commandité ». Ce dernier a tous les pouvoirs entre ses mains.
Dans le cas présent, le commandité c’est la société Altamir Gérance, indéfiniment responsable du passif social, et dont les droits ne sont pas librement cessibles. Altamir Gérance dont le capital est détenu par Amboise SAS ( ex-SNC) société appartenant à 100 % à Maurice Tchenio, nomme et révoque le gérant d’Altamir qui n’est autre que Maurice Tchenio lui-même. Et c’est aussi Amboise SAS qui porte 27% du capital d’Altamir, ce qui fait de ce patron-gérant, de loin le premier actionnaire d’Altamir. Jusqu’à début 2015, Maurice Tchenio était aussi PDG d’Apax Partners, partenaire d’investissement d’Altamir.
Sous la pression, la situation a un peu évolué et Altamir donne davantage d’informations. Il reste cependant encore beaucoup de boîtes noires, bien cadenassées et Maurice Tchenio détient à lui seul toutes les clés. Il ne fait pas bon être minoritaire chez Altamir. Il n’y a guère que lors des AG extraordinaires où les résolutions doivent être acceptées par 2/3 des suffrages, que les commanditaires minoritaires peuvent se faire entendre. Mais comme le gérant refuse l’entrée aux journalistes, les assemblées générales annuelles se passent à huis clos, histoire que les problèmes restent « en famille ».
Si une telle concentration du pouvoir, source possible de nombreux conflits d’intérêts, ne relève pas de bonnes pratiques de gouvernance, c’est parfaitement légal. Et s’il n’y a pas de raison de penser qu’Altamir n’est pas géré dans l’intérêt des commanditaires et de façon équitable avec celui des commandités, il n’y a pas non plus de possibilités de le vérifier.
Prenons les comptes d’Altamir, par exemple. La transparence des élements du compte de résultat laisse à désirer, selon nous. Les revenus d’Altamir soit 157 M € en 2015, composés du résultat du portefeuille de participations, reposent essentiellement de la variation de la juste valeur des portefeuilles de participations dont les méthodes de valorisation sont expliquées ( note 6.4 à 6.7 du document financier). Or on constate que 40 % du portefeuille est coté et valorisé sans contestation possible, tandis que la valeur des 60 % restants, repose sur des observations.
Du côté des charges et provisions d’Altamir, les informations ne permettent pas de connaître la contrepartie effective en terme de tâches réalisées, des honoraires annuels que Maurice Tchenio a fait voté par Altamir. Les 48 millions € de charges et provisions sont composées à 95 % d’honoraires liés ou de dividendes attribués à la galaxie Tchenio-Apax correspondant à des bonus. La société Altamir Gérance perçoit 8,4 millions € ( dont 660 millions seulement de refacturations). Les honoraires de gestion des fonds Apax sont facturés pour 7,7 millions €. Des provisions revenant à des porteurs de parts dites C (c’est à dire à d’autres fonds Apax) sont comptabilisées pour 6,2 millions €. D’autres provisions représentant les versements aux personnes physiques porteurs de parts B qui appartiennent à la galaxie Apax-Tchenio, atteignent 21,4 millions €. Et pour mémoire, au titre des 27 % qu’il détient dans Altamir, Maurice Tchenio a touché par ailleurs au titre des dividendes de ses actions ordinaires, la somme de 4 millions €. Au total, c’est donc en 2015, la modique somme de 50 millions qui sont allées dans la poche de Maurice Tchenio et de la nébuleuse Apax. Ce chiffre représente environ 7 % de la valeur d’Altamir sur la base de son actif net réévalué et plus de 12 % de sa capitalisation boursière. Tout est contractuel mais qui sait si les sommes en question, sont parfaitement légitimes ?
Lors de l’Assemblée générale du 14 avril prochain, la 11 ème résolution qui consiste à voter la rémunération de Maurice Tchenio, son fameux « say on pay », pourrait bien être contestée une fois de plus à ce titre. Rien ne permet d’affirmer que les informations données par Maurice Tchenio sur sa rémunération, englobent la totalité de ce qu’il perçoit d’Altamir . ( voir ce rapport du conseil de surveillance page 7).
Le mic mac des actions B : une drôle de transaction
L’autre sujet qui devrait agiter l’assemblée générale, c’est le mic-mac opéré en 2015 sur les actions préférentielles. Ces parts B permettent de prélever sur Altamir des commissions qui vont directement dans les caisses de Maurice Tchenio et des associés de la galaxie Apax.
Altamir a prévu dans ses statuts deux types d’actions. Quelque 36,5 millions d’actions ordinaires cotées ont rapporté l’an dernier, 15 millions € de dividendes aux actionnaires. Elles co-existaient fin 2014, avec 18 582 parts B qui elles, ont rapporté 9 millions € à leurs détenteurs sous forme de dividendes. Les parts B sont une autre boîte noire. Elles sont détenues par un cercle limité de personnes dont une bonne partie par le gérant ou la gérance. Ces actions préférentielles prévues statutairement, n’ont pas vocation à s’apprécier et peuvent s’échanger à leur valeur nominale soit 10 € par part. Les statuts prévoient également qu’Altamir puisse les racheter à ce prix.
A quoi servent les part B et comment, se répartissent-elle ? Altamir indique que ces actions préférentielles permettent de rémunérer la performance des équipes qui sont à l’origine des fonds dans lesquels Altamir investit (des fonds gérés par Apax à Paris ou à Londres). C’est ce qu’on appelle dans le langage du Private Equity ( capital investissement), le « carried interest ». Il est fixé à 20 % du résultat social retraité d’Altamir sur lequel 2 % vont à la gérance, tandis que 18 % vont aux porteurs de parts B. En 2015, leurs propriétaires ont touché 484 € par part d’une valeur de 10 €.
Ce qui est très curieux et qui mérite une explication, c’est que 65 % environ des parts B ( soit 12 164 parts) qui ont rapporté en 2015, 487 € de dividende chacune et qui en 2016 auraient pu rapporter 282 €, ont été revendues à la société pour leur valeur nominale de 10 € chacunes.
Drôle de transaction. Qui peut bien accepter de se faire racheter 10 € un titre qui va rapporter entre 500 et 280 € par an ? Pourquoi abandonner une telle part du gâteau ? L’explication donnée par Altamir est un peu courte. Les parts B déterminant en quelque sorte le bonus des membres d’Apax sur les opérations avec Altamir, il fallait changer la répartition pour que les attributions de bonus s’adaptent à l’apport de chacun. Pourquoi alors faire racheter 70 % des part B par Altamir pour 121 640 €, plutôt que de se les vendre entre-soi comme le font d’ordinaire les associés ?
Les actionnaires feront-ils preuve de mauvaise humeur ?
Que cache cette opération ? Maurice Tchenio qui a revendu à Altamir les parts B qu’il possédait directement (il lui en reste via Altamir Gérance) est-il en train de passer la main ? Est-ce un moyen astucieux d’organiser sa succession, alors qu’il devra céder la place l’année de ses 75 ans, c’est à dire dans trois ans ?
Or, l’opération recèle une faille : si le rachat des parts B par la société est bien autorisé par les statuts, le fait qu’Altamir les porte est contraire au code du commerce qui stipule qu’une société ne doit pas détenir plus de 10 % de ses propres titres étant entendu pour chaque catégorie d’actions. C’est bien ce qui oblige Maurice Tchenio à faire voter en AG, une résolution ( numéro 13) pour annuler ces actions et réduire le capital.
Mais que se passera-t-il si les minoritaires refusent dans un mouvement de mauvaise humeur de donner leur accord. Ce n’est pas une vue de l’esprit, les actions ne seront annulées que si les deux tiers des actionnaires présents ou représentés y sont favorables. Il suffit donc d’un tiers de votes contre pour bloquer l’annulation.
Il va falloir s’expliquer en tout cas sur le sacré cadeau destiné à ceux qui possèdent les parts B restantes. Le dividende qui sera versé à chaque détenteur de part B va tripler. En effet, quotité de résultat social retraité attribué à cette classe d’actions reste fixe ( 18 % du résultat social retraité). S’il ne reste plus que 6 418 parts B en circulation fin 2015, au lieu de 12 164 fin 2014, chaque détenteur d’une part va toucher un dividende non pas de 282 € mais de 813 € !
Il existe forcément des conventions entre les membres de la nébuleuse Apax-Tchenio qui détiennent les actions de préférence. Que cache exactement ce mic-mac qui conduit les uns à abandonner des millions € au profit des autres ?
A défaut d’explication convaincante, il se pourrait bien qu’en AG, les minoritaires d’Altamir lassés par la complexité et le manque de transparence, fasse preuve de mauvaise humeur. Le suspens sur le résultat du vote est donc entier.
A noter : Nous détenons 1 action Altamir
A lire aussi Comment s’orchestre la résistance des actionnaires de Solocal
Assemblée générale: ce qu’il faut savoir pour bien voter