Dans la grande salle du Palais des Congrès à Paris, ce mercredi 13 mai, le nouveau président Jean Lemierre et le directeur général Jean-Laurent Bonnafé ont eu à répondre devant les actionnaires, des faits reprochés à BNP Paribas aux Etats-Unis par le Département américain de la justice (DoJ) . En juin 2014, la banque a accepté de plaider coupable pour des faits qualifiés de « criminels » qui lui ont valu une amende de 9 milliards de dollars.
Et pourtant dans sa communication, BNP Paribas a toujours été extrêmement discrète sur ce qui s’est réellement passé, laissant même croire à l’opinion publique, avec l’intervention de l’Etat auprès des autorités américaines en 2014, qu’elle était victime des excès du système judiciaire américain.
Or, les publications du DoJ révèlent que BNP Paribas, en continuant à financer en dollars des exportations au profit de leaders soudanais, a privilégié ses intérêts sans se soucier de savoir si elle ne finançait pas un génocide au Darfour*.
Les faits que nous relatons ci-dessous figurent ici dans le document du DoJ. Ils lèvent le voile sur des pratiques internes douteuses et jettent l’opprobre sur le management de BNP Paribas au moins pour la période 2004 et 2007. A l’époque, la banque était dirigée par Baudouin Prot, qui a quitté le groupe en décembre dernier. Elle était présidée par Michel Pébereau qui a eu la bonne idée de ne pas demander le renouvellement de son mandat d’administrateur cette année.
En France, en faisant monter l’Etat au créneau sur cette affaire, BNP Paribas, a vite été perçue comme « victime » d’un racket américain, ce qui a servi sa communication. Mais la ficelle est un peu grosse. Les dirigeants de BNP Paribas ont fait preuve de beaucoup de cynisme. Ils ont fait circuler entre 2004 et 2010, plus de 8,8 milliards de dollars dans le système financier américain pour le compte d’opérateurs soudanais sous embargo. La banque a délibérément et sciemment traité environ 1,74 milliard de dollars pour le compte d’entités cubaines sanctionnées pour la même raison. Enfin, elle a participé à plus de 650 millions de dollars de transactions impliquant des entités liées à l’Iran, également sous embargo (des activités prolongées jusqu’en 2012).
Au Soudan, des comportements affairistes
Les faits révélés au Soudan, reconnus par BNP Paribas dans son « plaider coupable » sont particulièrement graves. Non seulement les États-Unis ont vu leur politique étrangère bafouée, mais la banque est accusée d’avoir fourni un appui aux gouvernements qui menaçaient à la fois la sécurité du pays et de la région. A maintes reprises, les dirigeants de BNP Paribas ont été tenus au courant des risques, en particulier par les services de conformité de la banque, mais ils ont toujours privilégié les relations commerciales avec le pays qui, ont d’ailleurs pu conduire à développer d’autres affaires. Ils ont servi un gouvernement qui a commis des violations flagrantes des droits de l’homme et a entretenu des liens avec le terrorisme.
Le « statement » du DOJ fournit beaucoup d’explications édifiantes sur les méthodes utilisées par BNP Paribas pour masquer les opérations en dollars et perpétrer ce courant d’affaires.
Voici, en substance, ce qu’a relevé la justice américaine au cours de ses enquêtes :
Les agents de BNP Paribas, dans le cadre de leurs fonctions et au moins en partie au profit de la banque, exécutaient des opérations illicites en passant sciemment par des banques et des entités qui se trouvaient dans des pays qui n’étaient pas soumis à l’embargo américain.
La complexité des opérations, l’effacement délibéré de la nationalité soudanaise des clients, l’utilisation de « banques satellites » créées uniquement pour masquer les transactions, la dissimulation volontaire de l’origine ou le bénéficiaire des transactions interdites par la justice américaine, ont servi les affaires de la banque.
En 2005, des signaux envoyés au conseil d’administration ?
Ainsi, par exemple, les messages relatifs aux transferts d’argent en dollars impliquant des affaires soudanaises, s’accompagnaient-ils de mentions comme « Attention : Embargo US » ou « En raison de l’embargo américain sur le Soudan, veuillez débiter notre compte sans mentionner notre identité sur l’ordre de paiement ».
Jusqu’en 2004, la règle à l’intérieur de la banque était « N’indiquez en aucun cas, le nom d’entités soudanaises sur les messages transmis aux banques américaines ou à des banques étrangères installées aux Etats-Unis. »
S’agissant des banques « satellites », le DoJ relève que les services de conformité en connaissaient l’existence. « L’activité principale de certains clients de BNP Paribas est de domicilier les flux de trésorerie en USD dans nos livres pour le compte de banques soudanaises. Ces arrangements ont été mis en place dans le contexte de l’embargo américain contre le Soudan…» indiquait le rapport de compliance de 2005.
Or, un rapport sur les risques et la conformité est examiné annuellement par les membres du Comité des risques de BNP Paribas au sein de son conseil d’administration. Les administrateurs ont-ils vraiment ignoré ces pratiques. Et si c’est le cas, que valait pendant toutes ces années, la surveillance exercée par ce comité à qui on pouvait cacher l’origine de transactions portant sur une dizaine de milliards d’euros ?
Les services de conformité mal à l’aise avec ces opérations
Depuis 1997, BNP Paribas Genève avait accepté d’être la seule banque correspondante en Europe pour le gouvernement soudanais et toutes les banques soudanaises passaient donc par BNP Paribas qui avait développé un système de lettres de crédit très profitable. Elles représentaient environ un quart des exportations soudanaises et environ un cinquième des importations, pour la plupart libellées en dollars US.
Une partie des employés de BNP Paribas connaissait le rôle central de BNP Paribas dans le financement de ces transactions en dollars US. Compte tenu des accusations, de violation des droits de l’homme et de soutien au terrorisme, certains salariés étaient mal à l’aise.
Par exemple, en 2004, l’un d’eux basé à Genève qualifie dans un courriel, l’environnement politique au Soudan comme « dominé par la crise du Darfour » et évoque une « catastrophe humanitaire».
En avril 2006, un senior qui travaille dans un service de conformité de BNP Paribas à Paris écrit dans un mémo qu’il est peu probable que la croissance des revenus du pétrole soudanais, aide à mettre fin au conflit au Darfour, et qu’il est probable que la situation au Soudan restera longtemps marquée par l’insurrection, et les mesures répressives qui s’en suivent.
La direction rappelle le rôle central du gouvernement soudanais
En mars 2007, un autre senior faisant également partie des services de conformité, va encore plus loin. Il rappelle que certaines banques soudanaises avec lesquelles traitent BNP Paribas « jouent un rôle central dans le soutien du gouvernement soudanais qui… a reçu Osama Ben Laden et a refusé l’intervention des Nations Unies au Darfour. »
Quelques mois plus tard, en mai 2007, un dirigeant de BNPP Paris avec des responsabilités en matière de conformité, diffuse un message dans les agences de la banque : « Dans un contexte où la communauté internationale fait pression pour mettre fin à la situation dramatique au Darfour, personne ne comprendrait que BNP Paribas persiste (dans le financement du commerce au Soudan). Cela pourrait être interprété comme un soutien aux leaders à la tête du pays ».
Des alertes de la Fed dès 2004
Retour en arrière. Déjà en 2004, la Fed de New York, avaient réclamé une amélioration des systèmes de conformité de BNP Paribas New-York. A l’époque, deux dirigeants seniors de BNP Paribas se réunissent à Genève et donnent de nouvelles instructions pour continuer le business du financement en dollars de pays sous embargo sans être susceptible d’être attaqué par la réglementation américaine.
Les employés de la banque sont de plus en plus mal à l’aise avec cette position mais la direction générale considère opportun de maintenir les relations d’affaires en mettant en avant « l’avantage que confère la position au Soudan ».
Fin 2005, un agent de conformité évoque dans une note très explicite « La relation privilégiée et historique maintenue avec les institutions dans les pays sous embargo total du commerce des États-Unis (Soudan)…Les pratiques pour contourner les embargos de certains groupes, en particulier les groupes américains ». Le même agent relate à la suite d’une réunion « un dirigeant senior de BNP Paribas a rejeté les préoccupations des responsables de la conformité et a demandé qu’il n’y ait aucun compte rendu de la réunion ».
La Banque s’estime dans son droit jusqu’en 2006
Il faut dire que jusqu’en mai 2006, de l’avis général (y compris celui de ses avocats), BNP Paribas ne pensait pas contrevenir à la réglementation américaine, ou plutôt les dirigeants croyaient avoir trouvé un moyen de ne pas se faire prendre.
Après juillet 2006, compte tenu des nouveaux avis des avocats, la banque ne pouvait plus ignorer qu’elle courait des risques. Ce qui ne l’a pas empêché de continuer les transactions et donc de se mettre délibérément en risque. Et ceci bien qu’à cette époque, à l’issue d’une réunion où sont mis en avant les intérêts commerciaux de BNP Paribas au Soudan, les services de conformité tirent de nouveau la sonnette d’alarme et se désolidarisent de la direction.
Trois employés de BNP Paribas Genève montent alors au créneau pour souligner « l’importance fondamentale de ces [banques satellites] qui réside dans le fait qu’elles nous permettent de recevoir des fonds entrants…. des banques soudanaises comme couverture pour leurs transactions commerciales sur nos livres…. en outre, … nous entretenons des relations commerciales avec ces [satellites]. Les banques offrent un potentiel commercial important, pas seulement dans le cadre de nos relations avec le Soudan. ». Malgré ces arguments, les services parisiens de la banque insisteront sur les risques.
L’OFAC rencontre des dirigeants de BNP Paribas dès 2007
Un lanceur d’alerte s’est-il manifesté auprès de l’OFAC ? On peut le supposer car l’office américain, chargé de contrôler le respect des embargos, rencontre en mai 2007, les dirigeants new-yorkais de BNP Paribas.
Les opérations délictueuses sont alors stoppées en juin 2007, mais entre juillet 2006 et juin 2007, selon la justice américaine, BNP Paribas a encore sciemment, volontairement et délibérément traité un total d’environ 6,4 milliards de dollars américain de transactions illicites impliquant le Soudan, sur les 8,8 milliards qui lui sont reprochés sur ce pays en particulier.
* Génocide au Darfour : L’ONU estime « que quelque 300 000 personnes sont mortes lors de ces combats, mais aussi en raison des attaques contre des villages et des politiques de terre brûlée »
Bon récapitulatif. Cette affaire me reste en travers de la gorge, des années après. Bien sûr tout le monde en France a hurlé au scandale de l’extraterritorialité des lois américains : que la BNP ait été punie de 9 milliards pour avoir financé le génocide au Darfour était une considération de peu d’importance, simple bagatelle ! Pour se dédouaner de ce fiasco, les dirigeants de la BNP – à l’époque, il s’agissait de Michel Pébereau, Président, et Baudoin Prot, DG – ont argué qu’ils n’y étaient pour rien, que les agissements criminels étaient le fait d’une filiale suisse hors de contrôle. Ah bon, et donc, ça les dédouane, ça? On entend les instances patronales nous seriner à longueur de journée que les confortables rémunérations de nos dirigeants de grandes entreprises ne sont que la contrepartie des lourdes responsabilités qu’ils assument. Et contrôler leurs filiales ne fait pas partie de leurs… Lire la suite »