L’activiste américain Carson Block qui a fondé Muddy Waters est amer et il y a de quoi ! Dans un communiqué publié ces jours derniers, il rappelle qu’ « en décembre 2015, Muddy Waters Capital avait mis en garde le marché contre Casino, Rallye et la façon dont l’ensemble était géré par Jean-Charles Naouri ». Ce dernier tentait déjà à l’époque de conserver le contrôle de son groupe grâce à une cascade de holdings et vampirisait la trésorerie de Casino afin de payer leurs dettes insoutenables. Dans les études que Muddy Waters avait publié, l’équipe de Carson Block démontrait clairement que Casino publait des informations qui induisait l’investisseur en erreur, afin de protéger les intérêts patrimoniaux du PDG et l’activiste vendait l’action Casino à découvert.
Ce qui est devenu l' »affaire Casino » a finalement éclaté au grand jour le 23 mai dernier, avec l’entrée en procédure de sauvegarde des holdings de contrôle de Casino, Rallye, Finatis, Euris et Foncière Euris. Les holdings poursuivies par les créanciers ont maintenant au maximum 18 mois de répit. Ils seront mis à profit pour trouver une solution à l’endettement de près de 3 milliards € auprès d’une vingtaine de banques.
Deux administrateurs judiciaires ont été nommés. Il s’agit, sans surprise d’Hélène Bourbouloux et de Frédéric Abitbol qui font la pluie et le beau temps sur toutes les grandes opérations de restructuration en France avec des solutions qui connaissent des fins plus ou moins heureuses pour les minoritaires ( CGG, Solocal, Sequana, SNCM, Doux… etc). Le plan de sauvegarde qui doit être mis sur pied, devra être accepté par les actionnaires des holdings et notamment de Rallye, à la majorité des deux tiers ( Jean-Charles Naouri contrôle plus de deux tiers des droits de vote voir organigramme ) s’il s’agit notamment d’une transformation de dette en capital, ce qui est probable. Au cours actuel de Casino, la cession de la participation de Rallye dans Casino ( 50 %) ne suffirait pas à combler le passif des holdings.
Des procédures bâillons pour les lanceurs d’alerte
La mise en place de structures empilées afin de contrôler le géant de la distribution, avec le minimum de mise de fond et le maximum de dettes, a profité pendant des dizaines d’années de la complicité de toute la sphère financière parisienne. Sans cela, il y a longtemps que le château de carte de l’ancien directeur de Cabinet du premier ministre Pierre Bérégovoy, se serait effondré.
Muddy Waters rappelle, dans son communiqué, qu’il a trois ans et demi déjà, son équipe d’analystes avait lancé l’alerte, mais n’avait pas été entendu. Jean Charles Naouri avait alors pu poursuivre le syphonage des actifs et des liquidités de Casino. L’appui à Casino de l’agence de notation Fitch Rating et de son président Marc Ladreit de la Charrière, administrateur de Casino, sanctionnés depuis par l’ESMA, avait été montrée du doigt. Fin 2018, l’avocate Sophie Vermeille intervenant pour des hedge funds en position de vendeur à découvert, était, elle aussi montée au créneau mais elle avait très vite été bâillonnée par une pluie d’actions en justice, initiées par Jean-Charles Naouri. En novembre 2018, au même moment, le président de l’AMF Robert Ophèle était lui-même intervenu dans un interview au quotidien Les Echos, mettant garde contre les fonds vautours que représentait l’avocate. Le marché s’était senti ainsi réconforté sur l’avenir de Casino.
La sphère financière préfère tirer sur le messager
« A cause de ce syphonage, Casino est plus vulnérable à la concurrence étrangère et sa capacité à assurer l’emploi de plus de 220 000 travailleurs est moins certaine. Sans compter que les banques françaises et les investisseurs ont perdu de l’argent dans Rallye et les autres sociétés holding » explique aujourd’hui Muddy Waters. Le PDG de Casino va devoir passer à la caisse. Lors de l’intervention fin 2015 de Muddy Waters, Rallye cotait environ 12 euros. Le cours a, depuis, été divisé par 4. Si Jean -Charles Naouri avait été davantage incité à accepter une négociation avec les créanciers à l’époque, il n’aurait peut-être pas risqué de tout perdre, comme aujourd’hui.
Mais, plutôt que d’écouter celui qui donne l’alerte, les autorités françaises ont toujours préféré tirer sur le messager. « Fin 2016, il nous a été clairement indiqué que M. Naouri avait obtenu le soutien de certaines personnes influentes. En conséquence, nous nous sommes sentis obligés de fermer nos positions de vendeur à découvert. Nous avons également annulé la publication d’un nouveau rapport sur Rallye et Casino» explique Muddy Waters. On saura peut-être un jour, qui étaient ces personnes influentes début 2016.
Une France peu accueillante pour les investisseurs lanceurs d’alerte
En France, les autorités préfèrent souvent écouter les entreprises qui imputent leurs échecs sur ce qu’elles présentent comme des « attaques spéculatives », alors que les dirigeants tirent la couverture à eux et entament des procédures judiciaires qui servent de bâillon et jettent un voile pudique sur l’opacité comptable.
Muddy Waters constate aussi « que, jusqu’à aujourd’hui, la France est un endroit peu accueillant pour les investisseurs qui sont aussi des lanceurs d’alerte », et que l’enquête de l’Autorité de Marchés Financiers à son encontre est toujours en cours, plus de trois ans après les faits.
« Nous espérons que les procédures de sauvegarde … renforceront Casino, préserveront, voire crééront des emplois. De plus, nous encourageons l’AMF à diriger davantage son focus sur les avertissements des sceptiques que sur les sceptiques eux-mêmes » fait remarquer à juste titre l’activiste.
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