La gouvernance de La Française des jeux (FDJ) dont la privatisation devait se terminer le 19 novembre 2019 pour son Offre à prix ouvert, part avec un gros handicap. Primo, l’entreprise a beau se présenter sous son meilleur jour, impossible de la faire figurer sur la liste des investissements socialement responsables. Secundo, l’Etat se livre à un véritable racket fiscal de l’entreprise, et après la privatisation rien ne devrait changer. Terzio, pour les actionnaires minoritaires, la cohabitation au capital avec l’Etat dont dépend le monopole de la FDJ, laisse entrevoir des occasions multiples de conflits d’intérêts. Or, on peut être certain que l’Etat qui restera avec 21 % du capital, fera en sorte de faire passer son propre intérêt avant tout, comme il l’a fait chez EDF.
Alcool, Tabac, Jeux…l’industrie du vice pas vraiment RSE
Pour faire du green washing, les publicitaires ont décidé de forcer le trait et de faire du premier handicap de la Française des Jeux, un atout. Ils expliquent dans une vidéo « historique », que l’entreprise, devenue FDJ en 2014, a été créée en 1933 pour venir en aide aux « Gueules Cassées » laissées pour compte de la Première Guerre mondiale. En mobilisant la solidarité des Français, une partie des recettes étaient reversées à cette cause. Aujourd’hui encore, « une partie des mises collectées par les jeux de loterie et les tickets à gratter est redistribuée en faveur de projets sociaux et sociétaux », rappelle la publicité concoctée par Havas Media. Elle fait appel à l’émotion, et explique qu’en jouant à des jeux d’argent, vous faites une bonne action, mieux, que la FDJ est finalement une entreprise utile !
Une supercherie qui peut fonctionner avec les actionnaires individuels peu méfiants, mais qui a peu de chances de séduire les investisseurs de long terme, ceux qui investissent de façon responsable et durable. Leader français sur le marché de la cupidité, la FDJ est une entreprise socialement irresponsable qui incite les personnes les moins argentées, à tenter leur chance avec très peu de chances de gagner. Les joueurs misent ainsi 15 milliards € par an dans les bureaux de tabac ou sur internet pour ce miroir aux allouettes !
L’Etat privatise la Française des jeux mais conserve sa poule aux oeufs d’or
Si gagner beaucoup d’argent sans efforts fait rêver. Ce rêve profite surtout à l’Etat français qui se comporte en véritable « mère maquerelle ». Au nom de la solidarité, l’Etat prélève et continuera à prélever environ 3,5 milliards € sur les revenus bruts de la Française des Jeux en 2019, en 2020 et suivantes, qu’il soit ou non actionnaire. Cette ponction sous forme de taxe et de CSG s’est appliqué au produit brut des jeux ( PBJ = mise des joueurs – gains des joueurs) de 5,5 milliards € en 2018. C’est donc presque deux-tiers des revenus de la FDJ qui sont syphonés par le ministère du budget où on encaisse sans scrupule une partie des mises prélevées sur les économies des moins fortunés.
Les petits porteurs qui vont souscrire à la privatisation vont donc investir dans une entreprise utile à l’Etat, puisqu’ils vont aider à financer une activité dont la principale « raison d’être », on l’aura compris est de remplir les caisses. Et 2019, sera à coup sûr l’année du JackPot pour le ministre du budget : avec la privatisation de la Française des Jeux, l’Etat retirera environ 1,7 milliard de l’opération qui s’ajouteront aux 3,5 milliards € de prélèvements annuels et à un prélèvement arbitraire de 380 millions € soit un total de 5,5 milliards attendus au budget. La FDJ sera vendue aux actionnaires après l’assèchement de deux tiers de sa trésorerie. L’annonce par l’Etat d’un changement de la fiscalité des jeux au 1er janvier 2020 ne sera que cosmétique puisqu’il ne diminuera pas les montants prélevés au titre de la fiscalité et des prélèvements sociaux !
L’Etat garde un rôle prépondérant, source de conflits d’intérêts
Louis Bulidon, actionnaire individuel, actif dans les assemblées générales du CAC40, nous accordait en 2015, une interview pour expliquer pourquoi il avait renoncé à investir dans les entreprises où l’Etat était actionnaire.
Relire l’interview de Louis Bulidon » Le capitalisme d’Etat est une boîte noire »
Il y a quatre ans, il expliquait ainsi ses réticences « Il suffira pour s’en convaincre de se pencher avec les bonnes sources d’information sur la gestion calamiteuse du nucléaire français tant civil que militaire, lourd d’un passif qui menace de se dégrader de nouveau avec le vieillissement du parc des centrales, les enjeux insurmontables aujourd’hui de son renouvellement ou encore l’entreposage et l’enfouissement des déchets radioactifs. Par ailleurs, concernant les autres sociétés citées, le mélange des genres entre public et privé et ses interférences politiques ou politiciennes me font douter du respect accordé à la défense des intérêts des petits épargnants. Les minoritaires sont souvent considérés comme force d’appoint au capital mais mis à l’écart des grands enjeux stratégiques dont ils ne subissent que les conséquences, bonnes ou mauvaises. Le capitalisme d’État comme celui de ses grands associés du privé est une boîte noire dont il vaut mieux sortir si on y est entré ! » expliquait Louis Bulidon qui ne s’est pas trompé sur EDF puisque depuis la mise en Bourse de 15 % de son capital en 2012, le cours d’introduction (32 €) a été divisé par 3,5 !
Dans le cas de la privatisation de la Française des Jeux, l’Etat se déleste de 52 % du capital mais reste avec 21 % de celui-ci après l’opération (y compris après la distribution des actions gratuites). Côté gouvernance de l’entreprise, l’actionnariat issu de la privatisation détiendra au mieux, 45,6 % du capital et seulement 30,5 % des droits de votes, tandis que, grâce aux droits de vote doubles, qu’il s’est attribués l’Etat contrôlera 29 % des droits de votes. Il sera quoiqu’il arrive un actionnaire tout puissant puisque c’est lui qui accorde le monopole dont bénéficie la FDJ. Pour l’exploitation en France des jeux de loterie en points de vente et en ligne ainsi que pour des paris sportifs en points de vente, la FDJ a obtenu la reconduction de ces droits exclusifs pour une durée de 25 ans. Ce monopole porte sur 95 % des mises des joueurs, c’est grâce à cela que la société contrôle 50 % du marché des jeux d’argent. Mais pour combien de temps ? On imagine que l’accord unique au monde, puisse être dénoncé assez vite par Bruxelles. Dans la convention signée avec l’Etat, il est envisagé d’ailleurs les conséquences d’un changement de réglementation mais sans toutefois qu’on sache clairement ce qu’il adviendra alors¹. Rien de rassurant pour le minoritaire qui va cohabiter avec l’Etat au capital.
¹ Le risque est mentionné dans le document de référence de l’entreprise FDJ comme suit. « La Convention prévoit notamment qu’en cas de réduction de la durée ou du périmètre des droits exclusifs, les parties se rapprochent pour examiner si ce changement est de nature à substantiellement dégrader les conditions économiques del’exploitation des activités de FDJ. Dans l’affirmative, FDJ peut proposer à l’Etat, qui s’engage à les examiner, les mesures nécessaires pour permettre la poursuite des activités dans des conditions économiques non substantiellement dégradées. »