Les actionnaires de Solocal furieux se sont regroupés en association et étudient la possibilité d’une action en justice pour faire respecter leurs droits élémentaires : des explications sur les comptes, une information honnête et la tenue d’une AG avant le 30 juin.
Le conseil d’administration de SoLocal dont quatre membres étaient menacés d’être éjectés par des actionnaires individuels regroupés en association, a tout bonnement décidé de reporter l’assemblée générale prévue fin juin. C’est ce qu’a annoncé le conseil le 19 mai dernier en même temps que sortait le communiqué des comptes trimestriels. Le soutien du Tribunal de commerce dans ce report n’a sans doute été qu’une formalité. En effet, il n’est pas très difficile de faire reporter une AG, nous a confié un avocat du cabinet Avistem, qui s’occupe de plusieurs affaires de minoritaires, « Il suffit d’envoyer une requête un peu motivée au Tribunal de commerce et vous recevez rapidement une ordonnance prorogeant la date limite d’AGOE, et ce, sans débat contradictoire « . Et pour Solocal, d’autant plus facilement que la société s’est placée en 2014 en procédure de sauvegarde financière.
Le prétexte invoqué par la société, est celui d’un report en vue d’une restructuration financière non bouclée qui pourrait intervenir en septembre. Or, comme le rappelle en substance, un communiqué » de l’association RegroupementPPLOCAL créée en avril dernier, rien ne pressait. « Les opérations de restructuration ne s’imposent qu’à l’horizon 2018 » explique t-elle, se disant « convaincue qu’il existe d’autres options pour régler différement le problème causé par un endettement par ailleurs inique. » Malgré cet endettement SoLocal qui paient des frais financiers très lourds à ses créanciers est dans une situation opérationnelle équilibrée avec 72 % de son activité sur le numérique, un marché où les audiences moyennes ont progressé de 16,7% en 2015 . En l’état actuel des informations disponibles, les comptes consolidés sont bénéficiaires et le ratio de marge opérationnelle (Ebitda/Chiffre d’affaires) est attendu à 28% en 2016. Les analystes d’Exane voient l’Ebitda autour de 200 millions d’euros en fin d’année. « Elle respecte encore ses covenants pourtant sévères et n’a aucun problème de liquidité puisque sa trésorerie atteint 82 millions et qu’elle dispose encore d’une ligne de crédit non tirée » peut-on lire dans le communiqué de presse envoyé par l’association des actionnaires le 25 mai 2016.
Des comptes 2015 avec une perte de 1,8 milliard en social qui mérite une explication
Mais si la situation opérationnelle apparait saine, pour le bilan, c’est une autre affaire. La Société est endettée à hauteur de 1,1 milliard € mais surtout les capitaux propres de la société de tête Solocal SA ont été ramenés à 55 millions € fin 2015 pour un capital social de 230 millions, ce qui impose une réduction de capital ou une recapitalisation.
Les actionnaires les plus attentifs ont en effet découvert le 30 avril dernier, en lisant le document de référence qu’une provision pour dépréciation de 1,6 milliard ( une paille !) avait été discrètement passée sur la valeur de la filiale PagesJaunes, dans les comptes sociaux fin 2015. Aucune justification chiffrée dans les documents validés par les commissaires aux comptes, ni même aucune annonce particulière indiquant que cette filiale est dans une situation qui justifie une perte de plus de 40 % de sa valeur résiduelle, n’accompagne la publication de ces comptes sociaux qui de fait sont dans le rouge : – 1,8 milliard € de perte au 31 décembre dernier !
Nous avons questionné le comité d’audit du conseil de SoLocal sur cette provision de 1,6 milliard. Il nous a renvoyé sur la société, laquelle ne nous a fourni aucune explication. Il est clair qu’en AG , c’est le genre de questions que la Direction aura préféré éviter. Et le meilleur moyen était de repousser la date à laquelle il allait falloir s’expliquer !
Des explications non recevables pour repousser la date de l’AG
Dans une lettre adressée le 20 mai à Jean-Pierre Rémy (DG de SoLocal) et à Robert de Metz ( Président), Alexandre Loussert, le président de l’association insistait « Rien ne s’oppose à ce que vous procédiez, avant le 25 mai au plus tard, aux opérations de convocation de l’Assemblée Générale afin que le déroulement normal de la démocratie sociétale puisse se prononcer, sans obstruction, selon le calendrier légal. La question de la restructuration financière de la société n’est, selon vos propres termes, qu’un objectif. Elle n’est donc qu’une hypothèse, par nature aléatoire, qui ne justifie en rien le report de l’Assemblée Générale Ordinaire annuelle. » Rien en effet, sauf peut-être les explications à donner sur la perte de 1,8 milliard € dans les comptes sociaux, dont certains initiés ont d’ailleurs pu avoir connaissance au moment de la clôture des comptes. y aurait-il un lien avec les ventes à découvert massives du 11 février dernier !
Toujours est-il que la lettre de l’association des actionnaires, demandant de surseoir au report de l’AG est restée sans suite, la Direction n’a apporté aucune réponse. Et elle s’est bien gardée d’indiquer clairement la situation de ses comptes sociaux. L’association a donc décidé d’alerter la presse, de prendre un avocat et de continuer à défendre l’entreprise qui subit les assauts de communication négative de la Direction.
En effet, dans le communiqué adressé au marché le 19 mai, le conseil d’administration de SoLocal mis en cause par les actionnaires, n’hésite pas à tenir des propos incitant les actionnaires actuels à vendre leurs titres pour pouvoir souscrire à une augmentation de capital qui pourrait potentiellement avoir lieu en septembre et qui est d’ores et déjà annoncée comme dilutive.
L’annonce d’une probable opération dilutive sans suspension de cours
Faire une telle annonce alors même que l’opération n’est pas verrouillée, et sans suspension de cours a conduit naturellement à l’arrivée d’un bataillon de vendeurs à découvert ( SoLocal est la troisième valeur qui a, en France, la plus grande position de ventes à découvert). Ces opérations spéculatives qui parient sur la baisse du cours ont encore accentué la chute de l’action.
En trois jours, SoLocal a encore perdu un tiers de sa valeur en Bourse. Quant aux actionnaires de SoLocal, certains ont tiré du message de la Direction, les conclusions suivantes : s’il faut pour protéger ses intérêts, souscrire à l’augmentation de capital en septembre pour éviter la dilution, il faut dégager des liquidités dès à présent, vendre une partie de ses titres pour pouvoir souscrire à un prix bradé en septembre. Résultat, ils ont vendu, et c’est ce qu’anticipaient d’ailleurs les vendeurs à découvert…
Une action sur laquelle on peut gagner beaucoup et vite
Dommage pour toutes les parties prenantes de la Société, la gouvernance a contribué à faire de SoLocal non plus une société qui associe capital et travail, mais une action cotée en Bourse sur laquelle on peut gagner beaucoup et très vite en pariant à la baisse.
La capitalisation boursière a été divisée par deux en l’espace de 3 mois, elle n’est plus que de 130 millions € fin mai 2016. Si une augmentation de capital est lancée, « ce sera sur une base tellement dilutive que les minoritaires actuels pourraient se retrouver du jour au lendemain avec, entre 15 et 30 % du capital au lieu de 87 % actuellement » indique après des calculs, Baudoin de Pimodan, ce que justifie le cours actuel de 3 €. Cet ancien directeur général d’Euris, actionnaire de SoLocal a pris la tête de la fronde des actionnaires avec Alexandre Loussert. Les deux actionnaires sont à l’origine de la création de l’association.
Evidemment, plus le cours s’effondre, plus la dilution des anciens actionnaires sera forte et plus il sera facile d’attirer de nouveaux investisseurs. De là, à soupçonner Robert de Metz et Jean-Pierre Rémy d’avoir volontairement entraîné le cours de Bourse à la baisse, il n’y a qu’un pas… L’annonce du 19 mai et d’autres ayant eu le même effet précédemment, n’ont-elles pas pour dessein de faire rentrer des investisseurs qui ne sont prêts à payer que 2 ou 3 € l’action qui valait 19 € il y a seulement un an ? Certains en sont persuadés.
De son côté Jean-Pierre Rémy explique qu’il a demandé à l’AMF de faire interdire, pendant le temps du refinancement, les achats et ventes à découvert ce qui aurait minimiser l’action des intervenants et limité l’effondrement du cours de bourse. Mais l’Autorité des marchés financiers lui aurait refusé.
L’épargne des petits porteurs engloutie dans l’affaire SoLocal
Les minoritaires sont très en colère ! Il suffit d’ailleurs d’aller sur les forums de Boursorama pour s’en rendre compte.
Lorsqu’en juillet 2014, 32 % du capital de l’ex-Pages Jaunes a été mis en Bourse par Orange ( anciennement France Telecom) sur la base d’un prix de 3,9 milliards €, des centaines de milliers de petits porteurs ont acheté des actions qui ont permis à l’opérateur téléphonique d’encaisser 1,25 milliard €. L’entreprise dans laquelle, plusieurs milliers d’entre eux sont restés investis, a vu son cours culminer à 360 € en juin 2006 puis le cours s’est effondré au dessus de 100 € en 2009. L’arrivée de Jean-Pierre Rémy cette année là, a nourri des espoirs. Lors de sa nomination en mai 2009, l’action valait 126 euros, elle ne vaut plus que 3 € à présent. Le marché de la publication digitale est pourtant en croissance de 17% tandis que SoLocal qui se veut leader en France sur ce secteur annonce dans ses perspectives publiées le 19 mai, que sa croissance sur ce marché sera de 0 à 2 %. Dans une lettre du 16 mars à ses actionnaires, le DG réaffirme en outre que la transformation digitale de l’ex- PagesJaunes est un succès qui justifie d’ailleurs le versement de primes variables aux dirigeants hauteur de 120 % de leur fixe ( prime ramenée à 90 % par décense !).
Les analystes financiers qui se sont fait prendre à contre-pied plus d’une fois par les perspectives de la société, n’ont plus confiance et ne croient plus à l’histoire de SoLocal et de sa Direction qui, année après année fait preuve d’un optimisme démesuré permettant ainsi à de grands investisseurs de sortir du capital dans des conditions honorables.
La restructuration de dettes de 2014 n’a fait que repousser la poussière sous le tapis
L’an dernier, le nominal de l’action a été porté de 0,20 € à 6 €. Le cours s’est ainsi maintenu à ce niveau fin 2015. Ceux qui ont souscrit aux deux augmentations de capital de 2014 ( les actionnaires) et de 2015 ( les salariés) à des prix qui ne faisaient référence qu’au cours de Bourse de l’époque, ont de quoi se poser des questions. Que s’est-il passé entre 2014 et 2016 ? Pourquoi la dépréciation de 1,6 milliard € de PagesJaunes n’a t-elle pas été passée dans les comptes dès 2013 ou 2014, ce qui aurait fait ressortir probablement une valeur de l’action très différente des 15 ou 16,80 € ayant servi de base aux augmentations de capital ? Et n’aurait pas permis à la société d’effectuer le regroupement d’actions ( 30 actions anciennes pour 1 action nouvelle en novembre 2015).
Ces actionnaires peuvent se demandent à juste titre, s’ils n’ont pas été grugés. D’autant que la renégociation de la dette concomittante en 2014 fixait une échéance de remboursement des 1,2 milliards de dettes en 2018 avec un report toujours possible en 2020. Comment le Tribunal de commerce a-t-il pu avaliser un tel plan qui n’a fait que repousser la poussière sous le tapis ?
Comment Robert de Metz ( par ailleurs président de Dexia) qui s’est fait verser des prestations de plus de 400 000 € à titre de conseil dans l’opération de restructuration et a été nommé dans la foulée Président de SoLocal, avec une rémunération fixe de 90 000 € par an, a-t-il pu soutenir puis endosser ce plan ? Pourquoi Jean-Pierre Rémy qui a perçu en 2012, 2013 et 2014 des rémunérations en hausse de respectivement 11, 9 et 11 %, n’a-t-il pas tiré la sonnette d’alarme plus tôt en tant que mandataire social ? Et pourquoi passe-t-il cette dépréciation seulement aujourd’hui tandis qu’il est à la recherche de nouveaux investisseurs qui ne peuvent s’intéresser à SoLocal que s’ils sont certains de rentrer au prix le plus bas possible pour s’offrir ensuite une plus value ?
Pourquoi la BPI n’est-elle pas encore intervenue dans ce dossier où 4200 emplois sont en jeu ?
Un nouveau plan de restructuration de la dette de 1,1 milliard € est en cours de négociation, selon la direction. S’il se solde par un plan massif d’abandon de dettes, Solocal peut probablement s’en sortir et sauver une bonne partie de ses 4200 emplois. C’est sans aucun doute ce qui aurait dû être négocié en 2014, mais on a préféré faire payer les actionnaires à l’époque, en leur demandant de remettre au pot.
SoLocal n’est pas seulement une action, c’est aussi une entreprise avec 4200 emplois en jeu, l’association RegroupementPPLOCAL, soutient aujourd’hui, après avoir étudié la question que l’augmentation de capital n’est pas incontournable, que la Direction et le Tribunal de commerce doivent explorer d’autres voies : demander par exemple une intervention de la Banque Publique d’investissement (BPI-Groupe). Elle serait d’autant mieux inspirée de s’intéresser au dossier que son Directeur général Nicolas Dufourq, un ancien de France Telecom et de Wanadoo ( devenus Orange) connait bien cette affaire. Les banques qui ont prêté pourraient alors de leur côté, a minima desserrer les covenants qui, selon la Direction brident l’investissement. A moins qu’elles ne soient conduites à abandonner une partie de leurs dettes.
NB: l’auteur de cet article est actionnaire de SoLocal, ce qui doit lui permettre de suivre le dossier et d’assister aux assemblées générales
A consulter également :
Le rapport annuel de PagesJaunes de 2005
Le document de référence de SoLocal en 2015
Le site de l’association des minoritaires de SoLocal
A lire également :
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Solocal : à quoi faut-il s’attendre en 2016 ?
Actionnaire des Pages Jaunes, puis de SOLOCAL
A ce jour, je possède 3500 actions avec un prix moyen de 14,40 euros.
Je souhaite me joindre au regroupement.
Naturellement, comme chacun, nous en avons assez de nous faire plumer de cette façon, d’autant plus, qu’au départ Pages Jaunes devait être une valeur de père de famille.
J’aimerais envoyer un don par chèque, voulez-vous me communiquer l’adresse.
Effectivemment bizarre que la direction ne dise rien sur un « effort » des créanciers alors que ce sont eux qui ont maintenant le plus à perdre dans cette affaire.
Beau Combat en perspective – De bons soldats – De la gagne au bout du chemin…