Interview : Loïc Dessaint, Directeur général de Proxinvest, société de conseil de vote aux investisseurs pour les assemblées générales¹, dresse un bilan de la gouvernance des grandes entreprises cotées à Paris, après les AG 2018.
Pour voir cette interview en vidéo réalisée avec Didier Testot (LaBourseetlavie.com)
Comment évolue le travail des conseils de vote aux investisseurs ?
Les résolutions sont de plus en plus débattues à l’avance. Un dialogue s’établit entre les investisseurs, les agences de conseil de vote et les entreprises pour savoir ce qui va être accepté ou pas. Certains sujets sont devenus très techniques au plan juridique, les rémunérations sont fixées de façon très différentes d’une société à l’autre ce qui rend l’analyse complexe.
« Nous avons dialogué cette année avec 70 entreprises françaises en amont des AG »
Comment se passe le dialogue avec les émetteurs, comment accueillent-ils vos recommandations aux investisseurs ?
Il existe toujours des liens un peu plus conflictuels avec certains émetteurs qui sont un peu plus critiqués et qui l’acceptent mal. Mais c’est un dialogue d’adulte. Nous avons dialogué cette année avec 70 entreprises françaises en amont des AG. Elles cherchent à recueillir notre avis ou parfois nous les sollicitons sur certains problèmes que l’on détecte lors de l’analyse de leurs résolutions.
« Le cumul des fonctions de Président et de Directeur général reste une pratique mal vue des investisseurs qui considèrent qu’on ne peut pas exercer un contrôle sur soi-même »
Quels sont les sujets qui ont intéressé, en priorité, les investisseurs à l’occasion des AG 2018 ?
Lors des AG 2018, nous avons eu en France, beaucoup de résolutions conduisant au renouvellement de PDG ( Président-directeurs généraux). Or, le cumul des fonctions de Président et de Directeur général (NDLR : plus de la moitié des entreprises du CAC40) reste une pratique mal vue des investisseurs qui considèrent qu’on ne peut pas exercer un contrôle sur soi-même et qui prônent la dissociation des fonctions. En France, nous avons donc défini une politique de contre-pouvoirs visant à nommer une majorité d’administrateurs indépendants au conseil, un administrateur référent qui lui aussi doit être indépendant et à qui il est confié certains attributs et notamment celui de réunir les administrateurs hors de la présence des dirigeants. Ce shéma se développe.
« Chez Michelin, Sodexo, Legrand, on a assisté à des transitions en douceur, il y a une continuité, on sent que l’entreprise perdure au delà d’un individu. Dans d’autres cas, comme chez Renault la succession est plus tendue. »
Nous constatons également cette année beaucoup de transitions à la tête des entreprises. Il est intéressant pour les investisseurs d’étudier comment se passent ces successions. Car ces entreprises n’appartiennent pas à une seule personne et elles doivent savoir passer la main dans de bonnes conditions. Chez Michelin, Sodexo, Legrand, on a assisté à des transitions en douceur, il y a une continuité, on sent bien que l’entreprise perdure au delà d’un individu. Dans d’autres cas, comme chez Renault la succession est plus tendue. L’Etat et la Direction négocient, le PDG est renouvelé pour un nouveau mandat, la décision est prise à l’arrachée, ce n’est peut-être pas normal car ce genre de transition s’anticipe.
« Un président non exécutif perçoit autour de 500 000 euros annuels, or quelqu’un comme Maurice Lévy chez Publicis est rémunéré 2,8 millions d’euros pour 2017…Chez Proxinvest, nous avons considéré que c’était beaucoup trop »
A-t-on toujours le cas des anciens PDG qui font tout pour durer en siégeant au conseil de surveillance ?
Effectivement c’est parfois le cas. A 72 ans, Maurice Lévy reste Président du conseil de surveillance de Publicis, il assure la transition avec certains clients, pourquoi pas, mais dans son cas, se pose aussi le problème de la rémunération. Un président non exécutif est rémunéré autour de 500 000 euros, or quelqu’un comme Maurice Lévy chez Publicis est rémunéré 2,8 millions d’euros. Il y a des questions à se poser et chez Proxinvest nous avons considéré que c’était beaucoup trop.
« Certains départs sont quasiment volontaires….pourtant le conseil octroie au PDG un « golden parachute » comme chez Nexans ou Elior »
S’agissant des conditions de départ des dirigeants, les golden parachutes sont toujours de mise…
S’agissant des AG 2018, aucun des golden parachutes identifiés ne nous semble justifié. Certains départs sont quasiment volontaires, soit que la situation ne convient plus au PDG, soit qu’il avance des raisons personnelles, pourtant on lui octroie un « golden parachute » comme chez Nexans ou Elior, on maintient ses attributions d’actions gratuites. On parle de 2-4-7 millions d’euros de « package de départ ».
« On verse une indemnité de non concurrence, à des dirigeants qui partent en retraite comme si Michel Landel ou Maurice Lévy qui ont fait le succès de leur groupe, allaient débarquer demain matin chez un concurrent »
Lors de certains départs à la retraite, l’entreprise verse une retraite chapeau. Non seulement Georges Plassat part avec plus de 500 000 euros de retraite annuelle et Michel Landel quitte Sodexo, avec lui aussi une rente importante, mais ce qui est choquant, c’est qu’en plus on leur verse une indemnité de non concurrence. Comme si des dirigeants comme Michel Landel ou Maurice Lévy qui ont fait le succès de leur groupe, allaient débarquer demain matin chez un concurrent. ( NDLR : Même cas de figure chez CGG avec Jean-Georges Malcor). Ces « fausses indemnités de départ », représentent souvent au total des sommes de 3-4-5 millions d’euros, elles sont vraiment abusives.
« Les émetteurs alignent de plus en plus les rémunérations avec la performance à long terme de l’entreprise. Le problème reste évidemment les montants versés. Chez Vinci, Xavier Huillard s’est vu proposer une augmentation de 20 % de son fixe »
A-t-on toujours une différence de vue entre les investisseurs anglo-saxons moins regardants sur le niveau des rémunérations des dirigeants et les investisseurs français ?
La vigilance des investisseurs augmente surtout sur le niveau de transparence des rémunérations. Ils réclament et obtiennent de plus en plus la communication des taux de réalisation des critères de performance qui servent de base au calcul des rémunérations. On observe aussi chez Proxinvest que les émetteurs alignent de plus en plus les rémunérations avec la performance à long terme de l’entreprise. Le problème reste évidemment les montants versés. Chez Vinci, Xavier Huillard s’est vu proposer une augmentation de 20 % de son fixe, c’est une résolution qui a été fortement contestée (54 % de votes « pour » seulement). Les hausses des rémunérations sont contestées mais paradoxalement, certaines rémunérations très élevées continuent d’être largement approuvées, car les investisseurs étrangers sont moins sensibles à ces sujets. La rémunération de Thierry Pilenko, dirigeant de TechnipFMC, qui est maintenant basé à Londres, a explosé. La fusion de Technip avec l’américain FMC lui a permis de s’aligner sur les pratiques américaines, mais du point de vue français, ça choque.
« Si le comité des rémunérations a recours à un chasseur de tête , et si un profil type a été prédéfini, il se peut que les administrateurs ne connaissent pas le PDG. Ce fut le cas chez AirLiquide cette année »
Le rôle des administrateurs reste un sujet récurrent, sont-ils vraiment indépendants ?
L’indépendance des administrateurs varie d’une société à l’autre. En fait, le processus de sélection joue un rôle important. Si le comité des rémunérations a recours à un chasseur de tête , et si un profil type a été prédéfini, il se peut que les administrateurs ne connaissent pas le PDG. Ce fut le cas chez AirLiquide cette année avec la nomination d’une administratrice américaine que le PDG Benoît Potier ne connaissait pas. Mais dans beaucoup de cas , il ne faut pas se leurrer, l’administrateur nommé au conseil est pré-agréé par le président et son indépendance est donc plus limitée.
Ce que nous observons, c’est une évolution dans la quantité de travail demandée aux administrateurs. Indubitablement, ils travaillent plus. On est parfois choqué par le taux d’absentéisme trop élevé mais c’est souvent la conséquence de cette charge de travail.
« La recommandation du code Afep Medef qui consiste à faire siéger un administrateur salarié dans ces comités de rémunération, n’est pas toujours appliquée. Cela nous semble pourtant une bonne idée. »
Assiste-t-on après les AG 2018, à une plus grande diversité des conseils d’administration ou bien retrouve-t-on toujours les mêmes noms ?
On reste en France avec un capitalisme entre personnes qui se connaissent, mais de moins en moins. Le cumul des mandats régresse, les administrateurs croisés ont presque disparu si ce n’est dans quelques situations spéciales comme Renault Nissan. Les choses s’améliorent.
Le problème reste la composition des comités de rémunération. Là effectivement siègent souvent les mêmes profils de hauts dirigeants ou d’anciens hauts dirigeants. Et aucun d’eux n’a intérêt à ce qu’on ramène les rémunérations patronales à des niveaux acceptables. Pour un PDG du CAC40 on est aux alentours de 5 millions d’euros par an. La recommandation du code Afep Medef qui consiste à faire siéger un administrateur salarié dans ces comités de rémunération, n’est pas toujours appliquée. Cela nous semble pourtant une bonne idée. Il faut diversifier la composition de ces comités de rémunération.
« Il y a beaucoup d’engagement sur ces sujets , à l’étranger notamment, chez Shell ou Statoil, des résolutions ont été déposées par des actionnaires en AG. Nous les avons soutenues. »
Les investisseurs sont-ils sensibles aux sujets qui concernent l’environnement et les droits de l’homme ?
La loi de transition énergétique a introduit un article 173 qui oblige les investisseurs à s’engager pour limiter les conséquences du changement climatique. Il y a beaucoup d’engagement sur ce sujet , à l’étranger notamment, chez Shell ou Statoil, des résolutions ont été déposées par des actionnaires en AG. Nous les avons soutenu.
En France, Phitrust Active Investors, que nous conseillons, a déposé des questions écrites, dans toutes les AG du CAC40 pour inciter les entreprises à adhérer aux « Science based targets »². Les investisseurs qui sont derrière ces demandes, souhaitent que les entreprises s’engagent individuellement à définir des grands objectifs de réduction de CO2 qui soient alignés avec les accords de Paris. C’est très difficile à établir mais cette initiative s’y attache. Et de plus en plus d’entreprises se prêtent au jeu de manière volontaire ou acceptent, sous la pression des actionnaires, de faire évoluer leurs comportements.
¹ En partenariat avec LaBourseetlavie.com
² Les « Science based targets » sont censés vérifient scientifiquement que les engagement climatiques des entreprises, sont alignés avec l’objectif général de 2 % de réduction de CO2 inscrits dans les accords de Paris.