La loi Sapin II et son Say on pay contraignant, qui devaient révolutionner les AG du SBF120 et inciter les dirigeants à la modération, n’ont rien changé du tout. Même les investisseurs qui tablaient sur un alignement de la paie des patrons d’entreprises cotées avec la création de valeur pour l’actionnaire ont de quoi être déçus.
20 % des minoritaires qui votent en AG contestent les rémunérations
Entrée en application en 2017, la loi Sapin II a obligé les dirigeants de grandes entreprises cotées à obtenir l’accord de leurs actionnaires, sur leurs rémunérations. Mais malgré ce nouvel arsenal, les actionnaires n’ont pas réussi ou pas souhaité, exiger des mandataires sociaux des baisses de « salaires ». Les investisseurs les plus actifs ont utilisé leurs voix pour voter en assemblée générale contre certains abus, mais au final, aucun Say on pay n’a été rejeté dans les AG de 2018.
Les scores des résolutions de la saison 2018, analysés en novembre prochain par Proxinvest dans une nouvelle étude, montreront que le taux d’approbation des Say on pay, est resté en moyenne au dessus de 90%. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas une insatisfaction latente qui interfère dans les relations entre émetteurs et investisseurs. Pour le responsable de la Recherche France d’ISS (Institutional Shareholder Services), 20% des actionnaires du flottant qui votent en AG, que l’on peut qualifier de « minoritaires », contestent les rémunérations des dirigeants. Dans un entretien, Cedric Laverie estimait en juin dernier, qu’il fallait s’attendre à ce que les investisseurs sévissent vis à vis de certains membres des comités de rémunération des conseils, voire qu’ils votent contre le renouvellement de certains mandats dans les AG du printemps 2019.
La rémunération moyenne des patrons du CAC40 passent la barre des 5 millions € et augmente de 14 %
En attendant, la dernière étude que vient de publier Proxinvest sur les rémunérations des dirigeants du SBF120 donne des pistes pour endiguer le mécontentement des investisseurs. L’agence de conseil en vote s’est basée sur les chiffres de 2017 présentés à l’occasion des assemblées générales de 2018. Les rémunérations hors norme des PDG, DG ou Président du directoire du SBF120 ont encore augmenté en 2017. Ces dirigeants perçoivent maintenant, en moyenne 3,8 millions € par an, soit 316 000 € par mois. Et pour les seules 40 premières entreprises de l’indice (le CAC40), la rémunération annuelle moyenne atteint 5,13 millions €, soit 428 000 € par mois. L’étude révèle qu’en 2017, la hausse était de 10 %, en moyenne pour les patrons du SBF120 et de 14 % en moyenne pour ceux faisant partie du CAC40. Selon, Jehanne Leroy, responsable de la Recherche chez Proxinvest, l’augmentation des rémunérations patronales aurait été limitée à 4,4 % si elle s’était contentée de répliquer la création de valeur pour les actionnaires et à 4 % si les rémunérations s’étaient alignées sur la hausse moyenne des rémunérations des salariés du CAC40.
Une augmentation de la rémunération sans rapport avec la performance chez Technicolor
Comme toujours, les chiffres moyens cachent des situations différentes d’une société à l’autre, et l’étude montre qu’il n’y a pas toujours de corrélation entre la bonne performance financière et boursière de l’entreprise, et la hausse de la rémunération de son dirigeant. Vue sous cet angle, les augmentations annuelle des patrons de Technicolor, Vallourec, Eutelsat, Unibail-Rodamco, Accor, Vicat ou Sanofi, semblent surcalibrées. Dans certains cas, au contraire, la rémunération s’ajuste à la baisse sans que les performances de l’entreprise ne soient à déplorer, « comme chez Biomérieux« .
Globalement, il n’en reste pas moins que les dirigeants coutumiers des rémunérations exorbitantes sont toujours au rendez-vous. Ils figuraient dans les classements du CAC40 parus dans la presse économique au printemps dernier. Il s’agit de Bernard Arnault chez LVMH, de Jean-Paul Agon chez L’Oréal, d’Olivier Brandicourt chez Sanofi, de Bernard Potier chez Air Liquide ou de Carlos Ghosn chez Renault avec des rémunérations qui dépassent les 8 millions €.
Mais l’étude de Proxinvest va davantage dans le détail et établit un classement intégrant les rémunérations patronales du Next80, en recalculant s’il le faut des bonus à long terme sous-estimés par les sociétés. Cet exercice met en évidence que cinq dirigeants ou ex-dirigeants du SBF120 ont perçu des rémunérations annuelles encore supérieures et qui vont au delà de 10 millions €, en 2017.
Bernard Charlès chez Dassault Systèmes : 24,6 millions €
Le Directeur Général de Dassault Systèmes, Bernard Charlès¹ prend la tête du classement des patrons les mieux payés avec une rémunération totale de 24,6 M€ (15,8 M€ selon la société), grâce à une très généreuse attribution gratuite d’actions de performance. Il est probable qu’à l’issue de son plan d’attribution de 300 000 actions, si la bourse ne s’est pas écroulée, Bernard Charlès touchera une somme encore supérieure, car les calculs de Proxinvest restent assez conservateurs. Si le niveau de cette rémunération 2017 peut surprendre, les chiffres de 2018 qu’il faudra faire voter lors de l’AG 2019, n’ont pas fini de faire du bruit. En plus de son fixe et de son variable à court terme, cette année, le PDG de Dassault Systèmes s’est vu attribuer 600 000 actions sous condition de performance, soit l’équivalent de 65 millions € au cours de Bourse actuel de Dassault Systèmes !
Gilles Gobin, associé commandité de Rubis : 21,1 millions €
En deuxième position au classement des patrons les mieux payés, figure Gilles Gobin. Le fondateur de Rubis, société en commandite par action, a perçu un dividende d’associé commandité égal à 3% de la progression de la capitalisation boursière de Rubis. Sa rémunération a atteint 21,1 M€ en 2017. C’est énorme pour une société qui capitalise 4,3 milliards €. Proxinvest a réclamé à la société une modification statutaire du calcul du dividende de commandité.
Carlos Ghosn, PDG de Renault et Président de Nissan : 13 millions €
Le troisième au classement des patrons les mieux payés est Carlos Ghosn, Président Directeur Général de Renault et Président de Nissan. Suite au rejet de son Say on pay enregistré en 2016, il a accepté une légère baisse de sa rémunération, qui s’élève tout de même à 13 M€ pour 2017, dont 5,6 M€ venant de Nissan. Le niveau d’exigence des critères de performance retenus par le conseil d’administration (ROE, Free Cash Flow) pour la rémunération variable annuelle de Carlos Ghosn, apparaît incroyablement faible, note Proxinvest.
Paulo Cesar Salles Vasques chez Teleperformance : 12,2 millions €
Paulo Cesar Salles Vasques, Directeur Général de Teleperformance jusqu’en octobre 2017, a bénéficié, lui, d’un package de départ de la société de 9 M€. Il voit sa rémunération totale de 2017 s’élever à 12,2 M€ pour seulement 10,5 mois en fonction. Téléperformance, cotée au SBF120, lui offre ainsi la quatrième place du classement.
Enfin, Douglas Pferdehirt, le Directeur Général américain de TechnipFMC, arrive en cinquième place des rémunérations patronales du SBF120, avec 10,6 millions €. Ses émoluments ont augmenté de 88% après la fusion entre Technip et SMC. Selon le proxy, cette hausse, tout comme celle du président exécutif, ancien PDG de Technip, Thierry Pilenko, est totalement incompréhensible dans un contexte de performances plutôt décevantes et ceci, d’autant que des rémunérations en stocks-options et en actions gratuites, sans aucune obligation de performance, leurs ont été attribuées. Proxinvest dénonce cette mauvaise pratique usuelle aux Etats-Unis, mais non conforme au code AFEP-MEDEF. Faut-il accepter que des sociétés de droit étranger cotées à Paris et intégrées dans les grands indices, ne se conforment pas aux règles françaises ?
Une année 2017 extraordinaire pour les patrons qui ont quitté leur entreprise
Les investisseurs sont intéressés par le niveau des rémunérations patronales mais aussi par la structure de celles-ci. Ils préfèrent en général, les rémunérations à long terme qui assurent que le dirigeant ne va pas mener une politique trop court-termiste. Selon les données de Proxinvest, il n’y a pas eu de grands bouleversements dans la structure des rémunérations depuis 2015. En 2017, pour le SBF120, le fixe patronal représente 23,3 %, le bonus à court terme 26,8 % tandis que la part des bonus à long terme différés en actions ou en stock-options représente 34 % du total. Mais une part plus importante de la rémunération (15,8 %) a pris la forme de versements de primes exceptionnelles, de primes de départ ou de non concurrence, ou encore d’émoluments liés à la rémunération d’associés commandités.
C’est cette partie de la rémunération qui semble avoir le plus dérapé chez les patrons, compte tenu des sommes perçues à leur départ par des dirigeants comme Georges Plassat (Carrefour), Philippe Salle (Elior), Michel Landel (Sodexo), Patrick Sayer (Eurazeo), Jean Georges Malcor (CGG) ou par le DG de Teleperformance cité plus haut. Le Haut comité de gouvernement d’entreprise de l’Afep Medef qui publiait son rapport annuel 2017, le 24 octobre dernier, a d’ailleurs essayé encore une fois de mettre un frein à ces parachutes dorés. Ayant à coeur d’éviter des pratiques de contournement systématique de ses recommandations dès lors qu’elles sont restrictives, il a spécifié dans le code Afep-Medef que « la conclusion d’un accord de non-concurrence au moment du départ du dirigeant est exclue » . Pour les clauses préexistantes, « l’indemnité ne saurait être versée en cas de départ à la retraite et au-delà d’une limite d’âge que le Code fixe à 65 ans. » précise le HCGE.
29 patrons de sociétés touchent plus de 240 fois le SMIC
Proxinvest n’hésite pas à mettre en lumière les bonnes pratiques et les mauvaises, du point de vue des investisseurs et note que 29 patrons de sociétés affichent des multiples de rémunérations supérieurs à 240 fois le SMIC, un chiffre qui représente la barre à ne pas dépasser du point de vue de ce proxy advisor.
Il s’attarde aussi sur le niveau des rémunérations variables. Les investisseurs préfèrent distribuer des « carottes » sous forme de bonus pour motiver les dirigeants. Mais, il y a parfois des abus. Proxinvest note que Laurent Burelle, le PDG de Plastic Omnium, s’est versé 4,7 millions € de bonus annuel en 2017 et Carlos Tavarès, le DG de Peugeot, 2,4 millions €, un chiffre en hausse de 20 %.
LVMH toujours avare d’information sur les conditions de performance
Proxinvest et le Haut Comité de gouvernement d’entreprise, épinglent tous les deux, l’opacité de LVMH. S’agissant des performances qui conditionnent le bonus des dirigeants, le groupe de luxe donne trop peu de détails. Pour Proxinvest, en termes présentation et de transparence sur les critères de performances associés aux bonus, les bons élèves étaient l’an dernier, Teleperformance et Legrand. Pour le HCGE, c’était Accor.
Au total, en l’espace de 10 ans, les variables annuels (bonus CT) des patrons se sont envolés avec des hausses de respectivement 64 % et 65 % pour le CAC40 et le SBF120. Et les rémunérations actionnariales différées (bonus LT en actions ou stocks-options) ne sont pas en reste. Seulement deux tiers des dirigeants du SBF120 se distribuent des actions gratuites de performance. Et pour les patrons du CAC40, qui en bénéficient, la « dose annuelle » est en moyenne de 2 millions €. Parmi les dirigeants particulièrement gourmands en actions et/ou Stocks-options, on retrouve Bernard Charlès chez Dassault Systèmes ( 21,8 millions €), Douglas Pferdehirt chez TechnipPLC (7,5 millions €), Olivier Brandicourt chez Sanofi (6,8 millions €), Jean-Paul Agon chez L’Oréal (5,3 millions €) et Carlos Ghosn chez Renault (4,6 millions).
Les chiffres publiés par Proxinvest montrent, si nécessaire, que c’est un leurre de compter sur l’autodiscipline pour ramener les dirigeants d’entreprise à la modération. En 2017, la rémunération moyenne d’un PDG, DG ou Président du directoire du CAC40 correspondait à 257 SMIC, à 135 fois le salaire brut moyen des français et à 84 fois la rémunération brut moyenne des salariés du CAC40.
Que la paie des patrons soit comparée au salaire des employés ou à la rémunération des actionnaires, sa hausse est bien évidemment très supérieure à l’évolution du pouvoir d’achat des ménages. La loi PACTE qui ne sera probablement appliquée qu’en 2020, tentera une fois de plus, avec un peu plus de transparence, de corriger des inégalités qui ne cessent de se creuser. Elle prévoit en effet, que les entreprises communiquent sur leur ratio d’équité (rapport entre le salaire des dirigeants mandataires sociaux et le salaire moyen dans l’entreprise excluant ces mêmes dirigeants).
Ratio d’équité : Proxinvest souhaite un calcul qui ne se limite pas à la société mère, avec un ratio groupe sur le périmètre France et un sur le périmètre Monde
Pour le Directeur Général de Proxinvest, la hausse trés rapide des rémunérations patronales, plaide effectivement pour qu’on importe en France « ce fameux ratio d’équité » prévu via un amendement à la loi PACTE. Le texte devrait être examiné en procédure accélérée par le Sénat, début 2019, selon Loïc Dessaint, qui recommande que le ratio comparant la rémunération patronale des sociétés cotées à la rémunération moyenne de ses salariés, soit communiqué avec une évolution sur 5 exercices, en prenant en compte, non pas le salaire moyen des salariés de la société mère comme on peut le craindre, mais la moyenne des salaires du groupe coté dans son ensemble. Quant au périmètre qu’il convient de retenir, le proxy espère que les investisseurs pourront obtenir un ratio d’équité calculé, non sur le salaire moyen des salariés de la société mère, de peu d’intérêt, mais sur la moyenne des salaires du groupe coté dans son ensemble. Loïc Dessaint trouverait utile de disposer en outre, de deux types de données : celles qui tiennent compte d’un périmètre mondial et celles qui ne prennent en compte que le périmètre français.