L’affaire n’a pas fait grand bruit et pourtant dans le petit monde des gérants et des grands actionnaires d’entreprises cotées, le différend qui oppose la famille Gattaz aux minoritaires de Radiall est suivi de très près. Et pas seulement parce que le patron de Radiall, président du Medef n’aime guère les financiers et renâcle à partager avec eux les fruits de sa prospérité.
Le président du directoire de Radiall, Pierre Gattaz, est obsédé par la sortie de la Bourse. Sa cotation est devenue un délice pour ses détracteurs qui trouvent dans les documents de référence de quoi s’indigner tour à tour de ses bonus ou de l’optimisation fiscale de son entreprise qui paie peu d’impôts en France. Et comme pour Radiall qui réalise 88 % de son chiffre d’affaires à l’international, la fin de l’année 2016 a été plutôt faste, Pierre Gattaz qui n’aime pas qu’on braque les projecteurs sur l’argent de la famille, aurait préféré quitter la cote rapidement.
Cette fois-ci, après deux tentatives infructueuses en 2010 et 2013, il a donc décidé de tordre le bras à ses derniers « grands » minoritaires. La Financière de l’Echiquier et le holding Orfim des Picciotto ( famille sponsor de Vincent Bolloré) possèdent toujours 7,3 % des actions Radiall à eux deux. Et sauf si la justice en décide autrement, ils seront bientôt acculés soit à céder leurs actions avec une forte décote par rapport à la valeur comparée de Radiall avec ses concurrents (255 €), soit à cohabiter à huis clos, hors Bourse, avec les Gattaz. Un cauchemar vu le peu d’estime du patron du Medef pour les financiers.
Devant ces menaces, les fonds ont déposé un recours auprès de la cour d’appel contre le visa accordé par l’AMF sur l’OPAS lancée par le concert familial Gattaz sur Radiall en décembre dernier. Ils veulent certes obtenir un meilleur prix mais au delà du cas Radiall, ils craignent que cette affaire ne constitue un précédent fâcheux avec un dérapage du droit des minoritaires. La nouvelle procédure de radiation que personne n’a encore mis en oeuvre, risque en effet d’affecter les prérogatives des minoritaires. En l’état, elle permet, sous condition de radier une société de la Bourse sans exproprier les derniers actionnaires mais aussi sans obligation de les indemniser au « meilleur prix ».
De son côté, Pierre Gattaz est tellement exaspéré par cette affaire qui contrarie ses plans et va l’obliger à rendre ses comptes publics d’ici fin avril, qu’il en est arrivé à dénigrer son entreprise et son manque de flexibilité lié à la localisation en France pour justifier un petit prix de rachat des actions quasiment sans prime. Le différend avec les deux minoritaires porte sur un montant à peu près équivalent au résultat semestriel engrangé par Radiall au 30 juin dernier ( 16 millions €) ce qui représente un supplément de prix entre 30 et 60 % tout de même. Voilà qui interpelle nécessairement.
La sortie des actionnaires de la cote, un casse-tête qui perdure
Comment s’assurer qu’une société contrôlée qui souhaite quitter la cote, propose un prix de sortie équitable à ses actionnaires ? Le sujet ne date pas d’hier, il est même central dans la protection des actionnaires minoritaires, surtout quand la liquidité faiblit et que les transactions ne sont plus suffisamment nombreuses pour assurer la fixation d’un juste prix. Toutes les manipulations sont possibles et c’est pour cette raison que le législateur a prévu deux garde fous : l’Autorité des marchés financiers pour s’assurer qu’une porte de sortie est offerte aux actionnaires qui le souhaitent et la nomination d’un expert indépendant pour garantir qu’on leur propose un prix en rapport avec leur préjudice.
Ce dernières années, la procédure de retrait obligatoire (RO) était la seule voie de sortie possible pour une société en bonne santé. Elle assurait que l’affaire ne se transformerait pas en foire d’empoigne. L’évaluateur indépendant avait pour mission d’attester de l’équité d’un prix d’indemnisation, il était là pour mettre d’accord majoritaires et minoritaires qui semblaient trouver un terrain d’entente sous l’égide de l’AMF censée pratiquer un contrôle « renforcé ». La procédure perdure. L’offre publique de retrait (OPR) suivie d’un retrait obligatoire (RO) puis d’une radiation peut être imposée aux minoritaires s’ils possèdent moins de 5 % du capital et des droits de vote d’une société. Les majoritaires et la banque présentatrice de l’offre calent généralement l’indemnisation sur le haut de la fourchette du prix qui sera attesté par l’expert indépendant faisant référence à plusieurs critères.
La procédure de RO est régie par l’article 2 L433-4 du code monétaire et financier
« Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers fixe également les conditions dans lesquelles, à l’issue d’une procédure d’offre ou de demande de retrait, les titres non présentés par les actionnaires minoritaires, dès lors qu’ils ne représentent pas plus de 5 % du capital ou des droits de vote, sont transférés aux actionnaires majoritaires à leur demande, et les détenteurs indemnisés ; l’évaluation des titres, effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d’actifs tient compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales et des perspectives d’activité. L’indemnisation est égale, par titre, au résultat de l’évaluation précitée ou, s’il est plus élevé, au prix proposé lors de l’offre ou la demande de retrait. Le montant de l’indemnisation revenant aux détenteurs non identifiés est consigné. »
Cette procédure d’OPR-RO n’a pas été celle choisie par les Gattaz car ils n’avaient pas acquis en octobre dernier les 95 % du capital nécessaires pour la lancer. Il aurait fallu pour cela qu’ils complètent leur détention du capital en Bourse, or ils ont refusé d’acheter des titres au dessus d’un certain prix aux « gros » minoritaires de Radiall.
Une procédure de radiation pour forcer la main aux minoritaires
Le concert familial des Gattaz propriétaires de Radiall, a donc décidé en octobre dernier, de tester la nouvelle procédure d’ OPAS suivie d’une radiation. Contrairement aux autres offres, elle permet de ne pas avoir avoir à indemniser les minoritaires qui estiment que le prix ne leur convient pas. Ils pourront rester actionnaire de Radiall aussi longtemps qu’ils le souhaitent et même si c’est à contre coeur. Leurs actions ne seront plus cotées avec les complications que cela entraîne. Au rang de celles-ci : la difficulté de trouver des acheteurs autres que la famille pour céder une participation minoritaire non cotée et la nécessité de payer les avocats pour établir le contrat le jour où ils souhaitent vendre. On comprend donc que les deux actionnaires Financière de l’échiquier, actionnaire via son fonds Echiquier Value et Orfim renâclent. D’autant qu’Echiquier value ne pourrait pas détenir des valeurs non cotées, affirme la Financière de l’Echiquier.
Suivons en détail, la démarche des Gattaz pour bien comprendre comment un majoritaire peut grâce à cette nouvelle procédure OPAS avec radiation, tordre le bras à des minoritaires qui ont essayé de lui forcer la main.
Radiall, société familiale du président du Medef cotée en 1989 est depuis la fin des années 2000 obsédée par une radiation de la cote. Le père Yvon Gattaz, industriel dans l’âme comme son fils, serait allé en Bourse à reculons. Principal motif invoqué dernièrement pour divorcer du marché : Radiall ne veut plus avoir à satisfaire à des contraintes réglementaires jugées lourdes ou coûteuses ( environ 400 000 €/an), et estime que les obligations d’informations liées à la cotation, la place dans une situation concurrentielle délicate. Le leader mondial des connecteurs serait le seul de son secteur à donner une information financière détaillée dont ses concurrents tireraient profit.
La famille Gattaz a donc fait en 2010 une première tentative infructueuse de retrait de la cote. Elle lui a tout de même permis de reprendre la main sur 15 % du capital familial. Puis, en 2013, les Gattaz ont essuyé un refus d’Euronext suite à leur demande de radiation de Radiall selon une ancienne procédure peu adaptée. Refus contesté par Radiall qui a finalement perdu en cassation.
Les règles AMF et Euronext qui s’appliquent à la radiation
Cette procédure de radiation, à l’époque était sujette à caution. Euronext l’a donc toilettée , le règlement a été modifié en juillet 2015 ( article P 1.4.2 et instruction N3-09). Les conditions sont à présent les suivantes :
1/La radiation doit être précédée d’une offre publique d’achat simplifiée ( OPAS) c’est à dire d’une offre volontaire qui permet d’offrir une porte de sortie aux minoritaires.
2/L’ actionnaire ou groupe d’actionnaires de concert qui initie cette offre en vue de la radiation doit posséder plus de 90 % des droits de vote de la société
3/Le titre de l’entreprise doit être très peu liquide : moins de 0,5 % de la capitalisation boursière échangée dans les douze derniers mois ( attention le calcul et la référence à la capitalisation sont très compliqués ! )
4/ 180 jours calendriers doivent s’être écoulés depuis la précédente offre.
5/ L’offre doit rester valide trois mois après sa clôture même si la radiation a eu lieu.
6/ Pendant un an, l’émetteur bien que sorti de la Bourse, doit continuer de publier tout franchissement de seuil de 95% et il ne doit pas transformer la société en société par actions simplifiée ( SAS).
Assisté du cabinet Jeantet, en octobre 2016, Radiall coche toutes les cases. Le spécialiste mondial des connecteurs détenu à 92,17 % par le concert familial Gattaz qui possède 95,80 % des votes, met donc en oeuvre l’OPAS avec radiation. Le 10 octobre, la famille Gattaz lance son offre publique d’achat simplifée sur le capital de Radiall qu’elle ne détient pas (7,8 % soit 33 millions € ) et propose de payer 240 € par action soit le dernier cours coté. La faible liquidité de l’action observée en Bourse, soit 0,15 % au cours des 12 derniers mois de période de référence, justifie la demande de radiation à laquelle Euronext donne son accord le 9 décembre 2016 ( les transactions hors marché ont donc été exclues).
Une vague de protestation décidément embarrassante
Mais on ne met pas en oeuvre une radiation dépourvue de prime, sans soulever des vagues de protestation chez les minoritaires . Le holding Orfim ( 5,4 % du capital) et la Financière de l’Echiquier pour son fonds Echiquier Value (2 %), s’adressent immédiatement à l’AMF pour dénoncer le prix et la méthode.
Il s’écoule alors plus de deux mois entre le dépôt de l’offre et la déclaration de conformité de l’AMF bien embarrassée par cette affaire avec le patron du Medef, qui fera probablement jurisprudence. L’expert indépendant, le cabinet Ledouble y met du sien, il reçoit les minoritaires à plusieurs reprises. Finalement, le 9 décembre, le concert familial relève le prix de l’offre à 255 €, et Radiall semble tout à coup attaché à ses minoritaires, et pas pressé de les voir partir. La société promet à ceux qui resteront au capital de la société non cotée, de leur verser un dividende de 1,30 € par action. Radiall annulera les actions rachetées via l’OPAS avec à la clé un effet relutif positif sur le cours de l’action pour ceux qui seront encore là pour en profiter…
Prix d’offre avant radiation ou prix de l’OPR-RO ?
La famille Gattaz se serait-elle prise subitement d’affection pour ses actionnaires, ou prend-elle les devants pour estimer qu’un relèvement du prix ne se justifie pas ( puisqu’elle veut conserver ses minoritaires ) ? Alors que l’AMF déclare la conformité de l’offre le 23 décembre 2016 pour une ouverture le 27 décembre et une clôture le 9 janvier 2017 avec dans la foulée la radiation des actions, Echiquier Value et Orfim se dépêchent de contester le 30 décembre 2016 la déclaration de conformité. Ils déposent dans les 10 jours prévus un recours auprès de la cour d’appel de Paris et demandent la suspension de l’opération.
Le 8 janvier, la cour d’appel refuse de suspendre l’offre mais demande à l’AMF de reporter la date de clôture. Le 9 janvier, l’autorité des marchés proroge alors l’OPAS, qui sera finalement clôturée le 9 février 2017. On prévient qu’une réouverture sera prévue après la décision de la cour d’appel. Comme le veut la loi, il faudra compter au maximum cinq mois, avec, sauf coup de théâtre la radiation de l’action Radiall dans la foulée.
Des fonds trop gourmands ou des actionnaires familiaux grippe-sous
« Nous cherchons à ce que la cour d’appel accorde aux minoritaires la même protection en cas de retrait de la cote, quelles que soient les modalités du retrait (radiation ou retrait obligatoire). En cas de RO, la cour d’appel procède à un contrôle renforcé du prix d’offre (analyse multicritères). En cas de radiation, l’offre préalable est une offre simplifiée. La difficulté ici est que l’AMF applique les principes de l’offre simplifiée (c’est à dire pas de contrôle renforcé du prix) sans prendre en compte la radiation qui suit l’offre. Cela nous semble artificiel, puisqu’une offre préalable à radiation s’apparente en fait à une OPR préalable à un retrait de cote. Nous souhaitons donc que la cour d’appel juge que lorsqu’une offre est préalable à un retrait de la cote, il faut un contrôle renforcé du prix. Pour les fonds qui ne peuvent investir dans des valeurs non cotées comme Echiquier Value, comment faire sinon accepter un prix d’offre sous-évalué qui ne reflète pas un prix d’expropriation ? »
Pour Pierre Gattaz, une action qui triple en 3 ans, c’est anormal
Pourtant, l’affaire n’est pas simple. La possibilité d’entrevoir à présent une radiation sans passer par l’OPR-RO va probablement inciter les émetteurs à traîner des pieds pour racheter les minoritaires sur le marché et risque de coiffer les cours. Prenons Radiall, si les Gattaz n’avaient pas eu d’autre choix que le retrait obligatoire, ils auraient fait comme la quasi totalité des sociétés qui veulent sortir de la Bourse. Radiall aurait dû ramasser à tout prix les 3 % du capital qui lui manquaient et plus tard proposer le même prix pour l’OPR-RO.
Au lieu de ça avec l’OPAS qui s’est déroulée du 27 décembre eu 9 février, les derniers petits minoritaires représentant 0,49 % du capital ont vendu leurs titres à Hodiall à 255 €. La famille s’est débrouillée pour reclasser en interne 2 % du capital à 195 € sans passer par le marché le 18 février 2016. Et à présent, ils sont prêt à laisser végéter les 7,3 % du capital restant aux mains des deux minoritaires sauf à ce qu’ils acceptent le prix de 255 €.
Bien évidemment, pour le président du directoire Pierre Gattaz, le prix de 255 € est trop élevé mais les critères d’appréciation d’un patron industriel n’ont rien à voir avec ceux des financiers. Le patron du Medef a expliqué le 9 octobre lors du conseil de surveillance de Radiall qu’« il n’est pas « normal » que le cours de Radiall ait triplé en trois ans, passant de 80 à 240 € ». Un argument qui peine à convaincre.
Radiall basée en France vaudrait moins que ses concurrents étrangers
Et ce n’est pas la seule raison avancée pour refuser un prix plus élevé. Pour le patron de Radiall, il n’est pas pertinent comme l’a fait l’expert indépendant Ledouble, de comparer la valorisation de Radiall à celle de ses concurrents internationaux. Sa localisation en France, constituerait un handicap dont il faut tenir compte, selon le président du Medef. Un discours qui passe peut-être devant un agent du fisc mais qui a du mal à convaincre les fonds actionnaires.
« Les entreprises étrangères qui sont mentionnées ( NDLR : dans le calcul selon la méthode des comparables par l’expert pour déclarer le prix de son offre équitable) n’ont absolument pas le même profil que Radiall » estime-t-il dans la note en réponse à l’OPAS sur la société. Radiall est « une société familiale à vocation patrimoniale dont les actionnaires ont une vision de long-terme. Ses usines sont installées principalement en France et la Société a pour objectif de préserver les emplois qu’elle a créé sur le territoire français. Dès lors, elle apparaît moins flexible que ses concurrents internationaux qui disposent d’une capacité supérieure à la sienne pour ajuster leurs coûts dans des situations de crise par exemple » avance Pierre Gattaz.
Un coup de pied de l’âne aux industriels français cotés en Bourse pour rien ? Pas tout à fait puisque l’expert a appliqué une décote de 20 % sur les multiples des comparables internationaux. Mais même dans ce cas, il obtient un prix supérieur à 255 € soit 317 €. Quant à Oddo & cie qui a présenté l’opération Radiall, avec la méthode des comparables il aboutit à un prix de 405 € !
Après la radiation, Radiall sera retirée directement de la Bourse
La méthode des comparables fait grimper les prix. Rien d’étonnant à ce que les deux actionnaires récalcitrants ( La Financière de l’Echiquier et Orfim) aient préféré depuis plusieurs années conserver leurs actions.
Mais qui sait comment se terminera cette affaire ? Pour l’instant, les actionnaires peu nombreux restés du côté des récalcitrants, sont laissés dans le flou. L’AMF qui a clôturé la première phase de l’OPAS le 9 février n’a pas publié les résultats de l’offre comme elle le fait d’habitude. Le titre est toujours illiquide. La cour d’appel et l’AMF n’ont pas indiqué si un complément de prix éventuel qui pourrait découler du recours, bénéficierait aussi aux minoritaires qui ont déjà apporté à l’OPAS dans sa première phase ( c’était le cas lors du recours Alcatel-Lucent). Quant à Euronext, l’entreprise de marché a signifié dernièrement à Radiall que ses actions ne seront pas cotées sur le compartiment des valeurs radiées d’Euronext (CVR) à l’issue de sa radiation. Il semble bien que ce CVR soit un compartiment « fantôme ». Conclusion, une fois Radiall radiée de la cote ( au plus tard mi-juin) les minoritaires n’ont aucune idée des démarches qu’ils devront faire pour faire valoir leurs droits et demander le cas échéant, le rachat (automatique) dans les trois mois de leurs actions. Si ce « no man’s land » n’est pas d’une incitation forte à brader ses actions, ça y ressemble beaucoup.
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Qu’est ce qu’un retrait obligatoire en Bourse ?
Belle synthèse. Croisons les doigts pour que cette radiation n’ait pas lieu. En tout cas, pas à 255 EUR !
Ce serait une très mauvaise nouvelles pour tous les petits porteurs français. Ils sont déjà de moins en moins nombreux à investir en bourse, ce serait le coup de grâce…