Comment Alexandre Bompard qui se classe depuis quatre ans dans le Top 5 des rémunérations patronales a-t-il négocié son départ de FNAC Darty et son arrivée chez Carrefour ? A-t-il réussi à conserver sa montagne de bonus différés accumulée depuis 2014 ? A son arrivée chez Carrefour a-t-il été accueilli avec un « golden hello » (prime de débauchage) ? A-t-il conservé la rémunération hors normes de son prédécesseur Georges Plassat ? Et quid de sa clause de non concurrence qui aurait dû l’empêcher de jouer à saute mouton d’une entreprise à l’autre au sein d’un même secteur ?
Pas d’indemnité de départ de FNAC ni de clause de non concurrence
A posteriori, les actionnaires de FNAC Darty n’ont pas eu à se plaindre d’Alexandre Bompard jusqu’à présent. Il n’y a aucune raison de mettre en doute le talent de ce « jeune »patron pressé mais talentueux, même si son salaire a été jugé indécent à maintes reprises. En quatre ans, ce partisan de la modération salariale (pour les autres) a sorti FNAC de l’ornière, l’a recapitalisée, introduite en Bourse, il a allégé ses charges, l’a réorganisée puis mariée avec Darty. En quatre ans, le cours de FNAC a été multiplié par quatre et la famille Pinault, après avoir retrouvé sa mise, est sortie du capital.
On comprend donc que le conseil de FNAC Darty ait fait une fleur à Alexandre Bompard en le dispensant le 17 juillet dernier, de sa clause de non-concurrence, alors que compte tenu de son contrat, il aurait dû attendre 2 ans avant d’atterrir chez Carrefour, enseigne de plus en plus présente sur les produits culturels et l’électroménager.
Pour autant, Alexandre Bompard n’a pas obtenu d' »indemnité de départ » à proprement parlé. Elle n’était d’ailleurs pas prévue au contrat et aurait probablement été difficile à justifier puisqu’il a été présenté comme démissionnaire afin de rejoindre Carrefour.
Rémunération fixe annuelle 2017 chez FNAC : 0,5 million €
Selon la note publiée sur le site de FNAC en date du 17 juillet, jour de son départ, sa rémunération fixe et variable de 2017, lui a été payée au prorata de sa présence dans l’entreprise. Il a donc reçu 55 % de ses 900 000 € de fixe soit pas loin de 500 000 €.
Rémunération variable annuelle 2017 chez FNAC : 0,6 million € (maxi)
Si début 2018, le conseil constate que les performances (réalisées en partie par son successeur) sont au RDV conformément aux conditions d’attribution de sa prime variable annuelle, et sous réserve que les actionnaires le votent en AG 2018, Alexandre Bompard touchera en mai 2018, un chèque de 120 % (maximum) de ses 900 000 € de fixe soit, prorata temporis environ 600 000 € (maximum).
Rémunération variable pluriannuelle versée en 2017 : environ 13 millions € versés par FNAC
Encore un beau jackpot ! A partir de 2013, l’ex-PDG de la FNAC a engrangé un stock de bonus différés impressionnant. Il s’agissait soit « d’options de performance » (stock appreciation rights) c’est à dire de « fausses stock options » ou encore « d’unités de valeurs » (phantom shares) c’est à dire de fausses actions gratuites. Au lieu d’être payés en actions, ces bonus calqués sur l’évolution du cours de l’action FNAC, étaient versés en numéraire et le paiement étalé sur deux ou trois ans.
Pour la seule année 2017, l’ex-patron de la FNAC a déjà encaissé 7 millions € de ces « queues » de rémunérations variables pluriannuelles, soit 1,07 million € qui avaient été attribuées en février 2017, 5,46 millions € en mars 2017 et 0,45 million € en avril 2017. (Voir le détail de nos calculs)
Puisqu’il partait en juillet, les versements prévus à des dates postérieures sous condition de présence auraient dû être annulés. Mais le comité des rémunération de la FNAC qui avait droit au chapitre, en a décidé autrement. S’ajoutera aux 7 millions touchés en début d’année, un chèque supplémentaire de 4,8 millions € payé le 30 septembre prochain. La somme est calculée en partant du fait que le cours de FNAC Darty reste accroché autour de 78/80 € jusqu’à la fin du mois ( date de référence pour le calcul).
En effet, le conseil d’administration a autorisé Alexandre Bompard à percevoir, le 30 septembre prochain deux tranches de bonus pluriannuelles, l’une attribuée en 2014, l’autre en 2015 ( voir détail ici). Les administrateurs ont décidé de lever la condition de présence comme ils y étaient autorisé. Seul bémol comme le veut le code Afep-Medef, un léger ajustement prorata temporis a été calculé compte tenu du départ anticipé au 17 juillet.
En revanche, l’ex-PDG perd le bénéfice de ses deux autres bonus pluriannuels de 2016 et 2017. Pour y avoir droit en 2018, si toutefois le cours devait continuer à progresser, Bompard aurait dû rester à la tête de l’entreprise. Ces bonus tombent donc aux oubliettes.
Chez Carrefour, une rémunération généreuse calquée sur celle de son prédécesseur
Lors de son arrivée chez Carrefour le 18 juillet dernier, les actionnaires minoritaires de Carrefour ont d’abord espéré que la « magie Bompard »opère et que le cours de l’action progresse enfin après une baisse de 15 % en 5 ans. Ils devront attendre. Depuis juillet, le cours de Carrefour a, au contraire, chuté de 25 %. Le marché prend donc pour argent comptant le profit warning du nouveau venu. Mais qui peut dire si celui-ci n’est pas aussi en train de charger la barque des résultats qui serviront de point de départ à l’appréciation de ses performances et de ses rémunérations chez Carrefour ?
Quoiqu’il en soit, redresser le cours de Carrefour en trouvant un remède au modèle de l’ hypermarché, dont la rentabilité est remise en cause depuis des années est un pari qui n’est pas gagné d’avance. Carrefour n’est pas la FNAC et le mode de rémunération, avec un très fort effet de levier, dont Alexandre Bompard bénéficiait chez le distributeur de produits culturels, n’est pas celui qui a été retenu pour l’instant chez Carrefour. On change donc de registre.
Alexandre Bompard conserve l’essentiel de la rémunération hors norme de Georges Plassat qui n’a pourtant pas réussi à redonner du lustre à l’action du géant de la distribution, dans un contexte il est vrai difficile.
Retraite chapeau, parachute doré chez Carrefour mais pas de « golden hello »
Pas de « golden hello ». Alexandre Bompard a-t-il essayé de négocier en rejoignant Carrefour, une prime d’accueil égale aux pertes de bonus ( 2016-2017) chez FNAC ? On peut le penser. Mais ce type de prime a laissé de mauvais souvenir à l’Afep-Medef chez Sanofi avec le « golden hello » décroché à son arrivée par Olivier Brandicourt. Carrefour qui veut se positionner comme une entreprise socialement responsable, a-t-elle voulu donner un signal positif ?
Le conseil n’a pas lésiné en revanche sur le parachute doré et la retraite chapeau identique à celle de Georges Passat. C’est bien la confirmation que malgré la loi Sapin II, les conseils d’administration n’ont pas l’intention de revenir en arrière sur ces avantages annexes.
Le conseil de Carrefour a accepté une convention prévoyant pour Alexandre Bompard, une indemnité de départ de 1 an de rémunération fixe + variable cible. Ce parachute doré peut être estimé aux alentours de 4 millions € sur la base des gains actuels maximum. La somme lui serait versée quelques soient les causes de son départ (y compris la démission exceptée la faute grave ou lourde), ceci sous condition de performance, mais aussi sous réserve qu’il n’aille pas travailler pour un concurrent de la distribution alimentaire ( figurant sur une liste) pendant 18 mois. Les conventions devront être votées en AG en 2018 au titre des conventions réglementées.
La rémunération d’Alexandre Bompard fera néanmoins un bon en avant considérable en terme de rémunération fixe et probablement variable annuelle. Il attendra aussi moins longtemps pour toucher ses bonus pluriannuels qui sont beaucoup plus classiques qu’à la FNAC. En contrepartie, le PDG ne devrait pas cumuler comme Georges Plassat « actions gratuites » et « bonus pluriannuel », c’est du moins ce que laisse entrevoir la note publiée le 18 juillet par Carrefour ( voir ci-dessous).
Avec Carrefour, des espoirs de gains un peu moins liés au cours de l’action
Le fixe d’Alexandre Bompard augmentera des deux tiers à 1,5 million €/an, soit +66 % comparé à ce qu’il touchait à la FNAC. C’est l’un des plus élevés du CAC40. Il est aligné sur le fixe de Georges Plassat, de même que son variable annuel. Ce dernier pourra représenter 165 % du fixe si les objectifs sont dépassés, soit jusqu’à 2,5 millions €. Potentiellement Alexandre Bompard pourra donc encaisser chaque année 4 millions € si les performances basées sur des indicateurs de performance financière très classiques mais avec une part importante de « critères qualitatifs » sont au RDV.
Contrairement aux objectifs qui lui étaient fixés à la FNAC où il avait seulement 20 % ( sur les 100 %) d’objectifs dit qualitatifs (c’est à dire plus faciles à obtenir et plus ou moins à discrétion du conseil), chez Carrefour, 50 % des critères d’attribution sont qualitatifs. Le nouveau PDG peut espérer percevoir une bonne partie de ses bonus, même si les performances financières ne sont pas atteintes. A noter que ce fixe et ce variable pourront difficilement être contestés en AG car ils calquent la rémunération de Georges Passat. Si l’AG de 2018, les refusait, le conseil pourrait tout de même les maintenir au motif qu’ils sont calculés sur un mode identique à celui de son prédécesseur.
Stock-options, actions gratuites : encore un bon paquet d’actions Carrefour à venir.
Comme à la FNAC, les rémunérations variables pluriannuelles, s’ajouteront aux bonus annuels. Ce sont également des primes qui exigent une performance dans la durée et dont le versement est étalé dans le temps. Chez Carrefour, ces « carottes » seront distribuées sous forme d’actions gratuites, de stock-options voire d’options de performance ( gain équivalent aux stock-options mais payés en numéraire). Elles ne seront donc pas forcément en cash, ce qui incite les dirigeants à avoir une vision de plus long terme, puisqu’ils doivent garder l’action en portefeuille avant de pouvoir la revendre et encaisser leur gain.
La somme attribuée sera plafonnée et représentera au maximum 45 % de la rémunération totale de l’année, soit sur la base actuelle, 3,3 millions € maxi à la date d’attribution. Les critères de performance ne dépendent pas pour l’instant du cours de Bourse ( 50 % de qualitatif et 50 % liés au chiffre d’affaires organique et au résultat opérationnel courant).
Si la rémunération d’Alexandre Bompard est calquée sur celle de Georges Plassat, il n’est pas prévu que le nouveau PDG se voit attribuer d’autres actions gratuites en plus de la rémunération pluriannuelle, pour l’instant. Pour mémoire, son prédécesseur avait eu droit en 2016 à 140 000 actions gratuites supplémentaires. Il a obtenu en juillet dernier l’autorisation de partir avec celles-ci pour peu que son successeur remplisse les conditions de performance qui lui avaient été fixées ( attribution en 2019).
Départ anticipé : le prorata temporis est devenu la règle
Le départ d’Alexandre Bompard de FNAC n’était pas sans rappeler les conditions du départ de conditions de Michel Combes, DG d’Alcatel Lucent fusionné avec Nokia l’an dernier. Comme Michel Combes, Alexandre Bompard n’avait pas totalement terminé l’intégration de Darty et partait déjà planter ses choux chez un autre grand du secteur. Comme Michel Combes, Alexandre Bompard était pressé et avait négocié des montagnes de bonus différés sans précédent. Michel Combes avait tenté de se les faire attribuer intégralement malgré son départ. Parti entre temps chez SFR, il s’était fait rattraper par l’AMF et le Haut Comité de gouvernement d’entreprise du Medef. Il avait alors dû renoncer à une partie de son pactole et abandonner quelques millions €.
Lire nos articles de l’époque Michel Combes quitte Alcatel-Lucent avec 13 millions € et « Affaire Alcatel-Combes : l’AMF se laissera-t-elle embobiner ? »
Dans le cas d’Alexandre Bompard, la « jurisprudence » Combes s’est appliquée. S’il y a toujours matière à réflexion sur l’ampleur des bonus et leur versement en cash, les pratiques de cowboys et le dérapage a été contrôlé. Le principe du versement des primes et rémunérations prorata temporis est devenu la règle.
Encore des corrections à apporter aux systèmes de rémunérations
Reste toutefois encore plusieurs points qui soulèvent beaucoup d’incohérence. Et il reste beaucoup d’options pour contourner la volonté des actionnaires que la Loi Sapin II a prétendu satisfaire.
Primo, certains plans de rémunération prévoient que le comité des rémunérations du conseil dispose d’une grande latitude pour décider de l’attribution des bonus en cas de départ. Si le PDG sortant d’une entreprise, a nommé le président du comité des rémunérations (ce qui est parfois négocié lors de sa nomination), il a la main pour introduire certaines clauses qui lui permette de conserver ses bonus en cas de départ. On a vu avec le cas Bompard ci-dessus, que la condition de présence peut être gommée. Or, les actionnaires n’ont pas de possibilité de s’y opposer en AG, s’il s’agit de bonus pluriannuels, puisque ces bonus sont déjà attribués. Autrement dit, la condition de présence si elle n’est pas impérative, peut être facilement gommée.
Secundo, une autre question se pose. Comment peut-on attribuer à un dirigeant les performances de son successeur ? C’est pourtant ce qui va se passer, dans le cas Bompard chez FNAC pour le calcul de son variable annuel, mais également dans le cas Plassart chez Carrefour, s’agissant de l’attribution d’actions gratuites. S’agissant de ces actions gratuites, les actionnaires n’auront rien à dire puisque l’attribution a été votée au titre de 2016.
Les rémunérations patronales continuent donc à ruisseler comme l’eau et se glissent dans les interstices de la loi et du code de gouvernance. Les grands gagnants sont certainement les cabinets de conseil en rémunération qui ont beau jeu de faire payer aux actionnaires malgré eux, des bonus de plus en plus créatifs.
Retrouvez les publications des sociétés en question et le détail de nos calculs :
Publication du 17 juillet 2017 chez FNAC Darty pour le départ d’Alexandre Bompard
Publication du 9 juin 2017 chez Carrefour pour l’arrivée d’Alexandre Bompard (fixe et variable)
Publication du 18 juillet 2017 chez Carrefour pour le départ de Georges Plassat
Notre calcul : Les quatre années de bonus insensés qui ont fait la fortune d’Alexandre Bompard
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Bonjour, Nous nous sommes posé la même question et voici la réponse d’un spécialiste qui a bien voulu nous répondre. Nous le remercions de cet éclairage. « Selon les époques, les régimes fiscaux en France des instruments en capitaux (AGA et SO) sont plus ou moins favorables que la rémunération à l’aide d’instruments indexés équivalents en cash (phantom shares, stock appreciation rights…). Il faut également prendre en compte la déductibilité fiscale du coût des plans à l’IS, pour l’entreprise et pas seulement pour le dirigeant. Ainsi par exemple, au début du quinquennat Hollande une rémunération en cash coûtait globalement moins cher. Enfin, alors que pour une rémunération en cash les cotisations sociales employeur et salarié peuvent apporter des nouveaux droits (retraite par exemple), ce n’est pas le cas pour les instruments en capitaux. Voilà donc qui a pu donner à réfléchir. De plus, une rémunération en cash est moins lourde à… Lire la suite »
Article instructif mais je ne comprends pas du tout pourquoi chez Fnac, le PDG a tenu à percevoir ses rémunérations pluri-annuelles en cash (actions ou stock-options) au lieu de les toucher en actions, ce qui lui aurait permis de faire une grosse économie d’impôts à mon avis et une plus value confortable. Pourquoi choisir ce mode de rémunération, options de performance ou unités de valeurs, s’il est moins favorable ?