Cette année plus que jamais, les dirigeants des grandes entreprises cotées doivent affronter leurs actionnaires sur le terrain des rémunérations patronales. Avec l’arrivée du « Say on Pay » décisionnaire de la Loi Sapin 2, les investisseurs et les petits porteurs ont un droit de veto sur les principes de la rémunération de l’année 2017. Ils sont souvent complexes et il faut tout le travail en amont des proxy, ces officines de conseil en vote, pour permettre aux investisseurs d’y voir plus clair et d’exprimer leur opinion.
On constate à l’occasion des premières AG de 2017 que l’effort fait par les grandes entreprises cotées pour mettre véritablement les rémunérations patronales à la portée des actionnaires individuels est très limité. Le dirigeant préférerait d’un côté que ses chiffres ne soient pas étalés sur la place publique, mais de l’autre, il retire une certaine fierté lorsqu’il se retrouve en haut des classements des patrons les mieux payés et donc des plus enviés.
Sur le fond, que change la loi Sapin 2 ? Tout d’abord, elle a-t-elle fait prendre conscience aux investisseurs qu’ils devaient prendre leurs responsabilités dans le grand dérapage des « prix des patrons » puisqu’on leur demande non seulement leur avis mais leur accord. Souvent, un dialogue avec l’entreprise a été établi, ce qui explique parfois que les « Say on Pay » 2017, obtiennent de meilleurs suffrages que les « Say on Pay » de l’année 2016 mis aux votes également en AG, mais qui restent cette année encore, seulement consultatifs.
Les actionnaires professionnels évaluent surtout ces rémunérations en fonction de leur potentiel incitatif à créer de la valeur. Mais cette année, l’investisseur socialement responsable s’est invité dans le débat. Le fonds de pension public norvégien très impliqué dans la gouvernance, qui possède 1,3 % du capital de 9000 entreprises, a appelé à une vaste refonte mondiale du mode de rémunération des dirigeants avec notamment la publication annuelle d’un plafond de rémunération, absent en France.
La demande de plafonnement des rémunérations patronales, ainsi que celle de publication d’un chiffre simple et compréhensible de tous les porteurs d’actions, doit s’imposer à toutes les entreprises cotées sans attendre d’être placées sous la contrainte.
Car, sous couvert d’objectifs de performances impossibles à évaluer, la complexité des rémunérations masque souvent des chiffres extravagants. Avec le décalage des paiements en actions de performance tout est permis et l’actionnaire individuel a la désagréable impression de voter à l’aveugle.
Voici d’ailleurs deux exemples troublants qui montrent à quel point il est difficile d’y voir clair. En 2016, la rémunération du PDG d’une très grande entreprise cotée est estimée grâce aux normes IFRS autour de 5 millions €. En réalité, en recherchant dans les documents de l’entreprise, on s’aperçoit vite que l’intéressé a encaissé trois fois plus cette année-là, grâce aux ventes d’actions et de stock-options décalées. Un autre mandataire social, affiche une rémunération d’un peu moins de 5 millions € grâce aux valorisations en normes IFRS qui ne reflètent pas vraiment ce qu’il est susceptible de toucher. Il omet également de parler de sommes dont il a bénéficié, remboursement de cotisations retraite en cash ou prime d’assurance vie. Au final, il peut tabler sur 50 % de plus.
La loi Sapin 2 n’est pas une fin en soi et le sujet des rémunérations est loin d’être clos. Les actionnaires ont besoin de clarté, de simplicité mais aussi de modération. Il faut par exemple s’interroger sur l’efficacité du paiement différé qui est devenu un horizon si lointain ( entre 3 et 5 ans) qu’on peut se demander s’il joue réellement un rôle dans la motivation des patrons ou s’il sert seulement à se constituer des fortunes dans des conditions fiscales privilégiées. Ou encore sur les nouveaux modes de constitution de la retraite, dénaturés lorsqu’ils ne remplissent plus leur rôle de fidélisation du dirigeant. Il est enfin grand temps d’avoir un débat sur le niveau « socialement acceptable » des rémunérations patronales trop souvent excessives.
Car où mènent ces excès ? Le premier danger, c’est la prise de conscience par les salariés des grandes entreprises des inégalités et des écarts de salaires incroyables entre les hautes sphères de l’entreprise, et leur propre position en bas de l’échelle des salaires où les hausses se dispensent au compte-gouttes. Les hauts dirigeants gagnent en un jour beaucoup plus que le salarié de base en un an, ce chiffre devrait à lui seul suffire à servir d’alerte.
Le second écueil, c’est la « course à l’échalote » dans un monde d’entre-soi qui fait perdre toutes nuances. La plupart sont totalement décomplexés et très fiers de leurs gains. Ils mettent un point d’honneur à surpasser leurs pairs.
Le haut dirigeant voit sa rémunération comme le prix de ses compétences supposées. Et si celui-ci est élevé « c’est parce qu’il le vaut bien ». Or, personne n’est dupe, le plus souvent, il inscrit lui-même le prix sur l’étiquette. Les progrès de la gouvernance en matière de rémunération avec la création des comités adhoc au sein des conseils, sont très limités et n’ont pas réglé les excès. Le PDG de L’Oréal préside toujours le comité de rémunération d’Air Liquide, dont le PDG préside le comité de rémunération de Danone et c’est l’ex-PDG défroqué d’Alstom qui préside le comité de Sanofi…
Quant à la loi Sapin 2, en matière de modération, elle signe déjà un échec. Sa rédaction ne permettra pas de faire réellement marche arrière et de faire cesser les excès qui se sont installés, car si le « Say on Pay » est refusé en assemblée générale, le conseil d’administration pourra se contenter de revenir aux critères de rémunération de l’année précédente.
Dans une société au capital dispersé, même le refus des investisseurs de renouveler le mandat d’administrateur d’un PDG, en guise de sanction se révélera inefficace. Il sera, en effet, possible d’imposer aux actionnaires que les critères de rémunération du successeur soient identiques aux pratiques précédentes.
En l’absence de législation contraignante, la modération patronale et une discrimination positive à l’égard de ceux qui en font preuve, est sans doute la seule voie de recours. Un nouvel échec n’est pas une option.
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En complément, quelques mauvais scores de Say on Pay relevés lors des AG de 2017 :
Elior : refusé 63% contre et abstention
Veolia : 31 % contre
Lagardère : 29 % contre
Ipsos : 45 % contre
Scor : 27 % contre
Edenred : 22 % contre
Air Liquide : 42 % contre
Europcar : 23% contre
Ingenico : 36 % contre
Peugeot : 34 % contre
Nexans : 19 % contre
Essilor : 22 % contre