Le scandale Volkswagen remet en question le modèle de gouvernance des entreprises allemandes, présenté, selon certains penseurs, comme « une forme de démocratie ».
Mardi 22 septembre 2015, la direction du groupe Volkswagen annonçait que 11 millions de véhicules de marques Volkswagen , Audi, Skoda ou Porsche étaient concernés par le truquage des moteurs diesel. Le scandale VW commençait et nul ne peut savoir jusqu’où il ira.
De 162,2 euros le 18 septembre 2015, le cours de l’action du constructeur passait rapidement à 106 euros le 24 septembre ; soit une baisse de 35 %. Le 6 novembre le cours était à 97,2 euros. Réaction excessive des marchés ? Personne ne sait. Mais quelques enseignements sur la gouvernance des entreprises allemandes peuvent être tirés.
Volkswagen est l’Allemagne
À la suite de cette annonce le PDG Martin Winterkorn était poussé vers la sortie dès le 23 septembre et un nouveau dirigeant, Matthias Müller , un pur produit VW, était nommé avec pour mission de rétablir la crédibilité du constructeur automobile de Wols bourg. Depuis, ce remplacement à la tête du premier groupe automobile allemand. La branche automobile allemande, sous-traitants compris, a réalisé un chiffre d’affaires record de 368 milliards d’euros dont les deux tiers ont été réalisés à l’export.
Il s’agit du premier secteur industriel du pays. On comprend pourquoi une députée CDU déclarait « Volkswagen est plus grand qu’un grand groupe, Volkswagen est l’Allemagne » et qu’Angela Merkel, la chancelière allemande, a demandé une « transparence totale et que tous les faits soient mis sur la table ».
Une monarchie absolue
Le nouveau dirigeant de VW a décidé de faire et d’annoncer « qu’il fallait établir qui savait quoi et qui a pris les décisions » concernant le truquage des moteurs. Ce faisant, il a ouvert sans le savoir la boîte de Pandore. En invitant les salariés à rapporter les irrégularités, le nouveau patron de VW ne se doutait pas que les langues se délieraient. Dans son édition du 8 novembre 2015, le journal « Bild am Sonntag » publie les confessions de plusieurs ingénieurs du groupe. Selon « Bild », des techniciens ont reconnu avoir truqué les véhicules dès 2013 à l’aide de différentes techniques.
Pour ces salariés passés aux aveux, la fraude vient de ce qu’ils étaient dans l’impossibilité technique d’atteindre les objectifs fixés par la direction en matière de réduction des émissions de CO2. Il fallait donc tricher et surtout ne pas le dire par peur des représailles. Le double discours pouvait alors fonctionner. Le management affichait un objectif de réduction de 30 % des émissions de CO2 pendant que les salariés trafiquaient les moteurs.
Le 15 novembre, un fin connaisseur du groupe expliquait « au Monde » que « Volkswagen était dirigé comme une monarchie absolue ». Cette culture de droit divin qui insufflait la peur à l’ensemble du corps social de l’entreprise remonte aux années 1990 et avait été mise en place par l’ancien PDG, devenu président du conseil de surveillance, Ferdinand Piëch.
Gouvernance à l’allemande
Ce scandale et ces révélations, loin de porter seulement un rude coup à la relation client de VW et à la confiance des actionnaires, portent également atteinte à la crédibilité du modèle social allemand si vénéré chez certains universitaires et politiques français.
En effet, il est de bon ton depuis Michel Albert et son ouvrage « Capitalisme contre capitalisme » paru en 1991 d’opposer le capitalisme rhénan au capitalisme anglo-saxon. Ce dernier étant naturellement à proscrire, car opposé à notre culture européenne continentale. Les diverses résurgences du modèle de la cogestion allemande se retrouvent aujourd’hui dans les tentatives un peu désespérées d’introduire une gouvernance partenariale au sein des entreprises.
Depuis le scandale de la société Enron en 2001, on pensait que le mensonge n’était réservé qu’aux dirigeants des entreprises capitalistes anglo-saxonnes qui subissaient la pression intolérable des marchés financiers. Personne n’imaginait que le modèle si vertueux de la cogestion allemande, protégé des actionnaires « rapaces », pouvait aussi déraper.
La cogestion à l’allemande (Mitbestimmung) se veut une pratique de démocratie au sommet de l’entreprise. Partant du principe selon lequel ceux qui sont concernés par une décision doivent pouvoir y prendre part, elle s’incarne dans deux institutions : le conseil d’établissement (CE) et le conseil de surveillance (CS). Le CE, présent dans chaque unité de production, dispose de droits sur les questions sociales et notamment les conditions de travail. De plus, les salariés étant représentés au CS, ils ont des droits sur les questions de gouvernance et le management de la firme (nomination des dirigeants, investissements, restructurations, etc.).
Un autre modèle
La cogestion allemande, bien que critiquée par le patronat pour ralentir les décisions stratégiques, confère donc en théorie un pouvoir substantiel aux salariés dans la gouvernance des entreprises. Il faut dire que jusqu’à présent le bilan de ce mode de gouvernance a été impressionnant et a bien réussi à l’industrie allemande.
En favorisant les lieux d’échanges entre les salariés et les dirigeants de l’entreprise et en permettant aux employés de faire remonter au plus niveau (le CS) des revendications, ce modèle contribuerait (selon un rapport du Sénat du 18 janvier 2011) à préserver la compétitivité des entreprises en régulant à la fois les contraintes sociales internes et l’effet de la globalisation. Il permettrait également de favoriser l’échange entre les représentants des salariés et les attentes des actionnaires.
Bref, au lieu de ne rendre des comptes qu’aux actionnaires, comme dans le modèle actionnarial, les dirigeants des entreprises allemandes seraient obligés de prendre en comptes également les besoins exprimés par leurs collaborateurs.
Des collaborateurs complices
Le scandale qui secoue aujourd’hui le groupe Volkswagen, et l’Allemagne tout entière, n’est donc pas anodin et dépasse le cadre de ce géant industriel. En effet, en jetant une lumière crue sur la réalité du fonctionnement interne de VW il remet en question le célèbre modèle de cogestion à l’allemande censé introduire, selon les théoriciens, une forme de démocratie dans l’entreprise. Loin d’une démocratie, il apparaît selon les premiers témoignages des salariés que la culture de la peur soit à l’origine du scandale.
Alors, que les thuriféraires de la gouvernance actionnariale n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer la dictature des marchés financiers et des actionnaires, voilà un des premiers groupes industriels mondial, censé appliquer les bonnes pratiques de la cogestion, sombrer dans une « monarchie absolue » où le droit de critique est interdit par le fonctionnement même du système.
En faisant des salariés des codécideurs, ces derniers se retrouvent dans la position de collaborateurs, au plus mauvais sens du terme, complices des volontés de leurs dirigeants. Au moins, dans le modèle classique de la gouvernance actionnariale les rôles sont clairs et bien délimités : aux actionnaires la mission de contrôler le management et d’exiger une bonne gestion, et aux salariés celui de défendre leurs intérêts sans compromission.
Rendre compte à tout le monde et à personne
Le scandale Volkswagen montre également que le système de la cogestion à l’allemande permet d’augmenter de façon significative les marges de manœuvre des dirigeants des entreprises. En mettant les actionnaires sur un même pied d’égalité que les salariés, ce modèle permet aux dirigeants de justifier plus facilement leurs politiques et rend leur contrôle plus difficile. En rendant compte à tout le monde ils finissent par ne rendre de comptes à personne. D’où l’idée de monarchie absolue au plus niveau.
Contrairement au modèle de la gouvernance actionnariale, où les dirigeants rendent des comptes uniquement aux actionnaires et où les relations avec les salariés sont effectivement plus dures, voire conflictuelles, la cogestion allemande permet aux dirigeants d’augmenter leurs latitudes discrétionnaires.
Dans une économie mondialisée où les parts de marché se disputent âprement, il peut être tentant d’utiliser ces marges de manœuvre pour défendre ses positions commerciales, même au prix du mensonge. C’est ce qu’ont fait les dirigeants de Volkswagen avec la participation de leurs collaborateurs.
Oui, le scandale VW n’est pas fini et l’onde de choc, y compris sur la gouvernance des entreprises, ne fait que commencer.