Depuis janvier, le dollar américain traverse une période difficile face à l’euro et aux principales devises mondiales. Cette érosion, nourrie par les turbulences politiques et économiques de l’ère Trump, pourrait bien s’installer durablement selon de nombreux analystes financiers.
Le « roi dollar » perd de sa superbe
Il y a quelques mois encore, le billet vert faisait figure de valeur refuge incontournable. Certains experts pariaient même sur une chute de l’euro sous le seuil de 1,00 dollar. Mais les faits ont pris une tout autre tournure : depuis le début 2025, la devise américaine s’est affaiblie de plus de 9 % contre l’euro, qui s’échange maintenant aux alentours de 1,14 dollar. L’indice dollar DXY, baromètre de sa performance face à un panier de devises, recule lui aussi de près de 8,5 % sur la même période.
Les mesures protectionnistes américaines créent des remous
Cette contre-performance trouve d’abord ses racines dans la dégradation des perspectives économiques outre-Atlantique, particulièrement à cause du virage protectionniste de l’administration Trump. L’OCDE a revu à la baisse ses prévisions de croissance du PIB américain, ramenant ses estimations à 1,6 % en 2025 contre 2,2 % précédemment. Les nouveaux droits de douane produisent un effet à double tranchant : ils dopent timidement la production domestique mais grèvent surtout le budget des ménages américains tout en bousculant les circuits d’approvisionnement mondiaux, ce qui refroidit l’appétit des entreprises pour l’investissement.
L’Europe attire les capitaux en fuite
Sur le front financier, ce contexte tendu a déclenché une rotation des portefeuilles à l’échelle planétaire. Les investisseurs délaissent petit à petit les placements américains — qu’il s’agisse d’actions, d’obligations ou de dollars — pour se tourner vers des alternatives, l’euro en tête. Ce mouvement de capitaux amplifie la pression baissière sur la monnaie américaine.
Bank of America observait à la mi-mai un basculement « collectif » des investisseurs internationaux, qui reconsidèrent leur exposition aux actifs libellés en dollar face à l’incertitude politique grandissante et à la montée de l’isolationnisme économique américain.
Quand la hausse des taux ne suffit plus
Un phénomène surprenant illustre cette méfiance envers la devise américaine : tandis que les rendements des obligations d’État à 10 ans grimpaient d’avril à mai, passant de 4 % à plus de 4,6 %, le dollar perdait simultanément plus de 5 % de sa valeur. Habituellement, des taux plus élevés renforcent une devise nationale, mais cette fois, l’exode des capitaux a neutralisé ce mécanisme traditionnel.
De grands établissements comme Deutsche Bank évoquent désormais le spectre d’une « crise de confiance » qui s’installerait dans la durée, allant jusqu’à affirmer que « le mal est fait », quelles que soient les futures décisions de Washington. Les frictions récurrentes entre Donald Trump et le patron de la Fed, Jerome Powell, autour de l’indépendance de la banque centrale, ajoutent une couche d’incertitude supplémentaire qui fragilise encore le billet vert.
Un budget américain qui inquiète les marchés
La perspective d’un projet de loi budgétaire expansionniste, surnommé « big, beautiful bill » par Trump, ne rassure guère les stratèges. Goldman Sachs estime que ce programme créerait des déficits publics durables, creusant davantage le déficit de la balance courante américaine — un facteur classiquement associé à l’affaiblissement monétaire.
Dans une analyse récente, Morgan Stanley anticipe un affaiblissement continu du dollar face à l’euro, au yen et au franc suisse. La banque pointe aussi la réticence de la Fed à baisser ses taux sans déflation marquée. L’instabilité commerciale et les interrogations budgétaires poussent les investisseurs à se couvrir contre le risque de change, accentuant la pression sur la devise américaine.
Morgan Stanley va plus loin : elle prévoit que la future réforme migratoire restrictive promise par les États-Unis ralentira la croissance nationale, renforçant la dépréciation du dollar. L’euro pourrait ainsi dépasser 1,20 dollar, voire atteindre 1,25 selon Bloomberg.
Les grandes banques parient sur la faiblesse du dollar
D’autres poids lourds de la finance, comme Nomura ou Deutsche Bank, partagent cette vision haussière pour l’euro, tablant sur une fourchette de 1,20 à 1,25 dollar pour la période 2025-2026. Deutsche Bank justifie ce scénario par le creusement attendu des déficits américains, couplé à une baisse des investissements étrangers, qui devrait fragiliser durablement le dollar. Parallèlement, la croissance mondiale, soutenue par des politiques budgétaires plus expansives hors des États-Unis, devrait porter d’autres devises.
Les rebonds du dollar resteront éphémères
L’opinion générale des analystes demeure donc réservée, voire pessimiste. Bank of America souligne les obstacles persistants qui freinent la croissance américaine malgré quelques assouplissements tarifaires. Elle prévoit une timide reprise du billet vert, avec un euro estimé à 1,17 dollar d’ici la fin 2025.
UBS, tout en gardant une approche mesurée, mise également sur une progression graduelle de l’euro, portée par un retour à la discipline budgétaire aux États-Unis et un environnement européen plus dynamique. Cette dynamique s’appuie notamment sur l’assouplissement du frein à l’endettement en Allemagne et l’augmentation des budgets de défense européens.
Au final, sauf bouleversement politique ou économique majeur, la tendance reste orientée vers la dépréciation du dollar. Toute remontée passagère devrait être considérée comme une occasion de vente plutôt que comme un retournement durable.

