Le Vaillant petit trader

Voici l’histoire d’un « Vaillant petit trader », un conte qui en dit long sur les mœurs des états-majors bancaires, la comptabilité parfois scabreuse, les pratiques d’enrichissement personnel et, d’une façon générale, les dérives de banques faisant  fortune en brassant des milliards plutôt qu’en finançant l’économie. Nous avons lu pour vous l’ouvrage de Jérôme Guiot-Dorel, ex-responsable à la salle de marchés de la Bred, qui décrypte de façon divertissante l’édifiant bestiaire des géants bancaires.

Le silence complice des conseils d’administration engage-t-il la responsabilité des administrateurs ?

Trader et lanceur d'alerte, Jérôme Guiot-Dorel, licencié en 2012 par la Bred, vient de gagner a minima, son procès pour licenciement abusif aux Prud’hommes contre son ancien employeur. La banque a fait appel, le jugement est prévu pour 2016.
Trader et lanceur d’alerte, Jérôme Guiot-Dorel, licencié en 2012 par la Bred, vient de gagner a minima, son procès pour licenciement abusif aux Prud’hommes contre son ancien employeur. La banque a fait appel, la Cour l’examinera en 2016.

La guerre économique que mènent les grandes organisations aux avant postes de la croissance, sert parfois de prétexte à toutes les compromissions. Tant que les salariés en perçoivent la finalité et trouvent leur intérêt personnel, la plupart du temps ils se taisent. Certains en profitent pour jouer leur propre carte, plutôt que de combattre des pratiques douteuses. D’autres hésitent à révéler les agissements d’un monde cynique, craignant de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Et puis, il y a ceux qui, comme Jean, ce «vaillant petit trader», vivent ce silence complice comme un emprisonnement. Il suffira d’une étincelle, le licenciement aussi abusif qu’expéditif d’un supérieur brillant et admiré, pour qu’il prenne peur et déclenche l’alerte qui va déchaîner le monstre.

Ce sera d’abord une longue traque intellectuelle. Jean, responsable d’un desk de trading [ndlr table de négociation dans une salle de marchés] va tenter de débusquer et de comprendre les mystifications comptables auxquelles se livrent le directeur financier et directeur général-adjoint de sa banque. Il lèvera le voile sur une utilisation créative des normes IFRS (International Financial Reporting Standards) qui gonflera les bénéfices du groupe, et surtout, bien sûr, les bonus de ses dirigeants, à la limite de l’abus de biens sociaux. Après une succession d’intimidations et de coups bas émanant de la direction qui couvre les agissements de l’état-major, le vaillant petit trader réussira à tirer la sonnette d’alarme auprès de l’Inspection générale du groupe. Les faits seront reconnus, mais la banque ne punira pas pour autant les responsables. Elle finira en revanche par se débarrasser de Jean sous un prétexte fallacieux et menacera de l’attaquer au pénal pour avoir détenu le rapport de l’Inspection générale, seule pièce à conviction pour sa défense devant les Prud’hommes.

[NDLR : les dirigeants d’entreprise abusent de telles dénonciations calomnieuses traumatisantes contre leurs salariés, alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé, dans son arrêt n° 10-85079 du 16 juin 2011 que tout salarié a le droit de conserver des documents compromettant pour son employeur dès lors que c’est exclusivement pour sa défense, quelle que soit la façon dont il se les est procurés, même avant qu’un contentieux n’éclate].

La boîte à outil du lanceur d’alerte

« Le Vaillant petit trader » de Jérôme Guiot-Dorel, 203 pages, éditions Lignes de repères, 2014.
« Le Vaillant petit trader » de Jérôme Guiot-Dorel, 203 pages, éditions Lignes de repères, 2014, ou le récit des turpitudes au sommet d’une banque pour enrichir ses dirigeants.

Outre son récit poignant, conté avec humour et fantaisie, le livre préfacé par l’avocat William Bourdon (qui se bat pour la cause des lanceurs d’alerte), est aussi une véritable boîte à outils pour ceux ou celles qui n’acceptent pas de couvrir, dans leur entreprise, des agissements contraires aux règles d’éthiques.

Jean apprendra à ses dépends qu’il faut taper haut et fort très rapidement avant que « le monstre » ne se mette en branle pour riposter avec toute la violence des grandes organisations. Il constatera que quand la machine est en marche, les moments d’accalmie ne servent qu’à fourbir les armes contre le lanceur d’alerte et à lui faire lâcher prise. Il notera qu’il est difficile d’agir seul mais que des complicités internes existent pour peu que chacun y trouve son compte, et à condition de ne pas éveiller les soupçons, donc de taire ses découvertes. Il n’oubliera pas de réunir les preuves tangibles de ce qu’il avance mais se gardera bien d’être accusé de recel. A bout de force, il n’hésitera pas à lever le pouce, et à consulter son médecin avant même d’aller voir la médecine du travail. Enfin, Jean s’apercevra qu’il n’a pas grand chose à attendre des grands avocats pénalistes à qui il va se livrer avec candeur. Il découvrira que beaucoup d’entre eux œuvrent en coulisse pour le camps adverse, celui des dirigeants coutumiers des poursuites pénales qui enrichissent ces avocats avec l’argent de leur entreprise !

Un tour de magie comptable avec l’assentiment des commissaires aux comptes

Ce livre « Le vaillant petit trader » suggère aussi une autre lecture à ceux qui veulent percer les mystères de la comptabilité bancaire créative. Dans la banque de Jean, l’utilisation astucieuse des normes IFRS – que l’auteur détaille par le menu-, appliquées à la comptabilisation d’un portefeuille obligataire et de sa protection sur l’évolution des taux (swap), va permettre de faire apparaître des profits dans le compte de résultat de la banque, comme par magie, alors que des pertes « miroir » sont camouflées dans le bilan. Avec la complicité des commissaires aux comptes, et le silence complice des conseils d’administration, la supercherie comptable qui gonfle les bonus, passe inaperçue puisque profits et dépréciation des fonds propres s’équilibrent finalement.

Elle semble si simple à mettre en œuvre qu’on peut se demander si elle n’a pas été utilisée à grande échelle par les établissements financiers entre 2006 et 2008.

L’auteur, Jérôme Guiot-Dorel, qui a vu la crise financière de très près, ne peut s’empêcher de conclure son récit par quelques réflexions personnelles sur le rôle des banques. Il insiste notamment sur un point qui a été insuffisamment mis en avant : la responsabilité des conseils d’administration et les carences de la gouvernance bancaire.

« Le rôle du conseil n’est pas d’étouffer les secrets de Polichinelle ou de laver le linge sale en famille » mais de punir avec la plus grande sévérité des malversations financières conçues avec préméditation, estime l’ex-trader.

Dans les banques, il suggère donc de reconstruire les conseils, de les rajeunir, de désigner des administrateurs capables d’appréhender une discipline financière extrêmement technique. Et surtout, de rattacher directement au conseil d’administration le responsable des risques de la banque, qui sera nécessairement une personnalité dotée d’une très forte autorité au sein de l’établissement.

«Le conseil ne doit pas être en conflit d’intérêt avec la direction générale, ne doit pas non plus pouvoir être tenté par aucune compromission et son éventuel salaire variable doit être strictement défini ». Dans les grandes banques françaises, on est très loin aujourd’hui d’appliquer un tel schéma de contrôle des risques.

« Le Vaillant petit trader » de Jérôme Guiot-Dorel, 203 pages, publié en 2014 aux éditions Lignes de repères.

Trader et lanceur d’alerte, Jérôme Guiot-Dorel, licencié en 2012 par la Bred, vient de gagner a minima, son procès pour licenciement abusif aux Prud’hommes contre son ancien employeur. La banque a fait appel, la Cour examinera celui-ci en 2016.

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