Rémunérations : chez Air Liquide, Benoît Potier s’offre la panoplie complète

Ne vous y trompez pas, la plupart des patrons dont les pactoles font la une des journaux qu’ils s’appellent Carlos Ghosn ( Renault), Olivier Brandicourt (Sanofi), Carlos Tavarès ( Peugeot) ou Alexandre Bompard (FNAC)… sont très fiers d’exhiber leurs rémunérations hors normes. Plus leur pactole est élevé, plus les médias s’y intéressent, plus le français moyen s’indigne et plus les dirigeants les mieux payés sont enviés et admirés de leurs pairs.

Cette année, c’est chez Air Liquide que nous sommes allés chercher le caïd des rémunérations patronales, notre candidat à la Carotte d’or 2017. Dopé par l’acquisition d’Airgas, le PDG  Benoît Potier, mérite le titre. Il s’est fait offrir  la panoplie complète des rémunérations patronales. Les actionnaires d’Air Liquide aussi nombreux que fidèles, n’ont pas toujours apprécié ces excès. Le cas Air Liquide que nous analysons ci-dessous dans le détail, permet d’entrevoir  toutes les ficelles qui s’offrent aux dirigeants désireux de se constituer un pactole en s’appuyant sur une gouvernance complice.

La Carotte d’or 2017 décernée à Benoît Potier

 

Benoît Potier cumule les fonctions de Président et de directeur général d’Air Liquide depuis 2006. En 2016, il a obtenu de l’ AG,  la prolongation de la durée du mandat de DG jusqu’à 65 ans et de président jusqu’à 70 ans.  En se faisant voter cette année, une rémunération hors normes par ses actionnaires et la panoplie complète qui va avec, Benoît Potier aura réussi « le grand chelem ». Il a engrangé l’an dernier, environ 8 millions € d’émoluments divers soit environ 23 000 €/jour. Bardé de bonus, il doit maintenant concrétiser avec ses équipes les synergies de la fusion avec l’américain Airgas.

Près de 42 % de vote contre son say on pay 2016 en AG

Pourtant en AG, la pilule a été un peu plus difficile à avaler que les autres années. L’assemblée générale  d’Air Liquide est l’une des plus suivie de la cote. Le 3 mai 2017, au Palais des Congrès environ 3800 personnes sont venues y assister et au total ce sont 131 000 actionnaires qui ont participé au vote des résolutions. La moitié des droits de vote de la société étaient représentés. Mais alors qu’en  2014, le PDG avait obtenu un vote quasi unanime de son « Say on Pay » 2013 ( 98 %), qu’en 2016, il avait encore fait un score de plus de 90 % , ces jours derniers, il   n’a obtenu que 58 % de votes positifs  pour son « Say on Pay  » 2016 (résolution n°10).

Concernant le vote des principes de la rémunération 2017 (vote à la résolution n° 8) Benoît Potier qui a concédé quelques aménagements sur la forme ( mais pas sur le montant) a obtenu  un consensus de 88 % des votants. Le PDG d’Air Liquide qui n’a jamais cessé de faire remarquer que sa rémunération n’était pas à la hauteur de celle de ses pairs anglo-saxons (10 à 13 millions €/an),  restera donc, l’un des patrons les mieux payés du CAC40 avec des augmentations annoncées pour 2017 et 2018.

C’est le patron de L’Oréal et  administrateur référent d’Air Liquide, Jean-Paul Agon,  l’un des patrons les mieux payés du CAC40 lui aussi, qui préside le comité de la gouvernance ainsi que le comité  des rémunérations d’Air Liquide. Pour autant, contrairement à ce qu’on pourrait attendre de ces grands dirigeants, chez Air Liquide, les pratiques en matière de gouvernance ne sont pas toujours les meilleures.

Benoit Potier assiste au conseil d’administration qui délibère sur sa rémunération

En 2016, le PDG n’a pas suivi toutes les recommandations de l’Afep-Medef -où il siège pourtant-. Concernant la fixation de sa  rémunération patronale, il est indiqué en effet, dans le document de référence d’Air Liquide que si Benoît Potier n’assiste pas aux comités de rémunérations qui délibèrent sur sa rémunération ainsi qu’il est préconisé dans le code patronal, il préside en revanche le conseil d’administration durant lequel Jean-Paul Agon présente les propositions de rémunération du PDG émanant du comité ad-hoc.

Or c’est précisément pour éviter des dérapages, dans des cas de contestation délicates de la part du conseil ( lorsque les fonctions Président et DG sont réunies par exemple), que le code Afep-Medef a édicté dans son article 17.3, la recommandation qui consiste à faire sortir le PDG du conseil, lorsque celui-ci statue sur son cas.

Il ne faut donc pas s’étonner que le « Say on Pay » 2016 de Benoît Potier soit aussi mal passé chez les investisseurs à cheval sur la gouvernance. Mais ce n’est pas la seule raison : d’autres actionnaires ont relevé que les « bonus » accordés sous forme d’actions gratuites suite de l’opération Airgas, n’incitaient pas assez le dirigeant et ses équipes à transformer l’exploit industriel en bénéfices pour l’investisseur.

Enfin, des petits porteurs ont voté « contre », parce qu’ils ont trouvé que le mille-feuille exceptionnel de rémunérations accordé à Benoît Potier était trop garni ou ne leur permettait pas d’avoir une vision claire de sa rémunération globale.

Décrypter les émoluments du PDG d’Air Liquide est donc un exercice intéressant. En effet, le sentiment de complexité est bien là. Ce que Benoît Potier a engrangé en 2016 n’en finit pas, qu’il s’agisse de rémunérations  fixes ou variables, immédiates ou différées, de stock-options, d’actions gratuites dites de performance, de prime exceptionnelle, de prime d’assurance vie payée par l’employeur, de cotisation de retraite chapeau, tout y est ou presque.

Le fixe augmente de 7 % en 2016 à 1,18 M € et augmentera de 8,5 % en 2017

La rémunération fixe du PDG lui est dû quelque soit sa performance et c’est l’une des bases ( avec le variable annuel) du paiement de sa future retraite.

La rémunération fixe de Benoit Potier  qui stagnait depuis 2009, au grand dam du PDG, a été relevée de + 7 % à 1 175 000 € l’an dernier.  Il a été indiqué, à l’occasion de l’AG et du vote des critères de rémunération 2017 que ce fixe va encore augmenter de 8,5 % à 1 275 000€ en 2017, et probablement en 2018.

La rémunération variable annuelle (bonus) est en baisse de 24 % à 1,16 M€

La rémunération variable annuelle  aurait pu représenter au maximum 180 % de son fixe soit 2 115 000 € si Benoît Potier avait dépassé les objectifs assignés. Mais la performance fixée, c’est à dire les objectifs de bénéfice net par action ( BNPA)  et de rentabilité après impôt des capitaux employés (ROCE), n’a été, ni dépassée, ni même atteinte l’an dernier. En revanche le conseil a estimé, comme chaque année, que ses objectifs personnels représentant 66,5 % du fixe ( non quantitatifs et  plus faciles ) étaient atteints. Par conséquent, le PDG a eu droit à 1 258 000 €.   La part variable attribuée a représenté 107,1 % de la rémunération fixe de 2016 tandis que le montant en valeur absolue baisse de 24 % par rapport à 2015.

« Ces objectifs très ambitieux avaient été fixés en début d’année 2016, sur la base de prévisions de croissance des indices de production industrielle par pays fin 2015 qui ont été révisées à la baisse de manière significative. » c’est ainsi que  le document de référence justifie la performance médiocre de 2016.

Pour 2017 (résolution n°8), les critères de performance associés à l’attribution de la part variable changeront. Les critères personnels pèseront moins et la performance financière davantage. Un troisième critère financier lié à la hausse du chiffre d’affaires sera introduit.

Une voiture de fonction et une assurance chômage comptés pour 10 000 €/an

Benoît Potier a droit à une voiture de fonction et une petite assurance chômage qui coûtent à elles deux  10 000 €. On notera au passage que cette couverture du PDG au titre de la garantie sociale des chefs et dirigeants d’entreprise, est faible (7 514 € de cotisation). Pour certains dirigeants, la garantie peut représenter jusqu’à 70 % des rémunérations fixes et variables du patron, moyennant une cotisation payée par la société souvent de l’ordre de 10 % de la rémunération.

Des stock-options sous conditions de performance estimées à 1,20 M€  

Air Liquide est l’une des dernières grandes entreprises cotées à distribuer des stock-options. La société a décidé de maintenir chaque année, pour Benoît Potier, une distribution de stock-options, qui s’ajoute à une distribution d’actions gratuites.

Le 29 novembre 2016, le PDG  s’est fait attribuer 60 000 stock-options avec un prix d’exercice de 93 €, qu’il lui sera possible d’exercer à compter de 2020 et jusqu’en 2026. Cette attribution est assortie de conditions de performance calculées sur 3 ans . Les objectifs cette fois-ci,  fonction du BNPA récurrent et du rendement du titre Air Liquide pour l’actionnaire (TSR) intégrant un élément de comparaison relatif au CAC40 et à ses pairs.

Dans l’hypothèse où les performances seraient atteintes et où le cours d’Air Liquide resterait à son niveau actuel (113 €) , Benoit Potier pourrait avoir droit le jour venu de réaliser un gain de  1,2 millions € sur la levée de ses options puis la vente des actions ainsi acquises.

On notera que les normes IFRS permettent de valoriser cette rémunération pour la moitié de cette somme soit 0,6 million € dans les comptes d’Air Liquide.

Des actions gratuites sous conditions de performance estimées à  2,01 M€ 

Il faut savoir que grâce aux lois Macron notamment, la fiscalité des actions gratuites est très avantageuse (fiscalité des plus value à LT et abattement).

Parallèlement à son attribution de stock-options, Benoît Potier aura droit au titre de 2016,  à 17 800 actions gratuites sous les mêmes conditions de performance que les stock options. Elles seront acquises sous réserve d’avoir réalisé ces performances en 2019 et les actions seront disponibles à la vente en 2021.

Dans l’hypothèse où les performances seraient atteintes et où le cours d’AirLiquide resterait à son niveau actuel (113 €) , Benoit Potier pourrait avoir droit le jour venu à 2 millions € sous forme d’actions AirLiquide. On notera que les normes IFRS permettent de valoriser cette attribution pour 1,3 million € seulement.

A titre d’exemple, si le cours d’Air Liquide continuait de progresser d’ici 2021 pour atteindre 143 €,  pour la seule attribution de 2016,  le pactole de Benoît Potier en stock-options et en actions de performance ordinaires, atteindrait  5,5 millions €  sous réserve qu’il ait atteint les objectifs fixés.

Pour l’année 2017, Benoît Potier continuera à cumuler des  stock-options (SO) et des actions dite de performance. Le critère de performance qui consiste à comparer la performance d’Air Liquide avec celle de ses pairs, en termes de TSR ( rendement de l’action pour l’actionnaire) est supprimée, la référence au CAC40 reste en revanche. L’attribution des deux paquets SO et actions, sera limitée à 1,5 fois la rémunération fixe ( normes IFRS) ce qui semble constituer une légère baisse.

Une prime exceptionnelle en actions liée à Airgas estimée à 2,26 M€

Pour remercier les troupes d’avoir mené à terme le rachat d’Airgas, Air Liquide a décidé de distribuer en Juillet 2016, à 15 000 salariés une dose supplémentaire d’actions gratuites.

Benoit Potier en tant que PDG en est également bénéficiaire. A ce titre et dans les mêmes conditions que les actions de performance « ordinaires » décrites ci-dessus, il s’est promis de recevoir 20 000 actions Air Liquide soit au cours actuel l’équivalent de 2 260 000 € si les performances requises sont réalisées. Elles sont évaluées à 1,5 million € en normes IFRS.

Cette attribution aurait déplu à certains investisseurs qui auraient demandé que les critères encouragent vraiment les bénéficiaires à « terminer le travail », à dégager les synergies avec Airgas dans les délais. Air Liquide devrait donc bientôt corriger les critères de  son plan d’actions de performance « Airgas » du 29 juillet 2016 en conséquence pour son PDG.

Un contrat d’ assurance-vie art.82 avec le versement d’une prime de 205 416 € 

En 2016, Air Liquide a versé à des organismes une prime d’assurance vie de  205 416 €, au bénéfice de Benoît Potier. Ce contrat contrat collectif d’assurance-vie doit prendre le relais du régime de retraite à cotisations définies (ci-dessous). Il permet de constituer en faveur du bénéficiaire une épargne disponible à tout moment, faiblement fiscalisée. Sinon, le capital peut être converti en rente viagère annuelle. La rente de Benoît Potier au titre de ce dispositif est estimée fin 2016 à 30 604 € bruts par an. Cette somme pourrait être transmissible à son décès en franchise d’impôts (mais pas de contributions sociales).

Retraite chapeau à prestation définie : rente 40 000  €/mois 

Benoît Potier en qualité de Président-Directeur Général pu bénéficier d’un régime de retraite à prestations définies. Les droits de Benoît Potier sont estimés, au 31 décembre 2016, à  478 916 euros bruts par an de retraite après 35 ans passés dans le groupe. La loi Macron exige des conditions de performance pour l’obtention de cette retraite mais pas avant 2018. Par conséquent pour l’instant Air Liquide n’a pas mis de conditions  au versement de cette retraite à prestation définie.

Retraite chapeau à cotisation définie :  rente 14 000 €/mois

Le Groupe Air Liquide avait  institué, au sein de plusieurs sociétés dont L’ Air Liquide S.A. un régime de retraite à cotisations définies au bénéfice de l’ensemble des salariés.  Benoît Potier bien que P-DG avait été autorisé à en bénéficier. Ses droits sont estimés au 31 décembre 2016 à 171 467 €/an.

En 2016, le montant versé par AirLiquide à l’organisme chargé de gérer le régime complémentaire de retraite à cotisations définies, a atteint 9233 € en 2016.

Une indemnité de départ estimée à 4,6 M€

Seul  un départ contraint lié à un changement de stratégie ou  de contrôle peut donner lieu à indemnisation,  le montant de l’indemnité est fixé à 24 mois de rémunération brute fixe et variable et diminue progressivement à l’approche de la limite d’âge statutaire (soit 65 ans, Benoît Potier a 59 ans).

Le droit à indemnité est soumis à conditions de performance qui ont été relevées en 2014 : le montant de l’indemnité versée est fonction de la moyenne de l’écart annuel entre la rentabilité après impôts des capitaux employés (ROCE) et le coût moyen pondéré du capital (WACC) (évalué sur fonds propres comptables), sur les trois derniers exercices précédant le départ.

Un écart moyen sur trois ans de 300 points de base entre le ROCE et le WACC est exigé pour pouvoir bénéficier de la totalité de l’indemnité.

Pas de  jetons de présence chez Air Liquide mais une présence rémunérée au conseil de Danone

Benoît Potier ne perçoit pas de jetons de présence au titre de son mandat d’administrateur d’Air Liquide. En revanche, il est administrateur de Danone depuis plus de 12 ans ( mais considéré comme indépendant ) et siège au Comité de Nomination et de Rémunération du groupe. Il a perçu 68 000 € de jetons de présence en 2016 chez Danone dont il possédait  8481 actions en fin d’année.

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A suivre : la structure du capital d’Air Liquide s’est modifiée au cours des 10 dernières années et en particulier en 2016.

 

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