Casino, Orange, EDF : l’excès de dividendes peut nuire à la santé

L’année 2018, restera un cru exceptionnel pour les dividendes dus aux actionnaires. Mais ce cash qui leur est retourné, ne l’est pas toujours à bon escient. Chez Casino, Orange et EDF, la distribution est jugée trop généreuse et fait grincer des dents.

Dividendes stables ou en hausse pour toutes les sociétés du CAC40

Pour 15 émetteurs du CAC40, les résultats de 2018 présenté aux actionnaires en assemblée générale, reculent. L’an dernier, les incertitudes économiques ont pesé sur les courants d’affaires de certains secteurs ( services financiers, service aux collectivités, industrie…). Globalement les bénéfices du CAC40 ont baissé de plus de 7 % avec toutefois beaucoup d’exceptionnel dans un sens comme dans l’autre. Cette faiblesse apparente n’a pas empêché, ces très grandes entreprises de distribuer de généreux dividendes à leurs actionnaires.

Toutes les entreprises du CAC40 maintiennent en 2019 – au titre de l’exercice 2018 – les profits reversés aux actionnaires. Vingt quatre d’entre elles propose même aux actionnaires de voter une augmentation du dividende supérieure ou égale à 10 % pour onze d’entre elles. Cet effort reflète une performance opérationnelle plutôt satisfaisante dans l’ensemble et des perspectives plutôt optimistes pour 2019, qui doivent néanmoins être confirmées.

Les distributions de dividendes sont censées satisfaire les actionnaires, mais en période de bas taux bas et de valorisations boursières élevées, c’est parfois un cadeau empoisonné. Comment replacer l’argent perçu alors que les revenus de l’épargne sont au plancher, et qu’en Bourse, les cours sont au plus haut historiques ? Sans compter qu’une partie de ce cash va souvent directement dans les poches de l’Etat (30 % sauf pour les contribuables qui sont peu ou pas imposables). Une partie des actionnaires préfèrent donc se voir payer le dividende en actions avec une décote, mais les sociétés qui offrent cette possibilité sont encore trop rares. Pour tirer profit des politiques de distribution généreuses, il faut donc soit vivre de ses rentes, soit avoir des dettes à rembourser.

Rendre l’argent à ses actionnaires, est-ce vraiment un bon signal donné au marché ? La question se pose cette année pour au moins trois grands émetteurs.

Chez Casino, le dividende déraisonnable sert à payer les dettes

Plus le temps passe et plus il donne raison aux activistes qui interpellent régulièrement depuis 2016, le PDG de Casino. Chaque année, la situation est un peu plus tendue. Jean Charles Naouri contrôle toujours le capital du groupe de distribution via une cascade de holding, couvertes de dettes, au prix de risques de plus en plus élevés pour les minoritaires du groupe.

Pour rembourser les dettes de son holding Rallye, le patron de Casino Guichard doit pomper le cash de Casino en se versant de plantureux dividendes qui ne sont plus à la portée du distributeur, obligé de céder des actifs. Les actionnaires minoritaires ( 49 % du capital) ont l’impression de profiter de la générosité de Casino mais il ne tardent plus à s’apercevoir que le groupe vit largement au dessus de ses moyens et que vendre les bijoux de famille n’a jamais enrichit personne.

Proxinvest a recommandé de voter contre le dividende de Casino

A l’occasion de l’AG , le 7 mai dernier, la société de conseil en vote Proxinvest a recommandé de voter contre le dividende de Casino. La résolution a pourtant réalisé en AG un score stupéfiant avec 99,36 %¹ des votes en sa faveur. Pour Proxinvest, le niveau des dividendes de Casino, est élevé, risqué, voire irresponsable et ceci depuis 2015. Le groupe Casino aura versé au titre de 2018, 3,12 € par action, chiffre inchangé depuis des années.  C’est 9% de la valeur de l’action au moment de l’AG. Après un acompte de 1,56 € en décembre, le solde du dividende détaché le 9 mai, sera versé le 13 mai sera pour un montant équivalent de 1,56 €.

Le géant de la distribution a pourtant fait une mauvaise année, la société est en perte (54 M€), et surtout sa valeur d’actif net s’est effondrée de 17% soit 2,4 milliards € avec l’impact de nouvelles normes comptables plus précises. L’action Casino Guichard a perdu en Bourse 23 % de sa valeur depuis l’annonce en mars dernier des résultats 2018.

Les actionnaires de Casino, n’ont rien à gagner dans cette hémorragie de trésorerie. Le dividende total de 342 millions € « n’est pas couvert par le cash net après investissement et semble dès lors excessif » note Proxinvest. Le versement « ne peut être financé que par un risque d’endettement plus élevé ou par des cessions d’actifs ». La société a plutôt fait le choix de mettre en oeuvre d’importants plans de cessions d’actifs et la vente des activités réduit le périmètre du groupe privé de 9% en termes de chiffre d’affaires consolidé et de 18% en termes de résultat opérationnel, selon le proxy.

S’ajoute à cette dégradation automatique de la rentabilité, des opérations de lease-back qui font rentrer de l’argent dans les caisses mais l’effet est artificiel. Ces opérations ont pour conséquence des engagements de loyers immobiliers et mobiliers qui passent ainsi de 3  à 3,6 milliards €. Le  bilan est allégé à court terme mais les locations restent à payer dans la durée. De la créativité comptable !

Lire les explications de Proxinvest sur le dividende de Casino 

Personne n’est dupe, le maintien du dividende à 3,12 € est le seul moyen pour le holding familial Rallye ( 61 % des droits de vote et 52 % du capital de Casino) de trouver de l’argent pour payer les dettes. Les holdings en cascade ont abusé des effets de levier et ce sont les actionnaires de Casino qui paient les pots cassés.

Pour se constituer un empire, Jean-Charles Naouri a utilisé l’effet de levier comme l’ont fait avant lui Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou François Pinault. A la différence près que plus la situation se dégrade dans la grande distribution avec la crise des hypermarchés et plus l’exercice devient périlleux.

Chez Orange, le FCPE Orange Actions réclame une baisse du dividende 

Il n’y a pas que la construction des fortunes familiales qui pompent le cash des entreprises cotées. La distribution de dividendes excessive a longtemps été le fait de l’Etat, actionnaire impécunieux. Des entreprises pourtant endettées sont régulièrement été mises à contribution. Chez Orange, le dépôt d’une résolution externe visant à réduire le dividende versé aux actionnaires est devenue une tradition.

L’actionnariat salarié d’Orange pèse significativement au capital de l’opérateur téléphonique². Certains représentants ont demandé et obtenu le départ du conseil d’administration d’Orange de l’avocate franco-iranienne Mouna Sepehri. L’ancien « bras droit » de Carlos Ghosn chez Renault a préféré ne pas demandé le renouvellement de son mandat d’administratrice. Le Fonds Commun de Placement d’Entreprise (FCPE) Orange Actions a déposé pour sa part, pas moins de 4 résolutions qui seront soumises au vote des actionnaires en AG le 21 mai prochain. Les résolutions de A à D, visent à renforcer la part des salariés au capital d’Orange, à modifier les statuts pour éviter le cumul des mandats des administrateurs, et surtout à réduire le dividende.

Au capital de l’opérateur téléphonique historique, les salariés actionnaires se classent au deuxième rang derrière l’Etat. Au 31 décembre 2018, le personnel détenait, à travers le FCPE du Plan d’épargne Groupe, 5,13 % des actions et 8,56 % des droits de vote. Compte tenu des actions Orange détenues au nominatif dans le cadre d’opérations passées (attribution gratuite d’actions) par certains salariés, représentant 0,37 % du capital et 0,62 % des droits de vote, l’actionnariat salarié cumule plus de 9 % des droits de vote.  L’Etat et BPIFrance ayant seulement 29,4 % des droits de vote, ils peuvent se retrouver en minorité en AG, ce qui donne un poids non négligeable aux salariés s’il faut « faire l’appoint » pour atteindre 50 ou 66 % et faire passer certaines résolutions.

Depuis plusieurs années, le FCPE d’actionnariat salarié Orange joue un rôle actif et s’estime bien placé pour recommander un dividende inférieur aux recommandations du conseil. La « résolution C » proposée au vote cette année, suggère d’abaisser le dividende de 21 % pour libérer environ 390 millions € de cash qui resteraient ainsi chez Orange.

L’association pour la défense de l’épargne et de l’actionnariat des salariés fondée par des actionnaires salariés d’Orange qui soutient la position du FCPE, fournit les explications suivantes dans ses recommandations de vote à l’AG du groupe : « le dividende augmente, passant de 0,65 € l’an dernier à 0,70 € par action. A nouveau, il est supérieur au résultat net par action, qui est de 0,63 € : l’entreprise dilapide ses réserves, qui devraient être consacrées à l’investissement, au désendettement, ou au financement des acquisitions nécessaires au développement de notre Groupe. Nous recommandons donc de voter pour la résolution alternative A, qui propose de limiter le montant du dividende à 0,55€ / action au titre de l’exercice 2018 ».

L’endettement d’Orange est certes moins élevé que celui d’EDF mais le groupe doit lui aussi continuer d’investir pour couvrir les zone blanches en France, en même temps qu’il s’apprête à dépenser des sommes importantes pour développer la 5G. C’est pourquoi le FCPE d’actionnariat salarié d’Orange votera en faveur de la résolution C lors de l’AG du 21 mai prochain, afin de ramener le dividende 2018 d’Orange à 0,55 €.

Le FCPE Actions EDF propose lui aussi de réduire les versements aux actionnaires

Chez EDF, depuis l’an dernier, l’Etat a obtempéré et  il a décidé de percevoir son dividende en actions EDF jusqu’en 2020, pour renforcer la structure financière du groupe. Ceci n’a pas empêché le FCPE d’actionnariat salarié EDF de monter au créneau pour rappeler que le cash reversé aux porteurs d’actions manque à l’appel quand il faut investir.

Le Conseil de surveillance du FCPE Actions EDF, composé de représentants d’organisations syndicales³ (les associations d’actionnaires salariés n’ont pas été autorisées à participer à la dernière élection) a déposé une résolution externe ( résolution A) à l’assemblée générale d’EDF qui se tiendra le 16 mai prochain. Il propose de ramener le dividende ordinaire ( dont un acompte de 0,15 € a été payé en décembre) de 0,31 € par action à 0,18 € et le dividende majoré ( +10 % ) de 0,341 € à 0,198 €, ceci selon le FCPE afin de ne pas pénaliser les comptes de la Société qui doit emprunter pour payer dividende, et « dans la perspective d’atteindre un cash flow positif, hors Hinkley Point C et hors compteurs Linky»

Malgré cet appel à la raison, le conseil d’administration d’EDF n’a pas agréé la résolution A présenté par le FCPE d’actionnariat salarié d’EDF, qui sera, malgré tout, soumise au vote des actionnaires en AG sans aucune chance d’être votée. L’Etat possède 83,7 % du capital et les actionnaires salariés 1,2 %.

Le personnel aura toutefois droit, à « un lot de consolation ». Le conseil d’administration d’EDF a décidé, le 4 avril 2019, d’une opération d’actionnariat salarié. L’Etat cédera au maximum 7,7 millions d’actions existantes à EDF, d’une valeur à ce jour de 94 millions €. EDF les rétrocédera immédiatement à ses salariés, anciens salariés et retraités éligibles, avec une décote de 20% via des montages financiers leur permettant avec une mise minime, un espoir de gain conséquent.

A consulter :

Brochure de convocation d'EDF à l'AG 2019
Recommandations de vote de l'association Energie en actions à l'AG 2019 EDF
Brochure de convocation Orange à l'AG 2019
Document de référence 2018 d'Orange 
Recommandations de vote de l'association ADEAS à l'AG 2019 d'Orange

¹ Le 11 mai 2019, Casino Guichard n’avait toujours pas publié le résultat des votes de l’AG du 7 mai.

² Pour mémoire, depuis l’accord de gouvernance signé le 27 mars 2018, les représentants de la Direction d’Orange ne votent plus les résolutions présentées à l’AG des actionnaires.

³ Les associations d’actionnaires salariés n’ont pas été autorisées à participer à la dernière élection des membres du conseil de surveillance du FCPE des actionnaires salariés d’EDF.  L’association « Energie en actions » d’actionnaires salariés et anciens salariés du groupe EDF, ne s’associe pas à l’initiative du FCPE et recommande seulement de voter en faveur des résolutions 1, 2, 3, 4, 18, 20 et 21 soumises à l’AG.