Jacques Aschenbroich prié de revoir la gouvernance de Valeo

L’Etat, au travers de la CDC et de la Banque Publique d’Investissement dirigée par Nicolas Dufourq, vient de réinvestir environ 170 millions € chez Valeo. L’équipementier automobile qui nous fait rêver sur les véhicules autonomes, a connu une année difficile. En 2018, son bénéfice a reculé de 38 %, à 546 millions d’euros et sa marge opérationnelle a chuté de deux points  à 6,3 %, ce qui ne l’empêchera pas de distribuer 300 millions € de dividendes à ses actionnaires. C’est, en tout cas, ce que son conseil va proposer à la prochaine assemblée générale du groupe du 23 mai 2019.

Le renouvellement du mandat de Jacques Aschenbroich, 64 ans, proposé à l’AG du 23 mai

Valeo a perdu 40 % de sa valeur depuis un an. L’Etat arrive-t-il à la rescousse, pour contrer le activistes comme l’a laissé entendre le ministre Bruno Lemaire récemment, ou compte-t-il sur un redressement pour faire une bonne affaire ? Ce qui est certain, c’est qu’à nouveau, la présence d’un activiste au capital laisse présager des changements, tandis que la gouvernance de Valeo a transmis ces deux dernières années des signaux inquiétants au marché. L’Assemblée générale sera un moment important. Les actionnaires devront statuer le 23 mai, sur le renouvellement du mandat d’administrateur du PDG Jacques Aschenbroich, âgé de 64 ans ( 6ème résolution). Elle sera appelée à voter ses rémunérations de 2018 (9ème résolution) et celles de 2019 ( 10ème résolution) ainsi que le renouvellement de la retraite chapeau (5ème résolution) du PDG. Deux administrateurs quittent le conseil dont l’ancien Président Pascal Colombani (nommé par ailleurs, administrateur référent de TechnipPLC) tandis que Jacques Aschenbroich fait venir deux nouveaux membres avec la nomination pour 4 ans du centralien Olivier Piou, 60 ans, ex-DG de Gemalto (7ème résolution) et de Patrick Sayer, 61 ans, X-Mines et ex-président du directoire d’Eurazeo (8ème résolution). L’Etat français devenu le premier actionnaire avec 7,34% du capital devant le fonds activiste américain Harris Associates et le fonds souverain norvégien (5 % chacun), n’obtient pas de poste au conseil de Valeo avant l’AG. Tandis que Bruno Bézard, l’ancien patron du Fonds Stratégique d’Investissement passé dans le privé y siège toujours. Il est acquis que l’Etat rentrera au conseil après l’AG.

L’unification des fonctions reste critiquée par les activistes

Pour que son renouvellement soit voté, Jacques Aschenbroich, s’est engagé, dans les deux ans à séparer de nouveau les fonctions de Président et de DG¹. Curieusement l’histoire semble se répèter. Puisqu’à la fin des années 2000, l’Etat avait déjà fait une incursion au capital de l’équipementier pour venir à la rescousse de l’ancien PDG Thierry Morin, face à un fonds activiste américain (Pardus). Ce dernier reprochait au PDG des divergences stratégiques, des rémunérations trop élevées et surtout des fonctions de DG et de PDG unifiées. Il avait vraisemblablement en tête de fusionner Valeo avec l’américain Visteon, or, les fonctions unifiées ne permettent pas au conseil d’envisager sereinement des opérations de rapprochement ( voir le cas SCOR-COVEA). Après le départ de Thierry Morin, en 2009, Jacques Aschenbroich avait été appelé pour prendre la direction générale, tandis que Pascal Colombani occupait la présidence. Puis, fortement critiqué sur sa rémunération, en 2017, Jacques Aschenbroich avait de nouveau réuni les fonctions de DG et de président et, de nouveau l’Etat entre à présent, au capital, tandis que l’unification des fonctions est, en France, sous le feu des critiques.

Depuis deux ans, la rémunération de Jacques Aschenbroich rencontre l’opposition des sociétés de conseil en vote aux investisseurs. Le conseil d’administration avait prétexté en 2017, l’unification des fonctions (DG et président) pour justifier d’une hausse de la rémunération fixe de 11% du PDG, considérant qu’il y avait élargissement de son périmètre de responsabilité. Jacques Aschenbroich était alors, à la fois dans le collimateur de Glass Lewis et de Proxinvest. Cette dernière agence en conseil en vote avait alerté sur la hausse de 59% de sa rémunération totale entre 2015 et 2016 qui atteignait 5,3 millions € soit, à l’époque, « 30% de plus que la médiane des rémunérations totales des dirigeants du CAC 40 ».

En 2018, la rémunération de Jacques Aschenbroich, a encore atteint 4,6 millions € malgré la contre performance de Valeo. Elle représentera 10 fois celle attribuée aux dirigeants des entreprises contrôlées par l’Etat (450 000 €).

Le PDG s’est fait verser de 1 million € de fixe. Il aurait eu droit à 1,7 million € de rémunération variable court terme en plus, s’il avait réalisé les performances fixées. Mais la conjoncture a été très défavorable l’an dernier et l’investissement d’innovation a pesé sur le cash flow libre, aucun des objectifs n’a été atteint, qu’il s’agisse du taux de marge opérationnelle, du cash flow libre, du résultat net, du ROCE ou du niveau des prises de commandes du Groupe. A défaut, le dirigeant a quand même eu droit à 530 000 euros car la part non quantifiable de ses performances liée à sa vision stratégique, à sa maîtrise des risques et à la RSE de Valeo, a servi de lot de consolation. S’est ajouté à ce 1,53 million € de fixe + variable, une dose d’actions gratuites qui n’a pas baissé en 2018. Liée à la performance à long terme, elle est évaluée à 2,6 millions € dans les comptes de Valeo.  Et comme le total des actions du groupe accumulées par Jacques Aschenbroich dans les années fastes, s’établit à 27 millions €, il va toucher, en plus de sa rémunération, 1 million € de dividendes.

Une hausse de 15 % de la rémunération du PDG en 2019 

Mais le plus surprenant tient à l’augmentation de sa rémunération prévue pour 2019 : une hausse de 15 % va être proposée au vote des actionnaires. Une hausse inexplicable si ce n’est qu’elle peut lui permettre de quitter le groupe dans les deux ans, avec une retraite chapeau gonflée, de l’ordre de 300 000 €/an soit une dizaine de millions € au total.

Malgré les performances décevantes de Valeo en 2018 et la révision des objectifs à moyen terme, le comité des rémunérations présidé par l’administrateur référent Georges Pauget, ex-Président de Crédit Agricole SA, a donc mis au programme pour 2019, une rémunération du PDG qui pourra atteindre 6,2 millions € voir plus à terme. Elle se décomposera comme suit :

  • un fixe de 1,15 million € (+15 %)
  • un bonus variable immédiat versé en 2020 qui pourra aller jusqu’à 170 % du fixe soit 2 million € si les conditions de performance sont atteintes
  • une rémunération étalée dans le temps de 270 % maximum fixe soit 3,1 millions € pour sa rémunération à long terme en actions gratuites sous condition de performance.

Dans la mesure où il a pu obtenir l’assurance de rester en poste assez longtemps pour percevoir sa retraite chapeau et compte tenu du fait qu’il a commencé sa carrière tardivement, il est probable que Jacques Aschenbroich sera incité à rester en poste chez Valeo, jusqu’en juin 2021. Sans doute pas au delà car il devrait alors abandonner ou la Présidence, ou la direction générale du groupe.

 

¹ Extrait Document de référence 2018 page 104 : Le renouvellement dumandat d’administrateur de Jacques Aschenbroich pour une période de quatre ans, soit jusqu’à l’issue de l’Assemblée générale statuant sur les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2022, sera proposé par le Conseil d’administration, sur recommandation du Comité de gouvernance, nominations et responsabilité sociale d’entreprise, à l’Assemblée générale du 23 mai 2019. Le Conseil d’administration, sur recommandation du Comité de gouvernance, nominations et responsabilité sociale d’entreprise, a également décidé, à la suite du renouvellement du mandat d’administrateur de Jacques Aschenbroich, de renouveler Jacques Aschenbroich en qualité de Président-Directeur Général lors de la réunion qui se tiendra immédiatement à l’issue de l’Assemblée générale. Il est précisé que durant les deux premières années de mandat de Jacques Aschenbroich en qualité de Président-Directeur Général, la dissociation des fonctions de Président du Conseil d’administration et de Directeur Général sera mise en œuvre.

La brochure de convocation de Valeo à l'AG du 23 mai 2019