Retraite chapeau : tenue de camouflage pour Patrick Sayer chez Eurazeo

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, la rémunération des dirigeants n’est pas devenue plus raisonnable en 2018 et les excès ne sont pas seulement le fait de patrons d’entreprises étrangères cotées à Paris, qui ne respecteraient pas les règles en vigueur dans l’hexagone. Le cas de Patrick Sayer, 61 ans, ex-président du directoire d’Eurazeo accentue encore la démesure dont font preuve une bonne partie des haut-dirigeants d’entreprises cotées.

Le Say on Pay contraignant en place depuis la loi Sapin II qui devait freiner les abus, n’a pas fonctionné. Et il est probable que la publication du ratio d’équité prévue dans la loi PACTE, votée ces jours-ci ne changera rien non plus.

Depuis 2013 date de sa création, le Haut comité de gouvernement d’entreprise tout comme  l’autorité des marchés financiers multiplient les recommandations de soft law, pour éviter les excès. Mais, telles les danaïdes, condamnées à remplir indéfiniment des jarres perçées, les deux autorités ne cessent d’élaborer des recommandations en matière de gouvernance, qui ne cessent d’être contournées.

Départ  en retraite chez Eurazeo, un pactole de 50 millions qui dit mieux ?

Au printemps 2018, les projecteurs s’étaient braqués sur le cas de Georges Plassat et de Michel Landel. Les patrons respectifs de Carrefour et de Sodexo avaient quitté leurs postes de PDG avec une retraite chapeau consistante et des paquets d’actions gratuites. Ils étaient censés ne percevoir aucun parachute doré ( Code Afep-Medef Novembre 2016). Mais l’esprit de la règle avait été détourné. Les deux patrons s’étaient fait verser de plantureuses indemnités de non concurrence qui avaient fait office d’indemnités de départ. Le Code Afep-Medef révisé en juin 2018 avait alors prétendu encadrer encore plus strictement ces rémunérations.

Si l’on en croit ses conditions de départ, Patrick Sayer, l’ex-patron d’Eurazeo, fait un nouveau pied de nez à l’autodiscipline patronale. Il a quitté son poste de président du directoire en mars 2018, avec une cinquantaine de millions d’euros quasiment acquis. Après 23 ans de maison, il a testé une technique de camouflage de son package très complet qui inclut les indemnités de départ, la retraite chapeau et des paquets d’actions gratuites et de stock-options qui ne sont pas encore acquis.

Minoritaires.com a pu, grâce aux informations des documents de référence faire la liste des avantages financiers dont bénéficie Patrick Sayer suite à son départ après 15 années comme Président du Directoire de la société. Voici les chiffres :

  •  4,1 million €  au titre des indemnités de cessation d’activité
  • 14,9 million € au titre des bénéfices attendus des actions gratuites et stock-options qui lui sont maintenues bien que les conditions de présence ne soit plus respectées (cours 68,05 €) sous conditions de performance de ses successeurs.
  • 31,5 M€ environ de retraite chapeau (à prestations définies) à payer par Eurazeo soit un revenu de 1,12 million € par an compte tenu d’une espérance de vie de 28 ans (non actualisé).
  • 0,9 million € de dividendes sur son portefeuille d’actions Eurazeo à encaisser en mai 2019 et peut-être plus les années suivantes

Ces sommes vont s’ajouter aux actions que Patrick Sayer s’est faites attribuer au cours des années précédentes, qui lui confèrent une petite fortune :

  • 48,2 millions € d’actions Eurazeo détenues en portefeuille soit 0,92% du capital ( 68,05 €/action)
  •  30,2 millions € de plus-values latentes sur les stocks-options de Patrick Sayer arrivées à échéance et restant à exercer fin 2018.
  • Ceci s’ajoutant probablement aux revenus des co-investissements des membres du directoire aux côtés d’Eurazeo (sociétés CarryCo…page 204 et pages 399 à 402 du Document de référence 2018). Le partage des plus values qui en découlent, lui laissera probablement, en plus, dans les années qui viennent des sommes qui se chiffrent en millions €.

Patrick Sayer,  X-mines, magistrat consulaire qui vise la Présidence du Tribunal de commerce, a mis à profit sa connaissance du droit et des contrats pour faire plier le « droit mou ». En organisant son départ par étape, il a mis sur pied un stratagème qui lui permet de faire passer discrètement les sommes extravagantes qu’il décroche à l’occasion de son départ en retraite.

Chez Eurazeo, une fin de mandat déguisée en départ contraint pour toucher les indemnités

Pour commencer, la fin de mandat de Patrick Sayer le 18 mars 2018, ne sera pas vraiment explicitée et c’est voulu. Officiellement le Président du directoire abandonne son poste et passe la main à sa seconde Virginie Morgon, sans qu’il lui soit reproché quoique ce soit. Le conseil de surveillance d’Eurazeo ne donnera pas plus d’explications mais demandera aux actionnaires de payer à Patrick Sayer une indemnité de départ qu’il ne mérite pas, si l’on en croit l’application du code de gouvernance Afep-Medef qui recommande de  » n’autoriser l’indemnisation d’un dirigeant qu’en cas de départ contraint, quelle que soit la forme que revêt ce départ ».

Il s’agit pas en fait d’un départ contraint au sens strict, mais d’un non renouvellement du mandat, qui lui est une sorte de contrat à durée déterminée. Verse-t-on des indemnités de départ à la fin d’un CDD ? Non de toute évidence. Le Haut comité de gouvernement d’entreprise qui veille à l’application du code de gouvernance, avalera pourtant la pilule. Il s’agit de justifier le versement d’une indemnité de cessation de fonction et, ça tombe bien, car la rémunération de référence pour le calcul de l’indemnité, sera l’année 2017, année où le fixe de Patrick Sayer vient justement d’augmenter de 16 %, une aubaine ! On lui offrira une place au conseil de surveillance d’Eurazeo, il ne quitte donc pas l’entreprise non plus.

En 2018, la société de conseil en vote Proxinvest remarque le coup fourré et recommande à l’AG 2018, à ses clients de voter contre la résolution numéro 20 qui propose cette indemnité. « Le départ n’est absolument pas contraint, c’est un non-renouvellement de mandat. Le versement d’une telle indemnité n’est donc absolument pas logique, pertinent ou dans l’esprit du principe des indemnités de départ puisque la révocabilité ad nutum justifie les fortes rémunérations des dirigeants. L’octroi d’une indemnité de départ non justifiée en sus de ces rémunérations revient donc à payer 2 fois sa révocabilité. » explique alors Jehanne Leroy, responsable de la recherche chez le proxy.  Une partie des investisseurs partagera cette opinion, la 20ème résolution, recueillera 22 % de voix « contre » mais sera tout de même adoptée.

Une quinzaine de millions € de plans d’options et d’actions gratuites laissés au bénéfice de Patrick Sayer 

Le code Afep-Medef n’est pas très regardant. Pour ce qui est des plans de stock-options et d’actions gratuites dont l’attribution reste pourtant sujette, en principe, à des conditions de performance et de présence, c’est au conseil de surveillance de décider s’il en laisse le bénéfice au partant, quelque soit la raison pour laquelle il quitte son poste.

« En cas de départ du dirigeant mandataire social avant l’expiration de la durée prévue pour l’appréciation des critères de performance des mécanismes de rémunération de long terme, le maintien en tout ou partie du bénéfice de la rémunération de long terme ou de son versement relève de l’appréciation du conseil et est motivé.

Concernant Patrick Sayer, le conseil se montre généreux « compte tenu de son ancienneté et des résultats très positifs obtenus par M. Patrick Sayer au cours de ses différents mandats, le Conseil de Surveillance lors de sa réunion du 27 novembre 2017 a décidé de maintenir les instruments de rémunération de long terme en actions (options d’achat et actions de performance) qui ne seront pas encore définitivement acquis au 18 mars 2018. » peut-on lire dans le document de référence 2017 d’Eurazeo. On a envie d’ajouter  » alors pourquoi ne pas l’avoir conservé à son poste, s’il donne toutes satisfactions ? « . 

Le maintien des actions et stock-options non acquises laisseront une jolie somme à Patrick Sayer, de l’ordre de 15 millions €¹ qu’il touchera au fur et à mesure du déblocage des plans. « Les conditions de performance initialement attachées à ces options et actions de performance resteront pleinement applicables et ni l’exercice ni l’acquisition de ces droits ne seront accélérés et ils seront conformes au calendrier prévu lors de leur octroi » précise le document.

Retour au contrat de travail pour toucher une retraite chapeau de plus de 30 millions €

Le plus difficile dans l’histoire a probablement été d’obtenir le principe du versement de la retraite à prestation définie pour laquelle Eurazeo a versé pendant 23 ans, 2,5 % de la rémunération de Patrick Sayer. L’astuce consistera à se la faire verser non pas en tant que mandataire social, mais en tant que salarié d’Eurazeo et conseiller du président.

Non sans arrière pensée probablement, comme une certain nombre de dirigeants, Patrick Sayer n’a pas, en 2013, suivit les consignes du code Afep-Medef recommandant aux dirigeants mandataires sociaux d’abandonner leur contrat de travail. Il avait seulement accepté de suspendre celui-ci gardant ainsi un filet de sécurité. Ainsi après avoir quitté en mars 2018, la présidence du directoire, il a pu redevenir salarié le jour même. En quittant ses fonctions au directoire, Patrick Sayer n’avait pas droit à la retraite chapeau car il n’avait pas fini sa carrière à ce poste. Or, en faisant valoir les conditions réservées aux salariés licenciés, il va bénéficier des avantages connexes à son contrat de travail : et notamment du droit de toucher une retraite mirobolante (1,12 million €/an) à compter du 1er décembre prochain. Explication : il a « perdu son travail après l’âge de 55 ans », sans en retrouver un nouveau ( un siège au conseil de surveillance a beau être grassement payé, ce n’est pas un emploi !). En attendant, pendant 20 mois, Patrick Sayer aura probablement perçu une indemnisation au titre de l' »assurance perte d’emploi des dirigeants d’entreprise » ( GSC) à laquelle Eurazeo a cotisé pour lui et qui doit lui permettre de toucher un % non négligeable de sa rémunération mensuelle.

Un vrai talent pour faire de l’argent quitte à employer toutes les combines, n’est-ce pas ce qu’on demande un financier après tout ?

Ce 25 avril 2019, les actionnaires voteront une nouvelle fois en assemblée générale, « pour » ou « contre » la rémunération 2018 de Patrick Sayer (13 ème résolution) soit deux mois de fixe, son indemnité de départ a discrètement été soumise au vote des actionnaires l’an dernier et sa retraite chapeau ne concerne pas le mandataire social, mais le salarié. Le capital est contrôlé et il y a peu de chance de voir la résolution rejetée. Et dans le sillage de Patrick Sayer, Virginie Morgon, suit déjà les traces de son mentor.

Restera une question qu’il faudra se poser. On a jeté l’opprobre le mois dernier sur le patron d’Airbus, Tom Enders qui bénéficiait d’un niveau de retraite chapeau équivalent à celui que percevra Patrick Sayer. Mais où est réellement le scandale aujourd’hui ? Chez Airbus où Tom Enders a fait prospérer un géant industriel de 130 000 personnes, qui vaut aujourd’hui 95 milliards €, facture un chiffre d’affaire de 63 milliards € et dégage un cash flow de près de 3 milliards  ? Ou chez Eurazeo, société qui gère un portefeuille de participations de 7 milliards €, capitalise 5 milliards en Bourse, et réalise moins de 300 millions € de résultat cette année avec un effectif de 88 personnes ?

Consultez la brochure de convocation des actionnaires à l'AG du 25 avril 2019