Les autorités financières internationales progressent dans leurs efforts pour réglementer les activités bancaires, afin de freiner la spéculation et d’atténuer les risques de crises. Un chantier primordial reste cependant en cours, celui de la gouvernance des mégabanques, soi-disant incoulables (qualifiées de « too big too fail »). Le FMI estime qu’améliorer leurs organes de direction et de contrôle, c’est-à-dire leur gouvernance, est un enjeu déterminant pour rétablir la confiance.
Pourquoi la confiance dans le système bancaire tarde à revenir
Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le fait que la spéculation excessive des banques est responsable de la crise. Les problèmes spécifiques des « subprimes » (les prêts aux foyers peu solvables), les carences de la réglementation ou le manque d’intégrité des banquiers, ne suffisent pourtant pas à expliquer, à eux seuls, pourquoi la confiance dans le système financier tarde tant à revenir.
Au cœur des préoccupations, quelques grandes questions demeurent irrésolues : les modes de rémunération des dirigeants et de leurs équipes les dissuadent-elles réellement de prendre des risques excessifs ? Les administrateurs des banques sont-ils vraiment indépendants du management ? Ont-ils l’honorabilité et les compétences (« fit and proper », selon le standard anglo-saxon) pour effectuer une surveillance sérieuse de la gestion des risques ? Le profil des patrons des mégabanques est-il adapté pour conduire les grands établissements systémiques ? L’intérêt des créanciers et des déposants est-il bien pris en compte, au-delà de celui des actionnaires ? Le FMI vient de consacrer un tiers de son rapport de stabilité financière à ce problème crucial, celui de la gouvernance bancaire.
Aligner l’intérêt des patrons de banques sur celui des actionnaires
Il est vrai que l’avalanche des amendes qui s’abat sur les banques et illustre les failles parfois béantes des systèmes de contrôle, ne donne pas l’impression d’une remise en ordre. Le système bancaire n’est toujours pas sous contrôle. BNP Paribas vient de payer 8,9 milliards de dollars à la justice américaine pour avoir mis deux ans à modifier ses règles de financement des pays sous-embargo américain après l’avertissement du Trésor US et pour avoir ignoré par la suite qu’une de ses équipes continuait à transgresser ces règles en Suisse. Citigroup et JP Morgan ont payé respectivement 7 et 13 milliards de dollars d’amendes pour éviter le procès de leurs infractions dans la crise des subprimes. De nombreuses banques sont aussi épinglées dans le scandale de manipulation des taux interbancaires Libor et Euribor. On apprend enfin que des banques britanniques seraient à nouveau mouillées dans le blanchiment d’argent de la drogue au Mexique.
Officiellement, les dirigeants bancaires réaffirment régulièrement leur attachement au respect des lois et de l’éthique par leurs établissements. Les dérives quotidiennes de leurs collaborateurs montrent pourtant qu’ils sont dépassés par la réalité de leurs organisations. Pour Daniel Lebègue, ex-DG de BNP Paribas et président de Transparency international, « les systèmes de gestion des risques, la vérification que les collaborateurs travaillent dans le respect des lois et des réglementations, le contrôle interne, c’est là qu’il faut maintenant faire porter les efforts ».
Alors qu’on aimerait que les banques prêtent davantage et soutiennent la croissance, le FMI insiste lui aussi dans son rapport sur le facteur risque. On découvre tout à coup que les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Les difficultés à aligner l’intérêt des dirigeants et de leurs équipes sur celui des actionnaires (via les rémunérations essentiellement) paraissent insolubles. L’exemple type est celui d’une équipe de crédit qui accorde des prêts lucratifs sans risques à court terme, mais très risqués à long terme, perçoit de gros bonus pour avoir développé les affaires, puis change de fonctions avant que les risques ne laissent une grosse ardoise. Un casse-tête pour les dirigeants, car les métiers sont tellement complexes qu’ils sont bien obligés de déléguer et, pour motiver leurs collaborateurs, de leur verser des bonus un peu « pousse-au-crime ». Mais comment intégrer dans ceux-ci la prise en compte du facteur risque ? Les réponses à cette question restent très imparfaites.
Faut-il faire siéger des représentants des créanciers des banques au conseil
Et d’ailleurs, faut-il à tout prix aligner l’intérêt des dirigeants et des salariés, au travers de leurs bonus, sur l’intérêt des actionnaires ? Même au FMI, on en est plus si sûr. Ne faut-il pas aussi tenir compte de l’intérêt des créanciers de la banque (détenteurs d’obligations) s’interroge l’institution ? Les actionnaires d’une banque ont des engagements limités sur celle-ci, et leurs risques de perte eux aussi sont limités. Mais en cas de gain, ils raflent la mise et encaissent tous les profits, tandis que les créanciers qui, du fait de l’effet de levier des banques prêtent des sommes bien plus importantes, encourent le risque de tout perdre sans participer aux bénéfices. Le rapport note que lorsqu’une banque est proche de faire défaut, les dirigeants et les actionnaires sont tentés de prendre des risques pour « se refaire » comme au casino, alors que l’intérêt des créanciers est de tout arrêter et de sauver ce qui peut l’être. Dans ce cas, ne serait-il pas souhaitable de faire rentrer quelques représentants des créanciers au conseil d’administration des banques, c’est la question que se posent les auteurs du rapport, sans être certains de la réponse.
Le niveau élevé des rémunérations n’incite pas particulièrement à prendre des risques
En revanche, à la suite d’une étude empirique sur un très grand nombre d’établissements à travers le monde, les rapporteurs du FMI sont assez catégoriques. En terme de gouvernance bancaire, ils ont identifié au moins trois facteurs clés qui ont un impact positif sur la prise de risque de la banque. Tout d’abord, leur étude confirme que plus la proportion d’administrateurs indépendants du management est importante au sein d’un board et moins il y a de chance que les risques dérapent. Secundo le mode de rémunération des dirigeants et des collaborateurs est primordial. Ce n’est pas tant le niveau de rémunération qui conduit à prendre des risques excessifs comme on a tendance à le croire dans l’Union Européenne. Pour que le patron soit en phase avec le contrôle des risques qu’on attend de lui, ce qui compte c’est qu’une part importante de sa rémunération soit payée en actions avec si possible un différé et une clause de « claw back » ( l’argent n’est pas distribué si les objectifs ne sont pas au rendez-vous).
Améliorer la gouvernance : le diable est dans les détails
Enfin, le FMI a identifié que la présence d’investisseurs institutionnels au capital des banques était aussi un frein aux risques. Et d’autres idées plus convenues vont dans le même sens : des membres du board plus expérimentés en Finance, une séparation des fonctions de président et de CEO, un dirigeant au profil « banque de détail » plus que « banque d’investissement », un responsable du contrôle des risques qui siège parmi les administrateurs, seraient autant de petits détails qui constituent également des garde fous indéniables.
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