Proxinvest : les leçons à tirer des AG 2016

Interview – Comme chaque année, la période post-assemblées générales donne l’occasion d’un bilan sur la gouvernance des entreprises et l’exercice de la démocratie actionariale. En exerçant leurs votes et en s’exprimant en AG, les petits porteurs et les investisseurs témoignent de leur approbation ou leur désapprobation vis à vis des évolutions qu’ils constatent. Proxinvest, est à un poste d’observation privilégié. Pour chaque assemblée générale, la société de conseil de vote aux investisseurs  publie ses recommandations de vote  qui viennent en application de sa politique de vote également rendue publique. Chaque année Proxinvest tient compte des enseignements des dernières AG et en décembre, la société dévoile son étude sur les assemblées générales qui influe sur sa nouvelle politique de vote.

Dans l’interview ci-dessous, Loïc Dessaint, Directeur Général de Proxinvest (sur la photo ci-dessus) dresse un premier bilan des AG 2016. Il se dit « attaché  à la souveraineté de l’assemblée générale et engagé dans la réforme du droit ». Sans oublier que le diable est dans les détails, il évoque les rémunérations patronales, la distribution d’actions gratuites, la détention d’actions par les administrateurs, les politiques de versement des dividende ou de rachat d’actions, la communication entre administrateurs et actionnaires, les votes sur les conventions réglementées… L’activisme grandissant des actionnaires salariés et la responsabilisation des sociétés de gestion dans leur vote en AG, constituent également une nouvelle donne avec laquelle il faut maintenant compter.

Minoritaires.com : Quel est votre premier bilan de cette saison des assemblées générales ?

Loïc Dessaint : Avec l’épisode Renault et le refus du Say on Pay de Carlos Ghosn non avalisé par le conseil d’administration, nous avons atteint la limite de la fiction de gouvernance des grandes entreprises, et lorsque le capital est dispersé, celle du mythe de l’indépendance de leur conseil.
Les assemblées générales ont été le théâtre de polémiques très fortes sur plusieurs cas de rémunérations excessives ( Carlos Ghosn chez Renault, ou Carlos Tavares chez PSA). Les investisseurs remettent en question les rémunérations très élevées comme le font aussi les actionnaires individuels. La barre des 5 millions € souvent dépassée, entraîne de la contestation. Et ceci, même lorsque les performances sont au rendez-vous comme c’était le cas chez Schneider Electric pour le say on pay de Jean-Pascal Tricoire, chez Scor, pour celui de Denis Kessler ou chez Carrefour, pour la rémunération de Georges Plassat.
Dans les sociétés contrôlées comme LVMH, nous avons pu observer des taux de contestations très élevés chez les minoritaires (plus de 70 % en excluant les intérêts de Bernard Arnault).  Les actionnaires se sont montrés vigilants et ils font finalement preuve de beaucoup de bon sens.

Les investisseurs restent trop frileux quand il s’agit de soutenir les résolutions externes d’actionnaires

Cette année, la contestation s’est aussi étendue aux résolutions très nombreuses portant sur la distribution d’actions gratuites avec une part élevée réservée aux dirigeants facilitée par l’évolution législative d’août 2015. Alors que les administrateurs semblent peu regardants sur les conditions de performance ayant trait à l’attribution d’actions gratuites aux dirigeants, souvent parce qu’elles seront attribuées dans le futur donc sans impact immédiat, les actionnaires sont très sensibles aux risques qu’il y a à se montrer trop généreux ou insuffisamment exigeants.
Une déception toutefois : dans les assemblées générales, la façon dont certains investisseurs refusent de contester les dividendes ou les rachats d’actions nous afflige. Et de ce fait, les entreprises s’expliquent peu sur leur choix. Les dirigeants considèrent ça d’abord comme un signal d’optimisme donné au marché, alors que ce retour de cash aux actionnaires mériterait d’être mieux débattu. Il faut que les investisseurs et leurs agences de conseil de vote soient capables de disposer d’expertise financière élevée.
Les investisseurs restent trop frileux quand il s’agit de soutenir les résolutions externes d’actionnaires, c’est dommage et inconsistant avec leur politique de vote, par exemple au sujet de l’ouverture du droit à opter pour le paiement du dividende en actions parfois proposé par les fonds d’actionnariat salarié.

Des points positifs tout de même ?

Il y a eu tout de même des raisons d’être satisfait dans certaines AG.
Chez BNP Paribas, par exemple, nous avons eu l’impression que le couple Lemierre/Bonnafé donne un exemple positif de ce que doit être une séparation des fonctions président/directeur général qui fonctionne. Le Président Lemierre a annoncé avoir rencontré les grands investisseurs et il semble à l’écoute, alors que souvent, les dirigeants donnent l’impression de tout savoir. Le duo semble très complémentaire, l’un maîtrisant la gestion opérationnelle et l’autre se montrant plus communicant.

Lorsqu’il y a un Président du conseil, les administrateurs ont tendance à se reposer sur lui. Mieux vaut alors qu’il ne cumule pas la fonction de directeur général.

Mais d’une façon générale, nombreux sont les dirigeants qui continuent à penser qu’il est bien plus facile de diriger tout seul. Il est vrai aussi que lorsqu’il y a un Président du conseil, les administrateurs ont tendance à se reposer sur lui. Mieux vaut alors qu’il ne cumule pas la fonction de directeur général.

Votre avis sur le texte sur les rémunérations inclus dans la loi Sapin II ?

S’agissant des rémunérations, la loi sur la transparence de la vie publique qui va inclure un vote décisif sur le say on pay, et va remettre un peu d’ordre. Le comité des rémunération préparera mieux son rapport à l’AG, et il doit être capable de convaincre l’AG des actionnaires. On ne peut pas,  dans un système capitaliste, imaginer que les administrateurs puissent s’opposer à une décision des actionnaires sur la rémunération.
Quelque part le projet tel qu’il ressort des discussions à l’Assemblée Nationale, remet  la souveraineté de l’AG au cœur du système.

Un amendement présenté pour contenir la distribution d’actions de performance aux dirigeants a été présenté, mais n’a pas été adopté, n’est-ce pas regrettable compte tenu des excès ?

Chez Proxinvest, nous passons du temps à analyser les conditions de performance sur les actions gratuites et nous sommes arrivés à la conclusion que ces conditions n’étaient pas très exigeantes dans la grande majorité des cas, ce qui signifie que c’est une rémunération assez facile à revendiquer. Les sociétés de gestion réclament en général, des conditions de performance plus exigeantes, tandis que les petits porteurs se plaignent en assemblée générale, puisqu’ils ont dû pour leur part débourser pour devenir actionnaire et sont parfois en perte sur leur investissement.

Les conseils d’administrations ne se rendent parfois pas compte qu’ils attribuent des sommes pharaoniques aux dirigeants

Néanmoins, nous ne sommes pas favorable à la suppression de l’avantage fiscal et social sur les actions gratuites des dirigeants, car c’est un des seuls éléments de rémunération qui peut aligner rémunération et performance à long terme, sous réserve que les conditions de performance soient exigeantes et mesurées sur longue période. Le problème est plutôt que les conseils d’administrations ne se rendent parfois pas compte qu’ils attribuent des sommes pharaoniques aux dirigeants, même si ce n’est que 0,05 % du capital dans les très grandes sociétés.
En France, nous avons peut-être un problème avec la théorie de l’agence. On fonctionne à l’envers. Les administrateurs se sentent trop redevables et fidèles envers le dirigeant qui les a pré-agréer ou leurs collègues administrateurs qui les ont cooptés alors qu’ils devraient beaucoup plus se sentir comme de vrais représentants des actionnaires qui les nomment. Ils se voient plutôt comme des super-consultants en stratégie, domaine où ils bénéficient en général d’une large expérience, mais ils manquent d’expertise et d’indépendance pour s’opposer à des pratiques de rémunération intolérables comme pourrait le faire un vrai actionnaire.

Dans la consultation en cours du code Afep Medef, nous nous sommes aperçu qu’il n’est plus question de recommandations sur la détention d’actions par les administrateurs

En outre, ils sont généralement peu engagé eux même au capital. La loi leur a retiré l’obligation de détenir des actions de la société où ils siègent. Dans la consultation en cours du code Afep Medef, nous nous sommes aperçu qu’il n’est plus non plus question de recommandations sur la détention d’actions par les administrateurs. C’est regrettable.

On a le sentiment que Proxinvest est devenu plus actif, plus engagé sur les sujets de gouvernance, est-ce une demande de vos clients ?

Notre rôle n’est pas nouveau, nous nous définissons comme un société de conseil de vote aux investisseurs engagée comme le sont nos partenaires européens Ethos en Suisse, très actif sur le dossier Saint Gobain-Sika ou DSW en Allemagne qui a obtenu un accord avec la Deutsche Bank pour la mise en place d’un audit spécial indépendant et demande la même chose chez Volkswagen. Notre technicité, notre expérience de vingt ans et nos analyses en profondeur nous permettent d’observer parfois de telles dérives que nous avons du mal à les garder pour nous.
De temps en temps aussi, s’il n’y a pas un minimum de pression de l’opinion publique, il y a moins d’avancées sur les sujets de gouvernance et de droit des actionnaires.

Nos interventions sur le cas Bourbon, ou encore sur les rémunérations chez Renault ont permis d’alerter les investisseurs

En outre, si les investisseurs ont les moyens d’acheter nos études, c’est rarement le cas des  petits porteurs. Quant aux investisseurs étrangers, ils s’adressent parfois à des agences plus globales mais passent très souvent à côté des cas particuliers observés sur les  350 sociétés françaises que nous suivons. La médiatisation et le rôle de la presse sont donc très importants pour les alerter quand il s’agit de faire connaître notre position.
Par conséquent, et c’est nouveau depuis l’année dernière, nous pouvons interpeller les Présidents et/ou l’AMF via des lettres dont le contenu peut être publié sur notre site internet Proxinvest.fr. Par exemple, nos interventions sur le cas Bourbon, ou encore sur les rémunérations chez Renault ont permis d’alerter les investisseurs. Chez Bourbon l’opération d’apport d’actifs contestée a pour le moment été différée et la résolution qui s’y rapportait retirée.
C’est un service que nous rendons à tous les actionnaires de la place de Paris. Nos clients savent clairement que nous sommes aussi en quelque sorte des « agents de surveillance » sur des sujets parfois délicats, loin d’être passifs et disposant d’une liberté d’expression rare sur les marchés financiers. D’autres actionnaires et investisseurs en bénéficient indirectement sans s’abonner à nos services. Tant mieux pour eux.

Mise à part les sujets évoqués plus haut, quels sont ceux qui vous tiennent à cœur ?  Quelle évolution du droit des actionnaires vous semble nécessaire ?

La communication entre le conseil et les investisseurs est un chantier à venir. Pour un certain nombre de direction d’entreprises, l’enjeu est de tout faire pour que les administrateurs ne communiquent pas avec les actionnaires. Il existe sous le PDG, tout un staff qui se préoccupe de « ne pas faire rentrer le loup dans la bergerie », surtout sur les sujets sensibles. L’assemblée générale nomme les administrateurs puis on essaie d’interdire les échanges entre actionnaires et administrateurs, d’où des conseils d’administration déconnectés des attentes des investisseurs.

Certaines conventions réglementées sont rejetées mais le législateur a prévu qu’elles continuent de produire leurs effets, ça n’a pas de sens

D’une façon plus générale, Proxinvest est par nature attaché  à la souveraineté de l’assemblée générale et engagé dans la réforme du droit.
Il y a par exemple beaucoup à dire sur le vote des résolutions sur les conventions réglementées, un sujet de gouvernance majeure puisqu’il touche les contrats avec les parties liées (dirigeants, administrateurs, actionnaires détenant plus de 10% du capital). Certaines conventions réglementées sont rejetées mais le législateur a prévu qu’elles continuent de produire leurs effets, ça n’a pas de sens. Certaines sociétés trouvent aussi des voix de contournement. Chez Altamir, par exemple, une convention de prestation de service avait été rejetée (car le principal actionnaire bénéficiaire ne pouvait participer au vote), résultat, une nouvelle convention du même type a été rangée dans les conventions dites courantes. Or, sous prétexte de la simplification du droit, le législateur a supprimé de la loi l’obligation de rédaction du rapport sur les conventions courantes avec les parties liées qui était obligatoire et permettait aux commissaires aux comptes  et actionnaires d’avoir une vue exhaustive sur l’ensemble des conventions. Dès lors, leur travail de vérification a été simplifié certes, mais on ignore tout de ce que la société met dans ses conventions courantes.

Plutôt que de se voir proposer une série de résolutions déléguant son pouvoir au conseil d’administration, il serait préférable que l’AG puisse s’exprimer sur des plans ou des projets précis

Un autre principe de base offrirait un meilleur contrôle à l’assemblée générale. Plutôt que de se voir proposer une série de résolutions déléguant son pouvoir au conseil d’administration, il serait préférable que l’AG puisse s’exprimer sur des plans ou des projets précis. Pour cette raison, nous conseillons de voter contre l’autorisation faite au conseil d’administration d’augmenter le capital pour rémunérer d’éventuels apports en nature. Il est tout de même préférable que les actionnaires valident la valorisation des apports sur lecture du rapport du commissaire aux apports, c’est d’autant plus nécessaire lorsqu’il y a un conflit d’intérêt potentiel ou un ajustement de la gouvernance consécutif aux apports.
De même, sur les actions de performance, les actionnaires doivent voter des délégations de compétence au conseil d’administration, mais très souvent sans savoir quelles conditions de performance les accompagneront ou quelle sera l’attribution précise aux dirigeants ce qui génère un taux d’opposition très élevé de Proxinvest. Or, dans certains pays, l’assemblée générale valide le plan détaillé proposé par le conseil d’administration, ce qui permet de connaitre précisément les conditions de performance associées. C’est un exemple à suivre.

Le vote des fonds est-il stimulant pour permettre de faire évoluer ces sujets ?

Les investisseurs français n’ont pas à rougir par rapport à ce qui se passe à l’étranger. Prenez le plus grand gérant français et européen, Amundi, ils se sont opposés à 40 % des rémunérations proposées en AG alors que Blackrock a fait l’objet d’une résolution d’actionnaire qui lui reprochait d’avoir approuvé 99% des Say On Pay du S&P 500.  Un haut niveau d’attente et d’engagement des investisseurs finaux, investisseurs institutionnels, caisses de retraite ou même particuliers, envers leur société de gestion est nécessaire pour faire bouger les lignes et obtenir un vote de qualité.

Nous pensons que l’activisme des actionnaires salariés va continuer à se développer car leurs FCPE détiennent à présent des participations suffisantes pour permettre de déposer des résolutions externes en AG

Il est aussi souhaitable que les fonds d’actionnariat salarié (FCPE) acquièrent leur autonomie en terme de gouvernance, vis à vis de la direction de leur entreprise, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous pensons que l’activisme des actionnaires salariés va continuer à se développer car leurs FCPE détiennent à présent des participations suffisantes pour permettre de déposer des résolutions externes en AG. C’est déjà le cas chez Orange, chez EDF, chez Engie. Pour la première fois cette année, le comité d’entreprise de Dassault Systèmes a inscrit des résolutions à l’ordre du jour. Ces résolutions posent souvent la question du dividende. Bizarrement les actionnaires ont tendance à voter contre les résolutions externes alors qu’ils voteraient en faveur d’une résolution similaire proposée par le conseil d’administration.

Comment être certain que les sociétés de gestion des fonds votent dans l’intérêt des porteurs de part ?

Plus de transparence sur les votes des investisseurs pour les responsabiliser, est une évolution qui irait dans le bon sens. Plus on impose de transparence, plus on constate que les comportements évoluent comme c’est le cas aux Etats-Unis et au Royaume Uni, avec certains fonds de pension qui se transforment en « agents de surveillance », à l’instar aussi du fonds souverain norvégien qui va changer sa politique de vote sur les rémunérations.

Il faut aussi que les porteurs de parts s’intéressent au comportement des fonds dans lesquels ils placent leur épargne

Mais il faut aussi que les porteurs de parts s’intéressent au comportement des fonds dans lesquels ils placent leur épargne. Il faut savoir qu’un porteur de part peut demander tous les ans à son gestionnaire le rapport sur l’exercice des droits de vote et le détail des votes résolution par résolution.
On sera surpris de constater qu’il existe des comportements très différenciés et qu’un vote de qualité est un bon indicateur d’un suivi fin des sociétés investies par son gérant.

 

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