Restructuration financière : Sequana pourrait faire école

Comment sauver une société surendettée dont les perpectives n’ont rien pour séduire de nouveaux investisseurs ?

Le cas du papetier Sequana est particulièrement intéressant. En moins de 4 ans, la société a réussi à diviser sa dette par trois et à la ramener un niveau supportable de 320 millions €.  Les créanciers ont beaucoup perdu, les actionnaires ont été dilués et l’avenir dira si l’ex-Président du groupe Louis Dreyfus,  Jacques Veyrat entré au capital à hauteur de 20 % en pactisant avec des fonds vautours, a fait une bonne affaire. L’opération pourrait en tout cas inspirer des repreneurs à bon compte susceptibles de s’intéresser à des sociétés en difficulté comme CGG ou SoLocal.

Une restructuration financière en trois temps

La réduction de la dette de Sequana opérée à partir de 2012 s’est déroulée en trois temps. Primo, avec l’entrée au capital de la banque publique d’investissement, secundo avec un effort important des créanciers et des actionnaires et tertio avec l’arrivée d’un chevalier blanc qui a su tirer partie de la dette bancaire fortement décotée. Au total, il aura fallu quatre ans pour mener à bien la restructuration financière.
Début 2012, le cours de Sequana s’établit  autour de 20 € mais l’avenir est sombre. La société est en pertes ( et va le rester). Elle capitalise 157 M€ avec un cours autour de 18 €, affiche une dette financière collossale de 875 M€ mais ses fonds propres atteignent encore 669 M€, la situation n’est donc pas encore catastrophique. Son Ebit ( résultat avant intérêt et taxes)  est de 135 M € quant aux perspectives, elles ne sont pas florissantes. Sequana est sur un marché qui décline ( le papier) et elle doit mener à bien son plan de transformation sans avoir la capacité suffisante pour investir.

Phase I : une augmentation de capital à 9 € avec entrée du FSI (ex-BPI)

Sequana va donc réaliser en juillet 2012,  une augmentation de capital sur la base d’un cours de 9 €, pour un montant de 176 M€.  Ses grands actionnaires acceptent de souscrire tandis que le FSI ( devenu Banque Publique d’Investissement depuis) rentre au capital à cette occasion, à hauteur de 20 %. Sur les sommes récoltées, 70 M€ sont alors affectés au remboursement de la dette. Ce sera vite insuffisant.
En novembre 2012, Sequana opère un regroupement de ses actions  sur la base de 1 action nouvelle pour 6 anciennes, le cours résiste assez bien, il finit l’année à 8,3 €. Pourtant la situation financière reste précaire ce que reflète un cours qui se stabilise en 2013 autour de 6 €. Fin 2013, alors que le chiffre d’affaires accélère son érosion , la société affiche plus de 300 M€ de pertes.
Il faut d’urgence envisager un nouveau plan de restructuration financière pour résorber une partie de la dette qui s’élève à 945 millions €.

Phase II : abandon de créances, ornanes et nouvelle augmentation de capital

Ce plan qui constituera la deuxième étape de la restructuration financière de 2012-2015, inclut un effort méritoire des créanciers : abandon de dettes, transformation d’une partie de celle-ci  en obligations remboursables en numéraire et en actions (Ornanes). Tandis que la recapitalisation sera limitée, mais il est vrai que les fonds propres restent encore élevés.
L’acceptation par les créanciers d’un effort conséquent ne sera pas neutre :
Les porteurs du crédit syndiqué de 400 M € renoncent au remboursement de 150 M€ de cette dette, ils conservent 125 M€ et acceptent que le reste ( environ 132 M€ avec les frais) soit transformé en Ornanes émises à leur profit avec la possibilité d’être remboursés en décembre 2020 en récupérant l’équivalent de 30 % du capital de la Sequana.
La facilité de crédit syndiqué de 520 M€ est, elle transformée pour 200 M€ en affacturage ( factures mises en gage) tandis que l’échéance de la dette résiduelle soit 320 M€ est repoussée à décembre 2018.
Deux petites lignes de crédit bilatérales de 25 M€  font l’objet d’un abandon de créances de 8 M€, d’un maintien pour 10 M€  et d’une transformation en Obligations remboursables en actions (Ora) pour 7 millions donnant  droit à 2,5 % du capital de Sequana en décembre 2018.
Les émissions d’ornanes ou d’Ora au bénéfice des créanciers sont soumises au vote des actionnaires lors de l’assemblée du 25 juin 2014. Il leur est également proposé une réduction du nominal de l’action de 9 € à 1 €, le montant de cette réduction de capital est alors affecté au report à nouveau déficitaire, ce qui permet de réduire le capital social.
L’augmentation de capital reste à des niveaux raisonnables et permet de limiter la dilution des actionnaires.
Sequana lèvera ainsi début juillet 2014, 66 M€ sur la base d’un cours de 2,55 € par action avec une décote d’environ 30 %.
 Une fois cette phase du plan terminée, l’endettement de Sequana est passé de 945 M€ à 455 M€ plus des Ora/Ornanes susceptibles de représenter d’ici 2020 32,5 % du capital.

Phase III : arrivée d’un repreneur qui rachète les ornanes pour se faire une place au capital

Mais ce n’est là que la deuxième partie du plan, la troisième va suivre un an plus tard lorsque Jacques Veyrat (ex-Groupe Louis Dreyfus) qui se constitue un portefeuille de participations à prix cassés via son holding Impala, va rentrer dans la danse. L’opération permettra à Sequana d’accélérer son désendettement et au financier de s’approprier  20% du capital de  Sequana aux cotés de la BPI (15 %).
En effet, Jacques Veyrat a racheté à leurs détenteurs, les parts de crédit syndiqué qui n’ont pas été annulées en 2014 lors de l’abandon de créances, sans doute avec une bonne décote. Il a mis la main sur ces 125 M€ restant à rembourser du crédit syndiqué mais aussi sur les fameuses Ornanes.
 Il va donc proposer à Sequana d’échanger sa créance sur le groupe rachetée à bas prix avec un actif du groupe et va s’inviter au capital grâce aux Ornanes. Le capital de Sequana étant sous le contrôle de quelques actionnaires dont la BPI, l’opération est acceptée facilement.
Le financier va prendre 85 % de l’activité Solutions de Sécurité de Sequana, une diversification  prometteuse du papetier et en échange de quoi, il annulera sa créance de 125  M€ sur le groupe. L’affaire est conclue mi-2015.
En parallèle, Jacques Veyrat  va obtenir des actionnaires sollicité en AG le remboursement immédiat en actions Sequana,  des Ornanes ( échéance décembre 2020) qu’il a récupéré dans la corbeille. Il accepte en contrepartie de limiter le remboursement à 20% du capital de Sequana au lieu des 30 % prévus. Il en devient ainsi le premier actionnaire devant la BPI ( 15 %).

Un redressement qui a du mal à se traduire dans les cours

Jacques Veyrat n’a certainement  pas payé très cher sa participation au capital, mais le montage qui a permis son intervention dans le plan de restructuration a réduit considérablement l’endettement du groupe recentré sur la distribution, et l’a remis sur les rails.
Même si le marché du papier reste sur la pente descendante et si la société est toujours dans le rouge, elle a retrouvé un ballon d’oxygène, stabilisé son chiffre d’affaires et repris ses investissements externes en 2015. L’intervention de la BPI dans le montage financier n’est sans doute pas étrangère à l’arrivée du financier Jacques Veyrat.
Pascal Lebar, PDG et actionnaire familial de Sequana, et proche de la famille Agnelli présente au capital via son holding Exor , est resté aux commandes. Il a facilité la restructuration en donnant en 2010 aux banques BNP Paribas et RBS, des options d’achat sur sa participation au capital qu’elles ont depuis exercées.
L’entreprise a été recapitalisée avec l’aide la BPI ce qui n’était pas gagné compte tenu de ses difficultés.
Toutefois, si la dilution a été limitée au minimum, les actionnaires n’ont toujours pas récupéré leur mise, les groupes qui ont soutenu Sequana pendant le redressement sortent peu à peu du capital, et les effets positifs de l’opération de restructuration financière sur  le cours de Bourse se font donc attendre.
L’action Sequana valait 3,2 € juste avant l’augmentation de capital de 2014, puis le cours est remonté courant 2015 pour redescendre au moment de la transformation des Ornanes et il se situe aujourd’hui autour de 2 € après les résultats un peu décevants. Preuve que même lorsque les restructurations se passent en douceur, il ne faut pas en attendre à des solutions miracles pour les minoritaires. Des actionnaires individuels expriment leur déception car  la communication de la société est réduite à la portion congrue, comme si le redressement du cours ne faisait pas partie des objectifs de Jacques Veyrat. A suivre…

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