OPA sur Altran : l’AMF donne son feu vert mais rejette les demandes des minoritaires

L’Autorité des marchés financiers n’a pas tenu compte des plaintes des activistes, concernant le déroulement de l’OPA de Capgemini sur Altran et la fixation du prix, si ce n’est pour reconnaître qu’il y avait bien des conflits d’intérêts au sein du Conseil d’Altran. L’AMF a finalement donné son feu vert à l’opération le 14 octobre sur la base d’un prix de 14 € par action. Les arguments de l’expert Sorgem Evaluation, mandaté par Colette Neuville, présidente de l’ADAM intervenant pour le compte de plusieurs investisseurs et du fonds Elliott, n’ont pas été retenus. Le marché tranchera mais sauf accord de dernière minute, il est probable que Capgemini ne parvienne pas à rassembler rapidement les 90 % du capital qui lui permette d’exproprier les derniers actionnaires d’Altran et de faire une fusion. La cotation d’Altran reste en effet autour de 14,34 € ce mardi, soit 2 % au dessus du prix d’OPA.

Recours ou pas recours ? 

L’OPA doit débuter ce mercredi 16 octobre 2019. Pour l’instant aucun recours n’a été déposé contre l’avis de conformité de l’AMF, mais les activistes ont dix jours calendaires  pour se décider, à compter de la publication de l’avis de conformité, soit jusqu’au 24 octobre 2019.

En l’absence de recours, si l’OPA suit son cours, elle devrait se terminer aux alentours du 20 décembre ( règlement-livraison) sauf surenchère, d’après le calendrier indicatif publié ci-dessous dans le document d’offre de Capgemini. Mais la date de fin dépendra également de l’avis de la Commission Européenne sur le rapprochement. Elle devra donner son feu vert fin octobre, pour que le calendrier soit tenu.

Nouveau calendrier indicatif de l’offre contenu dans la note d’information du 14 octobre 2019 :

14 octobre 2019: Avis de conformité de l’AMF à l’offre sur Altran. Les documents de l’offre sont en ligne.

15 octobre 2019 : Publication du calendrier de l’offre par l’AMF

16 octobre 2019 : Début de l’OPA sur Altran

Fin octobre : Obtention de l’autorisation au titre du contrôle des concentrations par laCommission Européenne

4 novembre 2019 : Fixation par l’AMF de la date de la clôture de l’Offre et publication d’ un avis de clôture de l’Offre.

19 novembre 2019 : Clôture de la première phase de l’OPA

25 novembre 2019 : Publication de l’avis de résultat de l’Offre par l’AMF

26 novembre 2019 : En cas d’issue positive de l’Offre ( +50,1 % réunis), ouverture de l’Offre Réouverte

2 décembre 2019 : En cas d’issue positive de l’Offre, règlement-livraison de l’Offre

9 décembre 2019 : Clôture de l’Offre Réouverte

13 décembre 2019 : Publication de l’avis de résultat de l’Offre Réouverte par l’AMF

20 décembre 2019 : Règlement-livraison de l’Offre Réouverte

 

Retrouvez ici : la documentation de l’offre parue sur le site de l’AMF, les courriers à l’AMF de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), les rapports des experts mandatés par l’ADAM

Si un recours est engagé par un actionnaire quel qu’il soit, c’est la Cour d’appel qui tranchera. L’examen des recours formés contre les avis de conformité est de la compétence du juge. Le recours n’a pas d’effet suspensif sauf si la juridiction en décide autrement. Dans ce cas, la juridiction pourrait ordonner soit un sursis à l’exécution de la décision contestée si celle‐ci est susceptible d’entraîner des conséquences excessives. La juridiction saisie devrait alors se prononcer dans un délai de cinq mois à compter de la déclaration de recours. Capgemini ne pourrait probablement pas, dans ces conditions, se prévaloir du contrôle d’Altran à la fin de l’exercice 2019. Les comptes d’Altran pour l’exercice 2019, devraient être présentés aux actionnaires en assemblée générale.

Si Capgemini réussit à réunir 50,1% du capital d’Altran, l’OPA mettra aussi un point final aux liens qui existaient entre APAX et Altran. Le PDG Dominique Cerutti qui, comme on l’a appris le 23 septembre 2019, a signé à l’insu des autres actionnaires d’Altran, en 2015, un contrat de prestation de services avec le minoritaire Apax – contrat constitutif d’un conflit d’intérêt et qui n’a pas été rendu public –  touchera une partie de la plus value réalisée par Apax sur la vente de sa participation à Capgemini.

Cette participation a été vendue en deux fois :  en juin 2017, après avoir redressé Altran, Dominique Cerutti avait réussi à revendre une partie de la participation d’Altrafin (les actionnaires Altamir & Apax) et des fondateurs d’Altran sur le marché sans qu’on sache à qui, à un prix de 15 € par action. Puis deux ans plus tard, le PDG a contribué à vendre le reste. Altrafin et les fondateurs d’Altran se sont vu offrir par Capgemini 14 € pour leurs actions restantes (11,43 %). C’est à ce prix de 14 €, que Cap Gemini propose aux actionnaires de prendre le contrôle d’Altran en vue de détenir à terme 100 % du capital.

En l’espace de deux ans, Altran aurait donc perdu de la valeur. Malgré les avis négatifs émis notamment par les analystes financiers, le PDG Dominique Cerutti a endetté sa société et lancé une augmentation de capital pour financer l’acquisition de la société Aricent aux États-Unis. A peine l’opération terminée, des fraudes comptables ont été découvertes chez Aricent, alors qu’elles auraient dues être décelées lors des due diligences faites par Altran. Ces fraudes bien que limitées, ont affecté la confiance des investisseurs et fait chuter le cours de l’action Altran. En outre, Altran a été victime d’une cyber attaque, ce qui a également contribué à abaisser le cours et donc le prix d’offre.

En juin 2019, quand Capgemini a annoncé dans le sillage du rachat de la participation d’Apax qu’il allait lancer une OPA sur Altran, les modalités précises de l’opération n’ont pas été communiquées. Elles ne l’ont été que trois mois plus tard avec le projet d’offre. On a appris le 23 septembre seulement, à l’occasion de la publication du rapport de l’expert indépendant, l’existence depuis 2015, du contrat de prestation de service signé par le PDG avec l’actionnaire Apax qui intéressait celui-ci financièrement à la vente de leur participation. Les actionnaires ont également pris connaissance de l’existence d’une clause de dédit qui obligerait Altran à payer 75 millions de dollars à Capgemini si l’OPA n’aboutissait pas ( sauf apport insuffisant).

Bien que le projet d’OPA ait prospéré dans un contexte opaque qui a pu empêcher d’autres acquéreurs potentiels de surenchérir sur Capgemini, l’AMF a donné son avis de conformité à l’OPA qui débutera le 16 octobre 2019.

Les arguments de l’AMF en faveur de l’offre, malgré les critiques des activistes

Voici ce que nous avons retenu du communiqué de l’Autorité des marchés financiers publié le 14 octobre 2019 :

  • Comme prévu , l’offre ne sera considérée comme réussie que si Capgemini obtient 50,1 % des actions et de droits de vote
  • Capgemini prend en charge les frais de courtage pour les actionnaires qui apporteront leurs actions à l’offre mais dans une limite de 100 € TTC par dossier d’apport
  • La date de clôture de l’OPA ne sera fixée par l’AMF que lorsqu’elle aura reçu les justificatifs indiquant que la Commission européenne a bien donné son accord au rapprochement Capgemini-Altran au titre des concentrations. L’autorisation a été demandée le 18 septembre 2019.
  • L’opération sera suivie d’un retrait obligatoire dans les trois mois si les conditions sont remplies ( Capgemini devra réunir plus de 90 % du capital et des droits de vote)
  • Compte tenu de l’existence de conflits d’intérêts au sein du conseil d’Altran, le cabinet Finexsi  désigné par le conseil d’Altran, a dû se prononcer sur le caractère équitable de l’offre. Il a délivré son attestation d’équité malgré la contestation des minoritaires et une contre expertise de Sorgem Evaluation dont il n’a pas estimé les contre-arguments recevables.
  • Si, à l’issue de l’OPA réouverte, Capgemini ne peut pas mettre en œuvre un retrait obligatoire ( résultat de l’offre inférieur à 90 % du capital ou des droits de vote), le groupe pourra déposer un projet d’offre publique de retrait suivie le cas échéant d’un retrait obligatoire. Dans ce cadre, Capgemini n’exclut pas de racheter des actions après la fin de l’OPA et avant de déposer une nouvelle offre. Dans ce cas, l’AMF, devra se prononcer sur la conformité du retrait obligatoire au vu d’un nouveau rapport d’expert indépendant avec par conséquent, la possibilité que ce soit à un prix différent.

    NB : les actionnaires qui auront apporté à l’OPA, seront fondés à obtenir un complément de prix si Capgemini rachète des blocs à un prix supérieur au prix d’OPA, sauf s’il s’écoule plus d’un an après le lancement de l’OPA. Autrement dit, les activistes peuvent rester pendant un an au capital d’Altran sans courir de grand risques avec l’espoir de se faire racheter leurs titres plus cher à compter du 16 octobre 2020. Cette perspective peut paraître attractive à certains fonds actions, puisqu’ils peuvent ainsi placer une partie de leur cash en actions, avec peu de risques, alors que le rendement des obligations sans risques devient négatif et que la Bourse est menacée de sérieuses secousses.

  • L’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) qui contestaient le prix, a relevé plusieurs anomalies dans le déroulement du projet d’OPA, ses arguments n’ont pas été retenus par l’AMF car il n’étaient pas de nature à empêcher la vente d’Altran. Le prix n’a pas non plus été relevé :
    • L’ADAM a critiqué le fonctionnement de la gouvernance dans le déroulement de l’offre. Colette Neuville estimait que le conseil ne s’était pas déclaré dans les formes en faveur de l’offre. Annoncé le 24 juin, le détail du projet d’OPA n’a été rendu public que le 23 septembre 2019. Or, le conseil d’Altran a rendu un avis positif par deux fois, sans avoir eu le rapport de l’expert indépendant sur le prix entre les mains et avant même que le marché ait pu prendre connaissance de tous les détails de l’accord de rapprochement et notamment du montant de l’indemnité de rupture ( 75 millions € soit 2 % du prix offert).
    • L’association présidée par Colette Neuville, considère que processus de décision du conseil d’Atran ne fait pas apparaitre de manière claire les conflits d’intérêts qui existent dans cette affaire, et estime qu’il y a eu violation des principes de transparence. Le marché a appris le 23 septembre seulement que le PDG Dominique Cerutti était lié par un contrat secret de prestation de service au principal actionnaire APAX. Il était de fait, intéressé financièrement au rapprochement avec Capgemini, mais il n’était pas forcément aligné avec l’intérêt de tous les actionnaires, et notamment avec l’intérêt de ceux qui souhaitaient rester au capital, (NB : sans même parler des actionnaires salariés qui peuvent avoir quelques doutes sur la pérennité de leur poste une fois la fusion terminée).
    • L’expert mandaté par l’Adam a mis en évidence que le taux d’actualisation retenu par l’expert indépendant Finexsi, pour estimer le prix d’OPA équitable, est supérieur au taux retenu par Altran pour ses tests de pertes de valeur ( estimation des goodwill) ce qui a conduit, selon Sorgem Evaluation, à une sous-valorisation significative du prix d’OPA jugé équitable par Finexfi.
  • L’AMF a estimé que les arguments des activistes, ne l’empêchaient pas de donner son feu vert à l’opération :
    • que l’essentiel des éléments de l’accord de rapprochement avait été rendus public le 23 septembre lors du dépôt du projet d’OPA et de la note d’Altran en réponse et que, concernant la pénalité de 75 millions € à payer par Altran pour se dédire (ou parce que la Commission Européenne ne donne pas son feu vert ou en cas de surenchère d’un tiers), elle ne représentait que 2 % du prix selon l’autorité, donc pas suffisamment pour dissuader une surenchère avant le 23 septembre.
    • L’autorité s’est satisfait des explications du conseil d’Altran qui, au vu des reproches qui lui avaient été faits par l’ADAM, a rectifié le tir les 22 septembre et 10 octobre. Le conseil a confirmé son avis positif sur l’OPA après avoir pris connaissance de l’avis de l’expert indépendant Finexsi et le conseil qui s’est tenu à ces dates, pour délibérer, a pris sa décision, cette fois, sans la présence des administrateurs en situation de conflit d’intérêts ( yc le PDG lié par un contrat de service à Apax) .
    • L’autorité a estimé qu’il ne lui appartenait pas de juger de la régularité de la tenue du conseil d’administration d’Altran pour donner son feu vert, notamment sur les situations de conflit d’intérêts.
    • L’AMF n’entend pas non plus remettre en cause le prix à partir du moment où il découle d’une analyse multi critères.
    • Enfin, dans la mesure où il n’y a pas de disposition spécifique quant à la fixation du prix s’agissant d’une offre volontaire suivant la procédure normale, l’AMF a également botté en touche s’agissant de l’existence ou non d’une prime de contrôle qu’aucun texte n’exige.
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