Arnaque Natixis : le procès aura-t-il lieu ?

Le 11 décembre 2006, il y a neuf ans jour pour jour, des centaines de milliers de petits porteurs souscrivaient à l’offre à prix ouvert de Natixis au profit des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne. Celles-ci se délestaient par la même occasion de 5 milliards € d’actions de leur banque d’investissement, juste avant le début de la crise financière. En mars 2009, après une longue descente aux enfers, le cours de Natixis s’est effondré au dessous de 1 €.  L’action vaut aujourd’hui 5 €. Des centaines de milliers de petits porteurs ont encore perdu les trois quarts de leur investissement. Mais la justice traîne des pieds devant un dossier compliqué où il est plus facile de mettre en avant les effets de la crise financière que de démontrer les manipulations de certains dirigeants mutualistes. La plainte de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires ( Adam) n’a toujours rien donné.

Du placement de père de famille à l’investissement explosif 

Mouton noir des banques françaises avec un investissement explosif  dans des activités de garanties de crédit aux Etats-Unis, Natixis n’est pas passé loin de la faillite en 2008.  Fin 2006, à la veille du déclenchement de la crise des subprimes qui date de février 2007, sa filiale de réhaussement de crédit CIFG était engagée à garantir 75 milliards $ de financements dont une bonne partie sur des CDO et des subprimes américains.  Cette activité, refilée sans tambours ni trompettes à sa filiale, par les Caisses d’Epargnes en novembre 2006, était valorisée 450 millions € par les commissaires aux apports. Elle ne générera que 22 millions € de bénéfices en 2006 au meilleur de sa forme. En novembre 2007, des pertes colossales sur CIFG nécessiteront sa recapitalisation, puis un an plus tard, celle de Natixis par les deux actionnaires mutualistes. La mésaventure ne passera pas inaperçue et jettera la suspicion sur les activités de cette banque d’investissement qui souffrira plus que les autres en France de la crise financière.

Deux Banques Populaires priées d’indemniser leur client

Mauvaise pioche donc, pour le million de petits porteurs qui a souscrit à l’offre à 19,55 €. Croyant acheter du « réseau mutualiste » et inconsciemment du « livret A », il sera  grugé et probablement avec lui les conseillers financiers chargés du placement. Jouant sur la confiance , les agences des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne ont fourgué à l’époque 1,6 milliard € d’actions Natixis, auprès de leurs clients ( 65 % de la part réservée aux particuliers).  

Certaines s’en sont mordus les doigts. Des clients de la Banque Populaire des Alpes puis de la Banque populaire Rives de Paris, devenus actionnaires à « l’insu de leur plein gré », ont obtenu réparation en justice. « A aucun moment, les clients n’ont été avertis de la nature particulièrement périlleuse des activités de Natixis. Au contraire, les nombreux témoignages et documents recueillis en 2008 n’ont montré que l’aspect sécuritaire du placement  » a plaidé UFC-Que choisir accompagnant une plaignante spoliée en Ile-de-France. Mais le procès de grande envergure, celui qui doit dissuader le secteur bancaire de prendre des engagements massifs et lointains sans se pencher suffisamment sur les risques, ne s’est toujours pas tenu.

Le procès de grande envergure est toujours dans les limbes

Le 24 février 2009 au nom des 91 premiers actionnaires qui se sont adressés à l’association pour la défense des actionnaires minoritaires, sa présidente Colette Neuville saisit le procureur de la République.  Une  enquête préliminaire est ouverte avec perquisitions au siège de Natixis et premières auditions des plaignants à l’automne 2009 par la brigade financière.

La démarche de l’Adam auprès de la banque pour trouver une solution amiable au dédommagement des victimes, échoue début 2010. Puis, l’hebdomadaire Investir relaie la plainte en lançant une pétition adressée à Chritine Lagarde, ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, et le nombre de plaintes s’étoffera.

Mais pendant ce temps, le dossier n’avancera pas pour autant sur le plan judiciaire. Le 25 mai 2010, le Procureur n’ayant toujours pas saisi un juge d’instruction, Maître Alain Geniteau, l’avocat chargé du dossier qui a à son actif l’indemnisation des actionnaires de Sidel, adresse une plainte avec constitution de partie civile à la Doyenne des juges d’instruction, afin d’obtenir la nomination d’un magistrat instructeur. L’ADAM avance les frais ( 10 000 €) et le  juge d’instruction René Grouman est désigné.

Les infractions visées dans la plainte sont les suivantes :

– le fait de répandre des informations fausses ou trompeuses (article L. 465-1 du Code monétaire et financier) ;

– le fait de publier ou présenter aux actionnaires des comptes ne donnant pas une image fidèle du résultat, des opérations de l’exercice, de la situation financière et du patrimoine de la société (article L. 242-6 du Code de commerce) ;

– ainsi que le fait de distribuer des dividendes fictifs (article L.242-6 du Code de commerce).

Les délits susceptibles d’être retenus sont essentiellement relatifs à l’information de Natixis au public de 2006 à 2008 au travers des divers documents publiés par la société ou sous sa responsabilité : communiqués, déclarations à la presse, comptes sociaux et consolidés, documents de référence, prospectus d’information, présentations aux réunions d’analystes, lettres aux actionnaires, bulletins de l’entreprise, etc…

A la différence de la procédure utilisée par les quelques clients des Banques populaires qui ont attaqué la banque locale qui leur a vendu les actions Natixis , la procédure choisie par l’ADAM vise à obtenir un dédommagement non pas de la part des vendeurs – ce qui obligerait à faire autant de procès que d’agences bancaires distributrices – mais de la société faitière – ce qui permet de regrouper toutes les victimes dans la même procédure.

Plus de 900 dossiers de parties civiles chez le juge d’instruction

Depuis 2010, les commissions rogatoires sont rentrées et le juge a procédé à des auditions. « Mais, il semble bien que la technicité du dossier, très complexe, serve de paravent aux défendeurs tant vis-à-vis de la brigade financière que du juge d’instruction » relevait l’Adam il y a deux ans. C’est pourquoi l’association demandait alors la nomination d’un expert rompu aux techniques bancaires. On ne sait toujours pas pourquoi l’expertise a été refusée.

Durant l’été, le juge d’instruction René Grouman qui semblait prêt à déclarer un « non lieu », a été déchargé du dossier et un nouveau juge d’instruction a été nommé.  Pour les petits porteurs de Natixis concernés par la plainte, c’est au mieux de nouveaux délais, au pire un dossier bientôt refermé. L’Adam a repris l’affaire en mains.

© crédit photo Todd Van Hoosear via Flickr

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LAFAIX Hugues
7 années plus tôt

Bonjour,
Nous possédons 172 titres NATIXIS acquis à 17,74 € dès leur introduction et nous souhaiterions nous joindre à votre démarche judiciaire.
Comment procéder ?
Merci pour votre réponse.
Salutations.