La démocratie est menacée au quotidien (fraudes, corruptions, scandales…). Parmi ceux qui tentent de la protéger, se trouvent les lanceurs d’alerte. Or, ces derniers ne se voient pas offrir de protection juridique efficace, notamment en France. Dans le monde, non seulement les lanceurs d’alerte ne sont pas protégés, mais ils sont systématiquement opprimés par les systèmes sociaux (entreprises, organisations, institutions, États…) qu’ils défendent pourtant en alertant ! Il s’agit là d’un danger supplémentaire pour les démocraties.
Nous connaissons tous des lanceurs d’alerte : Sharron Watkins (Enron, en 2001), le Dr Irène Frachon (le Médiator, en 2007) ou encore Antoine Deltour (PWC et Luxleaks, en 2014). Et tant d’autres lanceurs d’alerte encore, plus ou moins médiatisés, mais tout autant, et paradoxalement, mis à l’index !
Prendre le risque de dénoncer
L’individu n’est pas un lanceur d’alerte par nature. Il le devient, poussé par les circonstances. En alertant, il entre en résistance parce qu’à un moment, il ne peut plus se taire. Le lanceur d’alerte apparaît comme un défenseur du vivre ensemble, avec des lois et règles claires, sensées s’appliquer à tous, avec le même poids, la même mesure… Alors, défendre l’intérêt général et parler ? Ou bien exprimer plutôt une forme de loyauté envers la hiérarchie, se taire, et commettre finalement un crime d’obéissance ?
Parler ou se taire est un bien difficile dilemme. Pourquoi ? Parce que le lanceur d’alerte fait face à des représailles qui vont de la rétrogradation professionnelle au licenciement pur et simple, en passant par des procès. Des périodes d’ostracisation très longues, très difficiles s’ensuivent pour le lanceur d’alerte avant, parfois seulement, de rebondir et de capitaliser sur des expériences acquises douloureusement.
« J’ai tout perdu, mais je ne me suis pas perdu », confiait l’un d’eux. Aux États-Unis, où les pratiques de Whistleblowing sont plus développées (depuis 2002 et le Sarbanes-Oxley Act), des avocats spécialisés préviennent les lanceurs d’alerte, afin qu’ils mesurent bien « dans quoi ils s’embarquent … »
Lionel Bonaventure/AFP
La société ne peut pas laisser punir celui qui, au départ, veut la protéger… Être du côté du régulateur, c’est être au service du bien commun, du modèle social construit à travers l’histoire, de la croissance de nos économies. Certaines pratiques (comme l’optimisation fiscale massive érigée en stratégie) sont souvent légales. Elles sont cependant de plus en plus perçues comme non éthiques, immorales ou illégitimes, voire scandaleuses, par les opinions publiques à qui les gouvernements demandent toujours plus d’efforts.
Offrir un cadre protecteur
C’est précisément le cas du scandale LuxLeaks : le contenu de rescrits fiscaux (tax rulings) conclus entre de très nombreuses multinationales (Apple, Amazon, Ikea,…) et le fisc au Luxembourg a été révélé fin 2014 par Antoine Deltour, un ex-salarié de PWC. Ces accords d’optimisation fiscale organisent, à très grande échelle, ni plus ni moins que de l’évasion fiscale. Le lanceur d’alerte est à la fois poursuivi par la justice luxembourgeoise pour divulgation de « secrets », soutenu par une pétition de près de 60 000 signataires, et décoré du Prix du citoyen européen 2015 par le Parlement européen, pour sa contribution à la coopération fiscale et à la promotion des valeurs communes en Europe !
Ce cas illustre bien la nécessaire protection des lanceurs d’alerte qui sont poursuivis, alors même leur action est reconnue, dans le même temps, comme positive et salutaire.
Transparence, comportements exemplaires… L’opinion publique y aspire en ces périodes économiquement difficiles pour le plus grand nombre. Le législateur doit l’entendre urgemment et ne plus tergiverser.
Les points clefs d’une législation
La sécurité juridique pour tous et la levée des contradictions entre alerter et obéir pourraient constituer le socle d’une loi réellement protectrice pour le lanceur d’alerte.
Le champ de l’alerte est par essence très vaste. Il ne faut donc pas compartimenter la protection avec des règles par domaine. Un système organisé d’évasion fiscale ou la présence de viande de cheval dans nos lasagnes au bœuf doivent pouvoir faire l’objet d’une alerte, avec la même sécurité juridique pour leurs auteurs. Aujourd’hui, le licenciement n’arrête pas les déboires du lanceur d’alerte. Les parties prenantes puissantes ont le temps et l’argent quand le lanceur d’alerte n’a que sa conscience et quelques soutiens pour lui. Le temps des procès est l’allié des forts, toujours.
Le législateur doit réduire la tension qui s’exprime trop souvent aujourd’hui entre le droit d’alerter et l’obligation d’obéir. Dans le service public par exemple, il faut en finir avec la contradiction entre la protection des agents lanceurs d’alertes et l’obligation qui leur reste faite d’obéissance hiérarchique, de secrets et de discrétion professionnelle (le devoir de réserve). Rémy Garnier, agent du fisc à l’origine des révélations de l’affaire Cahuzac, a été régulièrement victime de représailles (mutations et sanctions diverses) dès le début des années 2000, date de ses premières investigations !
Pourquoi protéger les lanceurs d’alerte revient-il à protéger la démocratie ? Les lanceurs d’alerte sont et font le contre-pouvoir nécessaire à l’équilibre des sociétés démocratiques. Leur audience dans l’opinion est l’écho de leur résistance. Ils permettent sans aucun doute de repenser les rapports des citoyens les plus puissants avec les plus lambda. Les Snowden, Deltour, Frachon et tous les autres… avec des histoires différentes sont, chacun, des défenseurs de la souveraineté des peuples et de l’égalité des citoyens. Les démocrates doivent les protéger.
Sandra Charreire Petit, Professeur de management, Université Paris Sud – Université Paris Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.