La France dans la lutte contre la corruption : les solutions américaines

Le Ministre des Finances va présenter en conseil des ministres, le projet de loi renforçant l’arsenal législatif existant contre la corruption d’agents publics étrangers. Ce projet de loi est d’inspiration américaine et il propose la création d’une Agence de prévention et de détection de la corruption. Permettra-t-il à la France de rattraper son retard en matière de lutte contre la corruption internationale ?

Un constat de retard partagé par les institutions internationales, les ONG et… le gouvernement

Classée au 23e rang mondial selon l’indice de perception de corruption par l’ONG _Transparency International_, la France est également régulièrement critiquée par les organisations internationales dans sa participation à la lutte contre la corruption internationale. En 2014, le groupe de travail de l’OCDE regrettait qu’aucune société française n’ait jamais fait l’objet, en France, de condamnation définitive du chef de corruption internationale, délit pourtant inscrit à l’article 435-3 de notre code pénal.

Or, les entreprises françaises ne sont ni plus, ni moins vertueuses que les autres. C’est pourquoi elles se font régulièrement épingler par les États-Unis, ardents défenseurs de la Convention OCDE contre la corruption internationale, entrée en vigueur en France en septembre 2000.

Ainsi, parmi les 10 amendes les plus importantes collectées par les autorités américaines, figurent trois sociétés françaises : Technip (338 millions de dollars) ; Total (245 millions de dollars) et Alstom (772 millions de dollars). Attention, aucune de ces sociétés n’a été condamnée, chacune d’entre elles a accepté de transiger avec les autorités pour les faits de corruption qui lui étaient reprochés.

En France pour chacune de ces affaires, des voix se sont élevées pour s’indigner d’un impérialisme judiciaire américain. Aux États-Unis on ne voit pas les choses comme ça. Selon une éditorialiste du New York Times on pense que « la France laisse les États-Unis mener le combat contre la corruption ».

Mi-février , pour la première fois, le Ministre des Finances français partageait ce constat : « la France est en retard […] en matière de lutte contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Lorsqu’un problème de cette nature se pose, au lieu d’être condamnées par des juridictions françaises, nos entreprises sont condamnées par des juridictions américaines. Il y a quelque chose de presque déshonorant ». (cf. interview du Parisien).

Pourquoi les États-Unis sont-ils en pointe dans la lutte contre la corruption internationale ?

Les États-Unis se sont dotés d’un dispositif juridique pour lutter contre la corruption internationale dès la fin des années 1970, avec l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). L’époque n’est pas anodine. En effet, c’est le scandale du Watergate et l’enquête policière qui suivit qui révélèrent que de nombreuses entreprises américaines n’hésitaient pas à corrompre des agents publics étrangers pour obtenir des marchés publics.

À la lecture des travaux parlementaires, ce qui surprend c’est que ce n’est pas le célèbre puritanisme outre-Atlantique qui a motivé l’adoption du FCPA, mais plutôt un souci de transparence et de régulation des marchés financiers. C’est ainsi qu’en 1977, la législature américaine a adopté un texte interdisant notamment à toute personne (physique ou morale) américaine et à toute société cotée aux États-Unis de recourir à la corruption d’agents publics étrangers pour obtenir ou maintenir un avantage commercial.

En effet, à l’époque, la législature américaine considérait que, dès lors que les entreprises cotées maquillaient leurs comptes pour dissimuler les pots-de-vin versés aux dignitaires étrangers, l’information financière était tellement faussée qu’elle ne permettait pas le bon fonctionnement des marchés financiers. C’est pourquoi le FCPA sanctionne également le fait de maquiller les comptes afin de dissimuler un acte de corruption.

Pourtant, les détracteurs de cette réforme craignaient que le FCPA ne soit défavorable aux entreprises américaines, dès lors que les entreprises étrangères ne seraient pas soumises aux mêmes règles. C’est pour cette raison que, depuis la fin des années 1970, les États-Unis ont toujours milité pour l’adoption d’une législation contraignante internationale contre la corruption.

Finalement, ce sera au sein de l’OCDE – qui ne compte que 34 membres – que les États-Unis arriveront, 20 ans après l’adoption du FCPA, à promouvoir une convention internationale contraignant ses signataires à criminaliser la corruption d’agents publics étrangers. Pour l’OCDE, il s’agit de lutter contre la corruption internationale, véritable frein au développement économique des pays du Sud. Pour les États-Unis, il s’agit de promouvoir une concurrence libre et non faussée.

Pourquoi les États-Unis sanctionnent-ils les entreprises françaises ?

Si les autorités américaines sanctionnent également les entreprises étrangères, c’est parce que dans l’économie globalisée, un certain nombre d’entreprises sont cotées sur les bourses américaines. En 2014, 10 sociétés françaises étaient cotées aux États-Unis contre 35 en 2000.

La compétence des juridictions américaines n’est donc pas universelle, elle ne s’exerce vis-à-vis des entreprises étrangères que si ces dernières ont choisi d’être cotées aux États-Unis, c’est-à-dire de faire appel public à l’épargne aux États-Unis.

Le retard français

Pourquoi les juridictions françaises ne parviennent-elles pas à appréhender les sociétés françaises coupables de corruption internationale ? On peut relever plusieurs obstacles.

En premier lieu, pour poursuivre une société française pour des faits de corruption commis à l’étranger, il faut que les autorités de poursuite disposent d’informations. Aux États-Unis, le spectre des sanctions qui peuvent être imposées en cas de dissimulation incite les sociétés à informer elles-mêmes les autorités américaines de faits de corruption. En cas d’information volontaire, les autorités de poursuites diminueront le montant des amendes recherchées. En France, ni l’Autorité des marches financiers, ni le parquet financier ne disposent d’un tel pouvoir de persuasion. En effet, dès lors qu’aucune société n’a été condamnée à ce jour, aucune société française n’a intérêt à volontairement informer les autorités de poursuite.

En second lieu, pour des raisons historiques évidentes, notre système juridique n’incite pas à la délation. Aux États-Unis, les lanceurs d’alertes sont non seulement protégés, mais encouragés à informer les autorités, qui peuvent rémunérer leurs informateurs si l’information donnée a permis de collecter une amende.

Enfin et surtout, en France le parquet se heurte à l’article 113-5 du code pénal qui ne permet d’appliquer la loi française à une entreprise française pour des faits commis à l’étranger qu’à condition que le délit dont elle s’est rendue coupable ait été au préalable « constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». Cette condition revient, de facto, à empêcher les parquets français de poursuivre eux-mêmes en premier les entreprises françaises coupables de corruption internationale. Or, par hypothèse, les régimes dans lesquels une telle corruption s’exerce ne sont a priori pas ceux dans lesquels la corruption alléguée est la plus susceptible d’être combattue.

Ce que l’on sait du projet de loi Sapin II

À l’instar de l’action collective inspirée de la class action américaine, le projet de loi Sapin II se veut « inspiré » du dispositif américain, sans toutefois lui ressembler.

D’après les annonces récentes, la loi remplacerait l’actuel Service central de prévention de la corruption par une Agence de prévention et de détection de la corruption. Reste à savoir quelles seront très exactement les prérogatives d’une telle agence. Elle pourra initier des poursuites, mais il semble que, placée sous la double tutelle du Ministère de la Justice et de celui des Finances, elle n’obtienne pas le statut d’autorité administrative indépendante.

De même, la loi devrait prévoir un soutien financier aux lanceurs d’alertes qui engagent souvent de lourds frais d’avocat. Mais le projet ne prévoit pas d’inciter  les lanceurs d’alertes en les intéressant aux résultats financiers de poursuites judiciaires éventuelles.

L’aspect le plus intéressant du projet de loi, à ce jour, semble être l’obligation faite aux entreprises françaises de prévenir les risques de corruption, par l’adoption de codes de conduite, d’un dispositif de lancement d’alerte interne, d’une cartographie des risques propres à chaque société, de contrôles comptables et de programmes de formation de leurs salariés. Cette obligation de conformité, si elle devrait être accompagnée de sanctions en cas de manquement, permettra au moins de promouvoir une certaine éthique au sein des entreprises françaises.

Comme toute nouvelle loi, il faudra en guetter les modalités d’application. A ce jour, une seule  entreprise française a été condamnée en France pour des faits de corruption d’agent public étranger. La Cour d’Appel de Paris vient en effet de prononcer une sanction pécuniaire de 750 000 € à l’encontre de Total dans l’affaire pétrole contre nourriture. Cette condamnation contre laquelle le groupe pétrolier a indiqué se pourvoir en cassation, est toutefois bien inférieure aux condamnations infligées aux Etats-Unis dans cette même affaire pétrole contre nourriture.The Conversation

Philippe Pradal, Chargé de cours en droit à Sciences Po, Visiting Scholar à Cornell Law School, Avocat aux barreaux de New York et de Paris, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 22 février 2016 et actualisée. Cette version mise à jour le 28 mars 2016.

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