Moins d’un tiers des entreprises du CAC 40 « sans embrouille »

Le scandale Volkswagen dont les retombées négatives sont colossales, apporte un éclairage cru sur la gouvernance des grandes entreprises et les risques qu’elles prennent. Les actionnaires du géant de l’automobile ont perdu 31 milliards €, en l’espace d’un mois ! Les opérations financières signent, elles aussi,  le retour de la démesure. Le rachat d’EMC par Dell,  un deal à 67 milliards $ ou la fusion  des brasseurs AB InBev et SabMiller pour constituer un ensemble de 100 milliards € de capitalisation, donnent le vertige. Des amendes toujours plus importantes, des opérations toujours plus titanesques, des groupes toujours plus ingérables, des dirigeants toujours mieux payés, des équipes qui tournent toujours plus vite…bienvenue dans le monde de tous les excès. L’ « exubérance irrationnelle » est de retour.

Sur des marchés où les liquidités ruissellent en abondance, les actionnaires individuels perdent facilement leurs repères et ne sont pas toujours conscients des risques qu’ils prennent. Or, si l’investissement « en direct » permet d’économiser les frais liés à la gestion collective, il exige en contrepartie de choisir avec soin la composition de son portefeuille.

Personne n’échappe à l’éclatement d’une bulle spéculative, à moins de liquider son portefeuille. Pour ceux qui préfèrent rester en Bourse, on sait par expérience que les investisseurs avisés ont tendance, lorsque la tempête souffle, à se concentrer sur un nombre de valeurs plus restreint, celles dont la gestion présente moins de risques. A contrario, ils renâclent à investir dans les valeurs « agitées » qui deviennent alors beaucoup plus volatiles. Se concentrer en priorité sur les valeurs « sans embrouilles » est un comportement de bon sens. Encore faut-il réussir à les identifier. Nous avons tenté de le faire  en étudiant le comportement extra-financier des entreprises du CAC 40 au cours des deux dernières années, puis en éliminant les sociétés qui donnent des « signes d’agitation ».

Quels sont les signes distinctifs d’un comportement « agité »

Il ne s’agit pas d’évaluer les performances financières, ni le potentiel de gain à court terme. Les analystes financiers le font très bien et quasiment en temps réel. Les ajustements des cours sont donc généralement rapides. Pour éviter les mauvaises surprises, il est donc préférable d’anticiper et de suivre le comportement extra-financiers des grandes entreprises. Ils fournissent généralement des signes avant-coureurs et en disent long sur la gouvernance, la culture du risque, la probité, la stabilité des équipes ou encore la continuité de la stratégie.

Ainsi, l’étude des 40 valeurs du CAC nous a permis de détecter trois types de comportements caractéristiques des « valeurs agitées » qui minent la confiance ou sont le signe de ruptures. Les voici :

1/ L’entreprise modifie son profil en se lançant dans des opérations financières de grande envergure

Depuis deux ans, un quart des entreprises du CAC 40 se sont lancées dans des opérations d’envergure que ce soit des rapprochements via des OPA/OPE  ou  de cessions ou d’acquisitions d’actifs très significatifs en termes de taille ou de marchés. En effet, de nombreux dirigeants n’ont pas hésité à faire prendre  des virages  à 180 degrés à leur groupe avec les risques que cela comporte. On a pu observer de tels comportements chez Lafarge, Alstom, Vivendi, Alcatel-Lucent pour ne citer que ces trois exemples. Vendre un actif essentiel ou faire l’acquisition d’une activité qui va changer le profil du groupe, participer à une OPA/OPE  que ce soit en tant que cible ou en tant que proie, c’est parfois nécessaire pour surmonter des difficultés mais c’est aussi s’exposer à des risques d’échec. Les synergies ne sont pas toujours au rendez-vous et de nombreuses études montrent que ces opérations qui remplissent les poches des banquiers d’affaires et accessoirement des prêteurs, sont longues et coûteuses. Et elles ne finissent pas toujours bien pour l’actionnaire. Contrairement aux entreprises qui ajustent constamment leur stratégie par petites touches, celles qui font des pas de géant ne créent pas forcément le plus de valeur. On citera par exemple la forte déconvenue des petits porteurs chez ArcelorMittal ou GDF Suez.

2/ Les organes de contrôle ont du mal à éviter les sorties de route, la gouvernance est douteuse

Parfois, c’est la gouvernance qui devient agitée et suspecte. Certains  dirigeants se font verser des rémunérations excessives et contournent les codes de gouvernance. Plus grave encore, l’actionnaire découvre parfois à ses dépends que la société tombe sous le coup d’une amende qui se chiffre en centaines de millions € voir en milliards € comme c’est arrivé à Alstom ou BNP Paribas. Parfois, il faut se plonger dans la littérature réglementée de la société pour lire à la rubrique facteurs de risques/litiges que l’entreprise risque de devoir payer des pénalités très sévères. Que faut-il en déduire ? Souvent, dans ces cas de figure, les conseils d’administration ne jouent pas leur rôle de modération et de surveillance de l’exécutif comme on pourrait s’y attendre. Ce type de situation, de plus en plus fréquent, fait douter des progrès de la gouvernance des grandes entreprises, alors même que des indicateurs chiffrés tentent de démontrer que les conseils remplissent bien leur mission.  Rémunérations excessives et défaillance dans le contrôle des risques et la conformité ne sont pas anecdotiques puisque depuis deux ans, dans presque un tiers des entreprises du CAC40, ces affaires ont défrayé la chronique.

3/ Les changements de dirigeants, de statuts font craindre des péripéties

Quand on change un général en pleine bataille c’est souvent pour changer de stratégie et lorsqu’on a des velléités de déplacer son camps à l’étranger, c’est pour des motifs qui ne pas toujours avouables, d’ordre fiscal par exemple. Voici encore une fois des indicateurs d’instabilité que les petits porteurs doivent prendre en compte.  Notre étude sur les deux dernières années, montre que les états-majors tournent de plus en plus vite. Ainsi 13 entreprises, soit un tiers des entreprises du CAC40 ont changé de PDG ou de directeur général en l’espace de deux ans. Nouvelles têtes, nouvelles ambitions, nouvelles équipes… pour le meilleur et pour le pire !

Un autre signal est à prendre en compte : la modification du statut de l’entreprise. Trois sociétés, Airbus, Schneider Electric et LVMH ont fait un  pas de côté ces deux dernières années. Elles ont modifié leur statut pour adopter celui d’entreprise européenne. Airbus est déjà installé aux Pays Bas, mais LVMH et Schneider Electric sont soupçonnés d’avoir pris cette décision pour déplacer plus facilement leur siège social. Un glissement des équipes de direction, à Londres, New York ou Singapour s’est déjà opéré. Que faut-il penser de ce type de décision ? Les dirigeants savent parfois l’expliquer en mettant en avant une moindre taxation fiscale bénéfique ( aussi) à l’actionnaire. Mais être actionnaire d’une entreprise étrangère, c’est dépendre de la réglementation et de la fiscalité des dividendes d’un autre pays avec les complications que cela entraine. Que ce soit aux Pays Bas, au Luxembourg ou à Singapour, l’exil n’a rien de protecteur pour les petits porteurs parfois contraints de se débarrasser de leurs actions.

Conclusion : la liste de nos douze valeurs « sans embrouille »

Les trois types de comportements « à risque » que nous avons identifiés, peuvent dans de rares cas avoir des effets positifs mais ils sont souvent difficiles à décrypter. Nous avons relevé l’une ou l’autre de ces conduites chez 28  des 40 valeurs de l’indice CAC 40. Sachant que certaines entreprises envoient plusieurs signaux d’instabilité à la fois.

Restent par déduction douze entreprises dites « sans embrouille ». On retrouve sur la liste et ce n’est pas un hasard, les « chouchous » des actionnaires individuels : L’Oréal, Essilor, Air Liquide. A côté de celles-ci figurent Axa, Bouygues, Legrand, Michelin, Orange, Technip, Unibail-Rodamco, Valeo et Accor.  Des sociétés de tous secteurs qui, espérons-le sauront continuer à l’avenir à mériter la confiance de leurs actionnaires.

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