Etat-direction-actionnariat salarié : un plan à trois pour la gouvernance d’Orange ?

Rien de tel que la campagne présidentielle et son cirque médiatique, pour déplacer ses troupes sans que personne n’y prête attention. La gouvernance d’Orange dont l’Etat contrôle près de 30 %, vient de connaître de discrètes rectifications pour se préparer aux changements qui s’annoncent. Les présidentielles, le renvoi en correctionnelle du PDG et  la poursuite probable du mouvement de restructuration dans les télecoms, sont autant de secousses à venir pour l’opérateur historique du secteur.

A 55 ans, Stéphane Richard, le PDG d’Orange est sur la sellette. Le renouvellement de son mandat n’intervient qu’en 2018, mais sa position est affaiblie. Le PDG d’Orange, a été mis en examen dans une procédure parallèle sur l’affaire Tapie qui a rendu sa défense complexe. Son refus de témoigner au procès de Christine Lagarde condamnée pour négligence devant la Cour de justice de la République, place maintenant cet ancien directeur de cabinet, en première ligne. Le parquet souhaite poursuivre Stéphane Richard pour escroquerie en bande organisée et complicité de détournement de fonds publics. Voilà qui n’augure rien de bon pour l’opérateur téléphonique qui va bientôt subir le choc d’un changement de Président de la République.

Verrouiller la gouvernance fragilisée, un jeu de billard à trois bandes

Chez Orange, on aime pas beaucoup évoquer  l’importance de l’Etat actionnaire au capital, elle est pourtant loin d’être négligeable.  Si le pacte d’actionnaire entre le tandem étatique formé de l’Agence des participations de l’Etat et de la Banque Publique d’investissement s’est un peu desserré ces dernières années, l’Etat qui chapeaute via Bercy les deux entités, et détient toujours ainsi 23 % du capital d’Orange¹ a sensiblement renforcé son influence au gré des droits de vote doubles. Avec 29,5 % des droits de vote,  il pèse à la fois davantage en AG (environ 42 % des voix compte tenu du quorum) mais il est aussi relativement empêtré dans une participation trop proche des 30 %, seuil dangereux de déclenchement d’une OPA sur le groupe.
En assemblée générale ordinaire ( pour nommer des administrateurs ou décider du dividende), l’Etat n’a pas la majorité. En revanche, avec 42 % des voix, il possède une minorité de blocage et peut toujours s’opposer à une opération « structurante » en assemblée générale extraordinaire.
La situation n’est donc pas très confortable pour Bercy, et c’est aussi pourquoi on s’attend à une évolution capitalistique à l’occasion d’une opération de consolidation des télécoms impliquant Orange.

 Des élections des représentants des salariés actionnaires qui tombent à pic 

Pour Stéphane Richard et pour l’aréopage des inspecteurs des Finances de Bercy, verrouiller la gouvernance d’Orange est devenu un enjeu fort et qui mieux que les actionnaires salariés peuvent venir en soutien ?  Chez Orange, en tout cas, l’actionnariat  pèse lourd : 5 % du capital ²,  8 % des droits de vote et environ 11 à 12 % des voix en AG.

Comme toujours, dans les grandes entreprises, l’épargne des salariés en actions de l’entreprise, est à la fois une manne pour ceux qui désignent les gérants, et un enjeu de pouvoir fort pour celui qui votera au nom du FCPE des salariés en Assemblée Générale ( ici Cap Orange). Et on voit bien ici qu’avec seulement 42 % des suffrages en AG, l’Etat mais aussi la Direction d’Orange ne peuvent pas être indifférents, à ce que représente la part des salariés au capital.

Or, on sait depuis le 15 mars dernier que  celui qui aura le boitier ( de vote ) entre les mains en AG et votera pour le compte des salariés, s’appelle Marc Maouche.  Cet ancien président de la CFTC- Télecoms qui a siégé au conseil d’Orange aux coté du PDG Stéphane Richard de 2011 à 2015, n’a pas fini d’être courtisé. Grâce à la bienveillance de la Direction, son association AASGO qui représente les actionnaires salariés du groupe Orange, a été la seule jugée suffisamment représentative pour présenter une liste de candidats au conseil de surveillance du fonds Cap Orange. Marc Maouche, le président de Cap Orange a donc décroché le cocotier.
Mais revenons sur ces élections qui marqueront peut-être l’histoire d’Orange. Pour s’assurer d’avoir les salariés actionnaires avec lui et non contre lui, Stéphane Richard a accepté de revoir la composition du conseil de surveillance du FCPE d’actionnariat salarié du groupe né l’an dernier de la fusion de tous les FCPE détenant exclusivement des actions Orange. Cap Orange gère donc 1,5 milliard € ( ou plutôt a confié à Amundi la gestion du FCPE) pour le compte de quelques 116 000 salariés et anciens salariés  dont environ 40 000 retraités attachés à l’ex-France Telecom.
Avant ces élections ( du 6 au 15 mars dernier), la gouvernance du principal fonds d’actionnariat salarié était neutralisée avec un conseil de quatre membres représentants de la direction qui s’opposaient assez régulièrement aux quatre membres des syndicats ( CFE-CGC, CFDT, CGT, FO). Au final, on arrivait à une situation incongrue : l’actionnariat salarié d’Orange pouvait par exemple inscrire à l’ordre du jour de l’AG d’Orange, un dividende modéré, mais il ne pouvait pas voter en faveur de celui-ci. Incroyable , mais vrai !
Il fallait donc échapper à cette fatalité juridique absurde. Et c’est ce qui a mis tout le monde d’accord pour organiser de nouvelles élections de membres du conseil de surveillance du FCPE. L’idée lumineuse a été d’introduire un nouveau collège de huit membres pour porter le conseil de surveillance à seize membres en faisant renter un arbitre qui ne se réclamerait ni des syndicats, ni de la Direction auprès des votants.
Ainsi des élections ont été organisées pour désigner les huit nouveaux représentants des porteurs de parts du FCPE. Et c’est là que la Direction d’Orange a choisi de miser sur l’Association des actionnaires salariés du groupe Orange ( AASGO) présidée par un certain… Marc Maouche. L’AASGO s’est alliée avec la CFDT, FO et l’UNSA et elle a remporté 54 % des voix, la CFE-CGC, un peu plus de 34 % et la CGT, 11 %. Sur les huits nouveaux sièges à pourvoir, l’AASGO en a obtenu quatre, la CFE-CGC trois et la CGT un seul.

Un président du FCPE d’actionnariat salarié expansionniste 

La composition du conseil de surveillance du FCPE qui espère se faire mieux entendre en AG, est donc la suivante jusqu’aux prochaines élections de son conseil de surveillance  :

  • 4 représentants de la direction
  • 4 représentants de l’AASGO
  • 4 représentants CFE-CGC
  • 1 FO, 1 CFDT et 2 CGT

De nouvelles alliances émergeront peut-être à l’avenir mais pour l’instant c’est l’AASGO qui fait figure d’arbitre. Marc Maouche sera nommé président du FCPE Cap Orange avec le soutien de la Direction. Son objectif est expansionniste puisqu’il veut porter la participation du personnel, de 5 à 10 % du capital à moyen terme, ce qui plait aux salariés puisqu’une partie sera financée avec un abonnement généreux ( 60 millions € en 2016 rien que pour l’actionnariat salarié soit un peu moins de 2 % du résultat net, l’équivalent d’un « super dividende »).

Stéphane Richard, qui n’est pas un ingrat, s’est engagé à faire voter lors de la prochaine AG, une attribution d’actions gratuites pour les salariés d’Orange ( encore un autre « super dividende »). Marc Maouche est aussi en faveur du versement d’un généreux dividende et réclame en plus de tous les avantages dont profite les salariés, un autre super dividende pour les actionnaires fidèles, ce qui plait à l’Etat actionnaire qui en fait partie.

Et Marc Maouche avec Cap Orange, votera en faveur des deux nouveaux administrateurs qui vont verrouiller le conseil d’administration, à la prochaine AG.

Le patron de la BPI force la porte du conseil

Car il y avait une faille dans le conseil qui risquait de donner prise aux parachutages intempestifs : deux sièges devaient se libérer  le 1er juin prochain, après l’arrivée du futur gouvernement qui risque de rebattre les cartes pour Orange. Qu’à cela ne tienne, leur sort est réglé. Les administrateurs qui occupaient ces deux sièges ont quitté le conseil, et la nomination de leurs remplaçants a été anticipée. Le patron de la BPI, Nicolas Dufourcq qui risque d’être débarqué de la BPI s’est dépêché de prendre la place de Jean-Yves Gilet, quant à  Alexandre Bompard,  PDG de la FNAC, jeune patron populaire à droite comme à gauche, il remplacera l’administrateur indépendant démissionnaire Bernard Dufau ( ex-IBM). Deux inspecteurs des Finances en profitent donc pour se faire une place au conseil, voire plus si affinités.
Au final, le conseil d’Orange comprend donc sans changement, outre les trois représentants des salariés, dix membres dont un représentant des actionnaires salariés ( l’association AGEAS), trois représentants de l’Etat, et six administrateurs qui sont qualifiés d’indépendants, Charles Henri Filippi qui dirige Citigroup France étant le numéro deux, ou encore le référent.
Le futur gouvernement serait-il tenté d’envoyer quelques mercenaires au conseil d’Orange? Impossible ou presque le jeu de chaises musicales a déjà eu lieu.

Alexandre Bompard, un joker au secours de la gouvernance d’Orange ? 

Si la justice ne vient pas chambouler ses plans, Stéphane Richard  dont le mandat sera renouvelé ( ou pas) en 2018, a de grandes chances de pouvoir garder la main sur son conseil d’ici là car à part les représentante des actionnaires salariés,  aucun administrateur ne  voit son mandat venir à échéance avant 2019.  Et si l’Etat veut jouer au chamboule-tout, il se retrouvera vite dans un cul de sac. Il devra maintenant négocier avec le tandem Direction-salariés du bien fondé des nominations avec le risque d’une qualification d’action de concert, et donc l’obligation de lancer une OPA sur le capital d’Orange. Car, si le cas ne s’est jamais présenté, il faudra bien que l’AMF se penche un jour ou l’autre sur la question qui se pose de plus en plus fréquemment : lorsqu’un actionnaire prépondérant au capital, pactise avec un FCPE d’actionnariat salariés, y-a-t-il comme avec n’importe quel autre actionnaire, action de concert ?
Quant au plan de succession du PDG Stéphane Richard, il est clair maintenant que les candidats pour le remplacer ne manquent pas, reste à savoir comment le conseil d’administration d’Orange l’envisage. Le code Afep-Medef ayant en 2016, recommandé expressément qu’un plan de succession soit mis en place dans les sociétés qui y adhèrent, les actionnaires seront en droit de poser la question lors de la prochaine assemblée générale du 1er juin 2017 et d’obtenir des réponses.
¹ respectivement 13,4 % pour l’APE et 9,6 % pour la BPI
² Outre les 5 % de Cap Orange, on notera qu’Amundi qui gère la majeure partie de l’épargne salariale d’Orange,  nous a confirmé détenir par ailleurs 3 % du capital de l’opérateur.
 ©Photo. J.Knaub/Sipa Press/Orange