Rémunérations record: la nouvelle loi n’enclenchera pas la marche arrière

Même si la France rejoint le club des pays où les actionnaires ne délégueront plus au conseil d’administration la décision en dernier ressort sur la rémunération des dirigeants, la pluie de billet qui arrose nos grands patrons français n’a pas fini de tomber. Malgré la loi Sapin II qui exige que le Say on Pay soit voté par les actionnaires, il sera quasiment impossible de revenir en arrière et de mettre fin aux rémunérations record de 2015 et sans doute 2016. L’an dernier, les PDG du CAC 40 ont touché en moyenne plus de 5 millions €, soit une hausse de 18% par rapport à l’année précédente, selon le cabinet de conseil aux investisseurs Proxinvest qui publie pour la dix-huitième année consécutive son rapport sur la rémunération des dirigeants. 

L’autodiscipline de l’Afep-Medef a été un échec

En France, comme ailleurs, la « soft law » n’a pas fonctionné et le gouvernement a du légiférer après que les promesses d’autodiscipline de l’Afep-Medef n’aient pas été tenues.

Dernier exemple en date qui confirme bien qu’il était nécessaire de passer par une loi : celui d’Alstom. En juillet 2016, en AGO, 62 % des actionnaires ont refusé de voter pour la rémunération de Patrick Kron qui avait quitté le groupe en début d’année avec un pactole de 7 millions €. Le conseil d’administration d’Alstom aura mis quatre mois pour justifier qu’il n’entendait pas modifier sa décision. Principal argument imparable :

« L’ensemble des sommes a déjà été versé à M. Patrick Kron et le vote négatif de la résolution ne remet pas en cause la légalité des versements. Par ailleurs, la Société n’a plus d’engagement à l’égard de M. Patrick Kron depuis son départ de l’entreprise le 31 janvier 2016 »

Il faut se souvenir que la contestation portait surtout sur la prime de 4 millions € versée au PDG sortant, pour avoir vendu la branche énergie à Alstom. Or, cette prime avait été avalisée par le Haut comité de gouvernance dans le giron de l’AFEP-Medef.

L’épisode montre à quel point, dans les sociétés au capital dispersé, certains conseils d’administration restent inféodés aux dirigeants et sont peu respectueux de la volonté des actionnaires qui les ont élus.  Mais la nouvelle loi donnera-t-elle vraiment les moyens de mettre fin aux pratiques excessives ?

La loi ne remettra pas en cause les acquis

Le texte sur le Say on Pay voté le 8 novembre 2016, permettra dès 2017,  aux actionnaires de s’opposer  aux principes et critères de rémunération des dirigeants ( y compris les Présidents) qui doivent leur être exposés pour l’année en cours, c’est à dire pour 2017 lors des AG qui se tiendront l’an prochain. Mais en cas de refus, il faut savoir que ce sont les critères et principes en vigueur l’année précédente, donc en 2016, qui s’appliqueront. Ce qui signifie en clair qu’il ne sera pas possible de revenir sur les acquis.  Ce n’est pas une bonne nouvelle puisque ce sont ces acquis qui sont généralement contestés.

La nouvelle loi prévoit également un deuxième vote du Say on Pay, annuel lui aussi. Il portera sur tout ce qui est rémunérations variables et exceptionnelles des mêmes dirigeants payés au titre de l’année précédente et interviendra, cette fois-ci, a posteriori. Le texte ne précise pas pour l’instant si les actions gratuites, qui constituent la partie essentielle de la rémunération des dirigeants, sont bien comprises dans ce qu’on appelle le variable. Si ce n’était pas le cas, il est évident que les actionnaires auraient peu de prise une fois de plus sur la rémunération variable. On en saura davantage avec le décret d’application attendu d’ici la fin de l’année.

Pas de vote des rémunérations de 2016 ?

Les premiers votes des actionnaires sur « le variable et l’exceptionnel » n’interviendront qu’en 2018 et porteront sur les sommes dues au titre de 2017. Pour ne pas se retrouver dans le cas « Alstom », le législateur a tout de même exigé qu’aucun paiement ne soit débloqué avant d’avoir obtenu l’accord des actionnaires sur ces deux postes.  Le fixe sera lui versé.

Il n’est pas dit si la nouvelle loi sur le say on pay doté d’un vote décisionnel, se substituera immédiatement à l’ancien-say on pay consultatif mais on peut le penser. Si c’es t le cas, c’est un ticket de loto gagnant  pour les hauts dirigeants qui, ainsi, n’auront pas à faire voter leurs rémunérations de 2016, ni à titre consultatif, ni à titre obligatoire. Mais on en saura davantage avec le décret d’application de la loi attendu d’ici la fin de l’année.

En Suisse où la paie des patrons reste très élevée, le législateur a prévu un garde fou qui n’existe pas en France. Chaque année les administrateurs voient leur mandat soumis au vote des actionnaires. Ainsi est-il possible de débarquer les administrateurs du comité des rémunérations qui se montrent inconséquents. En France, le mandat des administrateurs n’est remis en jeu que tous les trois ou quatre ans, et il ne sera pas facile de ramener le comité des rémunérations à la raison entre temps. Le texte est par conséquent bien faible et il ne faut pas s’attendre à de grand bouleversements sur l’ampleur des sommes versées.

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