Ce petit homme en blanc, c’est Carlos Ghosn le patron de Renault-Nissan, il se fait payer 15 millions € par an pour un mi-temps chez Renault et un mi-temps chez Nissan. Et cela risque de durer autant qu’il le souhaitera si les actionnaires de Renault qui se réunissent le 29 avril en assemblée générale approuvent les résolutions. L’une d’entre elles amputent le pouvoir de l’Etat actionnaire sur Renault qui voit ses droits de vote double effacés pour une partie de ses prérogatives d’actionnaires. L’autre conduit Renault à renoncer contractuellement à son influence sur le conseil de Nissan (voir l’article de Proxinvest et les questions écrites de Phitrust). Plus que jamais, Carlos Ghosn est incontournable, au centre du dispositif et devient le seul garant de l’alliance entre Renault et Nissan.
Carlos Ghosn, patron à vie pour gouverner Renault et Nissan ?
L’assemblée générale de Renault devra voter au titre des 5ème et 6ème résolutions, l’accord de stabilisation conclu avec l’État français qui doit mettre un terme au bras de fer qui s’était engagé suite à l’attribution de droits de vote doubles à l’actionnaire public. Cet accord prévoit de plafonner les droits de vote double de l’État à 17,9 % du capital de Renault ( au lieu de 34 %) sur certains type de résolutions et ceci tant que Nissan renoncera à exercer des droits de vote au capital de Renault ou à lancer une OPA sur le constructeur. Compte tenu d’un quorum habituel de 65 %, l’Etat pourra donc encore se prévaloir de 27 % des voix en AG, tandis que Nissan restera avec ses actions représentant 15 % du capital de Renault, mais sans droit de vote.
Le capital de Renault étant très éclaté, cet accord pourrait permettre à Carlos Ghosn de continuer tranquillement à percevoir une rémunération hors norme, de repousser autant qu’il veut la limite d’âge pour l’exercice des fonctions de dirigeant ou la durée du mandat des administrateurs, de désigner ces derniers ( sauf les représentants de l’Etat) et de continuer à se faire attribuer à lui et à ses équipes des paquets d’actions gratuites ou de stock-options, pour autant que les minoritaires de Renault l’acceptent. C’est en effet sur ces questions de gouvernance que s’applique le plafonnement à 17,9 %.
Les actionnaires de Renault sont par ailleurs appelés à renoncer à leurs droits sur la gouvernance de Nissan. Il est prévu que la participation de Renault chez Nissan reste figée à 43 % du capital mais Renault a dû accepté d’abandonner ses droits de vote sur ce qui a trait au conseil d’administration de Nissan. Le constructeur français s’est engagé à » voter en faveur des résolutions proposées par le conseil d’administration de Nissan à l’assemblée générale de Nissan pour la nomination, la révocation et la rémunération des membres du conseil d’administration de Nissan. A défaut Nissan aura la faculté d’acquérir des actions Renault sans accord préalable et donc de lancer une attaque en règle.
Ce n’est pas une mince affaire, c’est même une capitulation, puisque si Carlos Ghosn venait à quitter la présidence du conseil de Nissan, Renault n’aurait plus de prise sur la gouvernance d’une filiale qui lui rapporte bon an mal an environ 550 millions € de dividendes et dont la valeur dépasse 15 milliards €. Pour la société de conseil en vote Proxinvest, l’ accord va à l’encontre des règles de bonne gestion et de bonne gouvernance et les actionnaires de Renault doivent absolument s’y opposer en votant contre les résolutions 5 et 6 de l’AG. Pour la CFDT qui défend son PDG, la non-intervention de Renault dans la gouvernance de Nissan est le principe adopté depuis maintenant 16 ans. Ce qu’on imagine facilement puisque Carlos Ghosn est patron des deux sociétés. La différence , c’est que maintenant il s’agit d’un accord formalisé qui s’appliquera même après le départ de Carlos Ghosn et qu’il n’existe pas de plan de succession contractuel.
Une rémunération de 15 millions € soit 764 fois le Smic
Le vote de la rémunération de Carlos Ghosn à l’AG du 29 avril, constitue une étape importante qu’il faudra surveiller de près. Un « say on pay » rejeté sera, si c’est le cas, une preuve que la démocratie actionnariale peut encore s’exercer chez Renault, malgré les accords décrits ci-dessus.
De vives critiques visent en effet la rémunération du PDG. Ce n’est pas la première fois que le say on pay du PDG de Renault est contesté ( 8ème résolution de l’AG du 29 avril 2016). Au cours des AG 2014 et 2015, les résolutions portant sur ce point, ont réuni respectivement 36 % et 42 % de voix « contre », y compris celles de l’Etat actionnaire. En 2015, le comité des rémunérations de Renault n’en a pas tenu compte. Le PDG s’est vu attribué, une fois de plus une rémunération hors norme, soit 15 millions € au total (764 Smic annuels) qui se décomposent en 7,3 millions € chez Renault et 8 millions € chez Nissan.
Chaque année le conseil de vote aux investisseurs Proxinvest recommande de voter contre ce say on pay ( retrouvez ici l’article publié le 22 avril par Proxinvest). « Au niveau européen, ce que perçoit Carlos Ghosn représente 4 fois la rémunération médiane des dirigeants du secteur automobile (indice Stoxx Europe 600 Automobiles & Parts) », note le Proxy. L’AG qui se tient ce 29 avril, sera l’occasion pour les actionnaires individuels de joindre leurs voix à celle des investisseurs pour refuser le say on pay de Carlos Ghosn ( 8ème résolution de l’AG du 29 avril 2016). Car, en plus des montants très excessifs, l’alignement entre rémunération et performance n’est pas évident et la transparence toujours insuffisante.
7,3 millions € pour un mi-temps chez Renault et autant chez Nissan
En effet, Carlos Ghosn qui est aussi PDG de Nissan détenu à 43,4% par Renault, a perçu l’équivalent de 1035 milliards ¥ soit environ 8 M€ à ce titre. Un chiffre qui ne figurent pas dans le tableau du say on pay de la brochure de convocation à l’AG sur laquelle vont se prononcer les actionnaires.
« Cette dissimulation vise comme l’année dernière à obtenir des votes favorables de la part d’actionnaires individuels ou d’investisseurs institutionnels ou d’agences de conseil de vote qui ne prendraient pas le soin de lire intégralement le document de référence et se contenteraient de la brochure de convocation de l’assemblée générale. » fait remarquer Proxinvest. Pourquoi c’est important ? Parce que cela montre que la rémunération de plus de 7,3 millions € affichée au titre de Renault ( qui s’ajoute à celle de Nissan) ne correspond qu’à un temps partiel. Or, 7,3 millions €, c’est beaucoup pour un mi-temps !
Le manque de transparence sur les chiffres du bonus
Quelques reproches du proxy portent également sur la transparence: « si chacun des critères permettant l’attribution de son bonus est clairement défini, tout comme le poids individuel de ces derniers, Renault ne communique pas les objectifs chiffrés attendus permettant le déclenchement du versement du bonus » Ces critiques s’adressent aussi aux attributions d’actions, là encore, les objectifs attendus ne sont pas rendus public.
Des éléments manquants s’agissant de la communication de la retraite chapeau
Renault donne des détails sur la retraite chapeau du PDG, mais reste toutefois discret sur le montant de rente émanant de celle-ci, à laquelle Carlos Ghosn peut déjà prétendre. La société se mettrait donc en infraction, selon Proxinvest, puisque l’article L225-102-1 du code de commerce oblige à indiquer une estimation du montant des rentes qui seraient potentiellement versées si le départ était imminent. A moins que le plafond de 45 % soit d’ores et déjà atteint ce qui voudrait dire que Carlos Ghosn partirait avec une rente annuelle qui se chiffre en million(s) €.
Une rémunération fixe démesurée peu alignée avec l’intérêt des actionnaires
Au titre de l’exercice 2015 et pour Renault seulement, Carlos Ghosn a reçu un montant fixe de 1,23 millions €. En outre, « il semble au regard de l’historique que sa rémunération chez Nissan (8 millions €) soit en fait une rémunération fixe » note Proxinvest. Un tel niveau de rémunération fixe (8 M€ chez Nissan et 1,2 M€ chez Renault) pose un grave problème d’alignement entre rémunération et performance de Renault et Nissan puisque Carlos Ghosn bénéficiera de cette rémunération généreuse même en cas d’échec.
Enfin, Proxinvest a fixé des normes pour conseiller un vote favorable du Say on Pay. Le Proxy recommande pour la rémunération variable une récompense de 100% de la part fixe et un plafond de 150% en cas de dépassement de la performance visée. Pour Carlos Ghosn les chiffres sont respectivement de 150% et 180%. Par ailleurs, les critères qualitatifs laissent au conseil une bonne marge de manœuvre pour récompenser le PDG même si les critères financiers ne sont pas respectés. Pour Carlos Ghosn, les critères qualitatifs peu vérifiables comptent pour 40% du total ( Proxinvest recommande 20%).
Pour 2015, actions de performance et variable annuel différé promis au patron de Renault représentent la bagatelle de 5,5 M€ au total soit 449% du fixe (Proxinvest recommande de se limiter à 300 %).
Quant à l’indemnité de non concurrence, celle de Carlos Ghosn pourra atteindre deux années de rémunération (contre une seule recommandée par Proxinvest). Le régime de retraite supplémentaire ( qui n’est pas lié à la performance) est plafonné à 45% de la rémunération de référence du PDG, (30 % maximum semblent acceptables par Proxinvest).
Un conseil d’administration et un comité des rémunérations peu affecté par les mauvais scores du Say on Pay
« Les administrateurs de Renault manquent à leur devoir en n’expliquant pas chez Nissan le problème que crée une rémunération fixe très élevée. » estime Proxinvest. Et que vaut en effet, une gouvernance de Renault qui ne tient pas compte de la contestation des actionnaires sur le Say on Pay ?
Crédit photo : By BsBsBs (Own work) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons
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