AG : la loi change les règles de décompte des voix des actionnaires

C’est un changement de taille dans le décompte des voix dans les assemblées générales d’actionnaires, qui vient d’être discrètement adopté au Sénat, le 10 juillet dernier. En deuxième lecture, la proposition de loi  présentée par le sénateur de Mayotte, qui datait de 2014, a été définitivement adoptée. Les actionnaires sont concernés au premier chef par l’article 21 de cette loi dite de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés. Il s’appliquera aux AG portant sur des exercices clôturés après la promulgation de la loi.

Un mode de décompte des voix calqué sur l’Allemagne et le Royaume Uni

Les mesures adoptées changent la donne. Bien qu’il n’y soit pas contraint, le législateur aligne le comptage des voix dans les AG françaises sur celui des Sociétés Européennes (SE statut déjà adopté par Scor, Atos, Eurazeo etc…). Le mode de calcul sera ainsi le même qu’en Allemagne, au Royaume Uni et aux Pays Bas ( L’Italie et l’ Espagne, conservent l’ancien régime).

Jusqu’ici, dans les entreprises de droit français, les votes des actionnaires en AG sur les résolutions présentées et validées par le conseil d’administration ( ou de surveillance) étaient prises en compte de la façon suivante :

Décompte des voix avant la loi PACTE :

Score favorable : votes « pour » + votes « blancs »/( votes « pour »+ votes « contre » + »abstentions »+ « votes blancs »)

Score défavorable : (votes « contre » + abstentions)/( votes « pour »+ votes « contre » + abstentions + « votes blancs »)

Celui qui s’abstenait d’approuver une résolution en AG agissait donc de fait comme s’il s’y opposait. Celui qui votait blanc donnait de fait son pouvoir au conseil.

Ces dernières années, face à une contestation grandissante, le nombre de résolutions tangentes, c’est à dire sur le point d’être refusées, a eu tendance à augmenter. Les résolutions de contestation des rémunérations ( Say on Pay), de mesures anti-OPA ( Bons Breton par exemple) rencontrent aujourd’hui une vraie opposition des actionnaires minoritaires, dans un certain nombre de grandes entreprises cotées.

Une posture d’abstention qui semblait la meilleure option pour des investisseurs qui ne souhaitaient pas prendre partie et déplaire à la Direction, était considérée comme une opposition et risquait de faire capoter la résolution du conseil.

L’actionnaire qui s’abstiendra en AG, sera décompté comme s’il ne prenait pas part au vote

Invoquant l’attractivité de droit français (pour les émetteurs ?), le législateur a décidé de considérer que les abstentions, les votes blancs ou nuls ne seraient plus décomptés dans les suffrages exprimés. Désormais, les abstentions ne seront plus considérées comme des vote « contre » et le président du conseil d’administration ou de surveillance ne pourra plus s’approprier les votes blancs.

Le décompte des voix après la loi PACTE, se fera donc ainsi :

Score favorable =  Votes « pour »/ Votes « pour » + votes « contre »

Score défavorable = Votes « contre »/ Votes « pour » + votes « contre »

Le changement n’est pas anodin. Les investisseurs qui s’abstiendront pourront certes, justifier auprès de leurs clients qu’ils ont bien voté, mais leurs voix ne rentrera pas en ligne de compte. Au final, ce sera donc comme s’ils n’avaient pas pris part au vote de certaines résolutions tout en votant en AG !

La démocratie actionnariale fait-elle un pas en avant pour autant ? Certainement pas. Entre 2005 et 2018, les sociétés de gestion avaient été encouragées à exercer leurs droits de vote et l’Autorité des marchés financiers (AMF), avait adopté des textes incitant les gérants à devenir des actionnaires actifs et engagés, c’est à dire à participer au vote chez les émetteurs. Or, ce nouveau texte, fait faire un pas en arrière, puisqu’il met à leur disposition la possibilité de « participer au vote des résolutions mais sans s’engager ni pour ni contre  » !

Une faille à la disposition des activistes 

« La modification du décompte des voix, même si elle rend plus difficile l’expression de la contestation, peut présenter au final un certain attrait pour les activistes qui présenteraient des résolutions ou amenderaient des résolutions, pendant l’assemblée générale, en tablant sur l’effet de surprise » fait remarquer une société de conseil en vote aux investisseurs.

Pour comprendre, ce qui peut changer, il faut savoir que les investisseurs institutionnels votent la plupart du temps par correspondance. Or, dans le formulaire de vote par correspondance, figure un encart dans le quel il est inscrit :

Si des amendements ou des résolutions nouvelles étaient présentées en assemblée :

    • Je donne pouvoir au Président de l’assemblée générale
    • Je m’abstiens
    • Je donne procuration à ….pour voter en mon nom

Les investisseurs institutionnels détiennent en portefeuille les titres de dizaines, voire de centaines d’émetteurs et ne peuvent participer en personne aux AG. Ils se contentent de cocher la case « Je m’abstiens » et donnent rarement procuration à un tiers.

De ce fait, dans le décompte qui est encore en vigueur à ce jour, les votes des institutionnels ayant voté à distance et ayant coché la case « je m’abstiens » pour les résolutions présentées en cours d’AG, sont décomptés comme des votes « contre » et viennent s’opposer à la résolution activiste.

Des surprises ne sont pas exclues

Or, avec le nouveau décompte, leurs voix seront considérées comme « non exprimées ». Un actionnaire activiste qui proposerait en assemblée générale, l’inscription d’une résolution argumentée destituant un administrateur¹ ou un amendement sur une résolution relevant de l’AG pourrait obtenir ainsi plus de votes positifs puisque le vote d’abstention des institutionnels votant par correspondance, ne serait plus pris en compte.

Dans les entreprises où le capital est dispersé, et où le conseil réunit peu de pouvoirs dans sa main, il peut donc se glisser des surprises ! Voilà qui ouvre de nouvelles perspectives aux activistes qu’on a peu entendu se plaindre du nouveau texte !

Ici les articles du code du commerce corrigés pour tenir compte de la Loi Thani Mohamed Soilihi du 10 juillet 2019.

¹  Ce que chaque actionnaire peut faire à tout moment sous réserve d’un exposé des motifs argumenté, même s’il ne détient que quelques actions car les administrateurs sont révocables ad nutum