Vous avez dit « réforme de l’objet social » ?

Au deuxième semestre 2017, les syndicats de salariés ont étés consultés pendant des semaines sur la Loi travail , en octobre 2017, les investisseurs institutionnels avec au premier chef l’américain Blackrock ont été reçus  à Matignon puis à l’Elysée. En décembre, c’était le tour des partenaires sociaux, des organisations professionnelles, des régions, des groupes parlementaires, du Conseil économique, social et environnemental (Cese)… Tous ont donné leur avis sur le « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » et selon Bercy, près d’un millier de propositions ont été récoltées !

Les associations d’actionnaires individuels exclues de la consultation 

Alors que le gouvernement ambitionne de régler les problèmes « structurels de l’économie française » avec au premier chef,  le manque de fond propres des entreprises, pour financer leur recherche et leur innovation, à aucun moment, les représentants des petits porteurs n’ont eu leur mot à dire. On en oublierait presque qu’ils possèdent, 8,5 % du capital d’au moins 13 entreprises du CAC40, selon les derniers chiffres d’Euronext. Seule, l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) qui a abandonné depuis longtemps sa vocation en faveur de l’actionnariat individuel pour devenir un brillant centre d’expertise destiné aux activistes institutionnels, a été auditionnée.

La fin de la détention d’action en direct ?

Bercy veut-il adopter le modèle britannique et mettre fin à la détention d’actions en direct ou bien vise-t-il le modèle allemand qui laisse la gouvernance aux salariés ?  On peut sérieusement s’interroger sur les intentions du gouvernement qui sont pour l’instant nébuleuses.

Ce mépris à l’égard des quelques 3,7 millions de petits porteurs qui seront pourtant sollicités à l’occasion d’un prochain programme de privatisation « de fonds de tiroirs », n’a rien d’exceptionnel. Ne serait-il pas aussi à rapprocher du désintérêt  pour l’investissement en actions, manifesté année après année.

Les chiffres sont  éloquents : 7,2 millions d’actionnaires individuels en direct en 2003, 6,5 millions en 2008, 4,1 millions en 2010, 3 millions en 2016 et semble-t-il un très léger redressement à confirmer en 2017 à 3,7 millions grâce aux programmes d’actions gratuites pour les salariés. « On a l’impression d’être dans un avion en train de s’écraser tandis que le pilote enfermé dans la cabine, est incapable d’expliquer ce qu’il compte faire » explique un cadre de banque qui note que depuis dix ans le nombre de Plans d’épargne en actions (PEA) pique lui aussi du nez, passant de 7 millions en 2007 à 4 millions en 2017 malgré la création du nouveau PEA PME.

A quoi s’attendre avec le projet de loi PACTE ? 

On est sûr d’une chose : le projet de loi PACTE  lancera le nouveau programme de privatisation et prendra quelques mesures en faveur de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale. On s’attend  à un allègement du forfait social ( « charges sociales » liées au versement de la participation et de l’intéressement) ou une réduction des contributions spécifiques de l’employeur au titre des programmes d’actions gratuites ou de stocks-options.

Mais ce qui flotte dans l’air, est plus sérieux. Et si l’actionnaire n’est pas consulté c’est probablement pour éviter qu’il sorte de sa torpeur.Petit à petit, la gouvernance de l’entreprise, la capacité de nommer ses représentants au conseil afin de choisir les orientation de la société dans laquelle il a investi, risque de lui échapper. Le projet de réforme de l’objet social des entreprises met la France en piste pour l’instauration d’une gouvernance d’entreprise dite à l’allemande.

Esquissé en décembre par Nicolas Hulot mollement soutenu par Bruno Lemaire, ce projet de réforme de « l’objet social étendu » a été balayé d’un revers de main par le Medef,  mais on aurait tort de prendre l’affaire à la légère. Ce n’est pas la première  fois que la réforme de  l’article 1833 du code civil, rencontre l’attention du Président de la République Emmanuel Macron. En 2014, elle figurait déjà dans la première version du projet de loi pour la croissance et l’activité (dite loi Macron) avant d’ être abandonnée.

Une proposition de « loi entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » passée pratiquement inaperçue

Que l’idée prospère, et la « mission » de l’entreprise pourrait à l’avenir dépasser sa seule vision capitaliste. Le partage des profits entre les actionnaires et les autres parties prenantes, pourrait  évoluer  tandis que l’entreprise se verrait attribuer de nouvelles missions incluant la défense de l’emploi et de l’environnement. Et la moindre des choses serait de demander aux actionnaires quelle est leur position à ce sujet.

Ce concept ne date pas d’hier. Il est bâti sur les idées développées depuis 2009 par deux chercheurs de Mines ParisTech,  Blanche Segrestin et Armand Hatchuel dont la pensée s’est épanouie au sein du Collège des Bernardins soutien et promoteur de leurs travaux   avec l’appui de dirigeants comme Antoine Frérot, le PDG de Veolia ou encore Emmanuel Faber, PDG  de Danone.

Dans le sillage de cette recherche, en janvier dernier,  une proposition de loi présentée comme une sorte  de refondation du « droit de l’entreprise » matinée de RSE (1) a vu le jour . La  CFDT , de la partie, l’a portée avec l’aide du trio de députés de la nouvelle gauche Olivier Faure, Dominique Potier et Boris Vallaud sur le bureau de la commission des Lois.  Il s’agit du même trio qui avait réussi à faire passer de justesse la loi  sur le devoir de vigilance des multinationales adoptée juste avant les élections présidentielles.

La proposition de « loi entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » souhaite obtenir de l’entreprise et de ses actionnaires qu’ils cessent de pomper la trésorerie via les dividendes et  laissent suffisamment de ressources à l’entreprise pour financer la R&D et l’innovation, sans avoir à faire de plan social puisque que dans l’esprit qui prévaut le salarié n’est plus considéré comme une charge mais comme un actif. Une idée qui ne manque pas d’intérêt mais dont les conséquences méritent d’être creusées. 

Sorti  par la porte en janvier, le projet de loi pourrait bien tenter de revenir par la fenêtre à la première occasion. Voici les principaux thèmes qui y sont développés ainsi que la video de la  discussion du texte en commission des Lois présenté par son rapporteur Dominique Potier.

  • Modifier  l’article L. 1833 du code civil qui dit que  » Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés  » et le compléter par une phrase ainsi rédigée : « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité ». A noter que ce n’est pas très éloigné de la première proposition du projet de loi Macron de 2014 qui prévoyait déjà à l’époque de compléter de l’article 1833  en ajoutant  ‘’Elle ( l’entreprise) doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental’’.
  • Créer  un nouveau type de société à objet social étendu ( risques s/emploi, risques s/environnement etc…) disposant d’un comité de l’objet social étendu, et susceptible de dénoncer des violations par les dirigeants de l’objet social étendu.
  • Modifier la composition du conseil d’administration pour inclure un tiers de salariés au conseil, et à terme 50 % comme en Allemagne avec une voix prépondérante.
  • Instaurer des droits de vote triples pour ceux des actionnaires qui détiennent leurs actions depuis plus de 5 ans
  • Autoriser les syndicats à demander un rescrit social en cas de plan de départ.
  • Elargir la participation des salariés aux PME de plus de 10 salariés et étudier d’autres formes de rémunération des salariés des grandes entreprises par prélèvement sur les bénéfices.
  • Exiger la transparence fiscale totale pour les grandes entreprises afin qu’elles ne dissimulent pas la part des bénéfices qui revient aux salariés
  • Commander un rapport pour fixer un plafond de rémunérations des dirigeants qui pourrait s’établir à 20 fois le salaire minimum  de l’entreprise, par exemple.
  • Commander un autre rapport en vue de la création d’une notation officielle extra-financière de l’entreprise sur des critères ESG, et mettre ainsi en place des normes de bonne gouvernance extra-financière.

Au final on trouve  dans ce projet, la panoplie permettant au salarié de partager la direction de l’entreprise sur  le modèle allemand. Ce n’est peut-être pas pour tout de suite mais il semble bien que l’idée fasse son chemin, même si les juristes sont vent debout.

( 1) Le « droit de l’entreprise » n’existe pas en tant que tel.

0 0 vote
Article Rating
1 Commentaire
plus récents
plus anciens plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Mozart
6 années plus tôt

Puis-je signaler un autre très bon article de Philippe Plassart à ce sujet dans le Nouvel économiste.
https://www.lenouveleconomiste.fr/boite-de-pandore-62225/
Vous remarquerez que des juristes comme l’excellent Dominique Schmidt ne croient pas que ce projet puisse aboutir, ce qui parait assez évident. Vos lecteurs peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles. Tout au plus, le législateur laissera-t-il probablement prospérer la piste de « l’entreprise de mission »