Un an après l’entrée au conseil d’administration de Jean-Pierre Clamadieu, nommé Président en mai dernier, la gouvernance d’Engie va être chamboulée. Pour l’ex-patron de Solvay qui a quitté ses fonctions en février chez le chimiste, il s’agit d’un remodelage du conseil, qui doit permettre « un fonctionnement plus resserré » des organes de gouvernance « tout en maintenant les objectifs en termes d’indépendance et de diversité des profils » ce qui ne saute pas aux yeux !
Ici le communiqué d'Engie publié le 13 mars
En octobre dernier, les actionnaires s’attendaient plutôt au remplacement de 10 des 19 administrateurs du conseil. Le remue-ménage qui s’opèrera en mai 2019, au moment de l’assemblée générale, devrait acter le départ de 5 membres seulement, qui ne seront pas remplacés. Le conseil d’Engie ne comptera plus que 14 administrateurs au lieu de 19, et 3 véritablement indépendants, avec moins d’administratrices et moins de diversité. Curieuse évolution qui marque plutôt un retour en arrière.
Cinq administrateurs abandonnent donc leur siège en fin de mandat tandis que quatre sont renouvelés. Alors que l’Etat a dans ses cartons la cession d’environ 10 % du capital d’ Engie, sur les 23,6 % qu’il détient, le prochain conseil ne brillera pas par son indépendance, outre les deux commissaires du gouvernement qui assistent au conseil, les administrateurs nommés ou désignés par l’Etat ou proches de lui, se partageront 7 des 14 sièges aux côtés des quatre administrateurs représentants des salariés ou des actionnaires salariés.
Le comité d’Ethique décapité
Au lieu de cinq auparavant, trois nationalités seront ainsi représentées au conseil du fait du départ des deux administratrices suisse et allemande. En même temps, le comité pour l’Ethique, l’environnement et le développement durable sera décapité. En mars 2017, ce comité s’était déjà vu retiré ses prérogatives sur la gouvernance, alors confiées au comité des nominations et des rémunérations présidé par Françoise Malrieu. L’administratrice indépendante allemande, Ann-Kristin Achleitner présidente du comité Ethique, n’aurait pas sollicité son renouvellement alors que son mandat se termine en 2019. Au board de plusieurs grandes sociétés, Ann-Kristin Achleitner est professeur associé en Finance et membre de la commission gouvernementale sur le Code allemand de gouvernement d’entreprise.
Retrouvez ici l'avis de réunion de l'AG du 17 mai publié au Balo
Quant à la suissesse Barbara Kux, qui siégeait également au comité d’Ethique, elle sortira, elle aussi du conseil. Elle présente pourtant une longue expérience d’administratrice de grandes sociétés, et enseigne à l’Insead comme « Director for corporate governance ».
Le départ de ces deux spécialistes de la gouvernance des grands groupes internationaux fera passer le nombre de femmes au conseil d’Engie de 8 à 5 tout en conservant une proportion d’administratrices supérieure à 40 % ( hors représentants des salariés parmi lesquels, on ne compte aucune femme).
L’Etat envisage de descendre au capital mais renforce sa main mise sur le conseil
A côté de ces départs, d’autres poids lourds quittent le conseil du fournisseur d’électricité décarbonnée et de gaz naturel. Aldo Cardoso, ex-président d’Andersen en poste depuis 15 ans, Edmond Alphandery, ex-ministre, ex-patron d’EDF et ex-Président de CNP Assurances, ainsi que Catherine Guillouard, présidente de la RATP, abandonnent leur siège après le départ déjà enregistré en mai dernier de Stéphane Pallez, présidente de la Française des jeux. Ces deux dernières administratrices représentaient l’Etat, elles ne sont pas remplacées. Avec ces trois départs, le comité de la Stratégie, des investissement et de la technologie, est privé de trois de ses membres et hormis un salarié, il ne comporte plus qu’une spécialiste du secteur de l’énergie, la canadienne Marie-Josée Nadeau qui préside également le comité d’Audit.
Côté indépendance du conseil, post-AG 2019, si les renouvellements sont votés, sans nouvelle nomination d’administrateur indépendant, le taux d’indépendance du conseil sera aux alentours de 30-40 %, en tenant compte des liens qui existent entre certains administrateurs qu’Engie qualifie d’indépendants, et l’Etat.
Avant/Après AG 2019 : tableau de la composition du conseil d'ENGIE
L’étiquette d’indépendance vis à vis de l’Etat-actionnaire, accolée par Engie, à Ross Mac Inness et Fabrice Brégier, suscite, en effet, des interrogations. Le premier est président de Safran, société dont l’Etat détient 22 % des droits de vote. Le second Fabrice Brégier a fait sa carrière dans le giron de l’Etat. Il y a un an, il quittait la direction générale d’Airbus société dont l’Etat français détient 11 % aux côtés de l’Allemagne et de l’Espagne. Fabrice Brégier était alors, le candidat préféré du gouvernement pour prendre la présidence d’Engie, finalement confiée à Jean-Pierre Clamadieu. De son côté, celui-ci entrait en 2018, au conseil d’administration d’Airbus. Fabrice Brégier a depuis pris les commandes de la filiale française de l’américain Palantir, leader du big data et des solutions de sécurité, qui fournit les services secrets de nombreux Etats dans le monde.
Plus que trois indépendants au conseil
Il restera donc comme « indépendants » méritant l’étiquette jusqu’à nouvel ordre :
- la présidente du comité des nominations, rémunération et de la gouvernance d’Engie, Françoise Malrieu, ancienne de Lazard Frères et de Deutsche Bank France, d’Aforge Finance, elle est aministratrice de La Poste, de Lazard Frères Banque (France), membre du Conseil de Surveillance de Bayard Presse SA (France), membre du Conseil de Surveillance d’Oberthur Technologies (France)
- la canadienne présidente du comité d’audit, Marie-José Nadeau, présidente honoraire du Conseil mondial de l’énergie, administrateur de Metro Inc., de l’Orchestre Symphonique de Montréal (Canada), et administratrice de l’Advisory Council d’Electric Power Research Institute (États-Unis).
- le diplomate britannique à la retraite, Lord Ricketts of Shortlands, membre du comité des nominations et des rémunérations d’Engie, il fut ambassadeur de la Grande Bretagne en France et à Monaco, de 2012 à janvier 2016.
Patron, connu pour sa discrétion, sa détermination et son profil politique qui lui ont permis de redresser la filiale de Rhône Poulenc, en passant au travers des gouttes de « l’affaire Rhodia » ponctuée de scandales financiers et environnementaux, Jean-Pierre Clamadieu ne se contente pas d’un poste de président effacé chez Engie. Une vraie tactique d’encerclement de la directrice générale Isabelle Kocher à laquelle, il se serait opposé ces derniers mois, expliquerait qu’il intervienne pour changer non seulement le conseil mais aussi le comité exécutif, ce qui ne relève pas de ses attributions.
Chez Engie, les actionnaires ont subit une chute de l’action d’environ 30 % en 5 ans, alors que le CAC a gagné 25 %, et l’heure ne devrait pas être aux luttes intestines. La direction générale qui inscrit sa stratégie dans le très long terme, a besoin de sérénité et les considérations politiques ne devraient pas venir perturber sa mise en oeuvre, qu’il s’agisse des intérêts de l’Etat belge ou de l’Etat français.
Or, pour mettre en oeuvre la privatisation, de gros chantiers attendent le groupe. Dans un article intitulé du 12 mars intitulé « Engie : l’Etat poursuit son désengagement » , les journalistes de Libération évoquent une nécessaire réorganisation d’Engie préalable à la privatisation, à l’instar de ce qui serait prévu chez EDF. « Le nouveau plan stratégique présenté le 28 février par la directrice générale, Isabelle Kocher, pour «spécialiser, accélérer et simplifier le groupe» semble de fait calibré pour préparer le terrain à une scission entre activités régulées par l’Etat et nouveaux business promis aux investisseurs. Au programme, un énième plan d’économies de 800 millions d’euros et pour 6 milliards d’euros de cessions après les 15 milliards € d’actifs déjà vendus ces dernières années » peut-on lire.