OPA sur Euromedis : encore une opération au rabais ?

C’est encore la saison des soldes, est-ce une raison pour proposer des OPA au rabais ? Nina filiale de GST Investissements, actionnaire d’Euromedis entré au capital en 2014 autour de 8 €, offre depuis le 19 janvier 2017, 7,01 € par action Euromedis soit 28 % de moins que la valeur d’actif net du fabricant et distributeur de matériel médical. Bien que toujours bénéficiaire, cette société a connu une baisse de forme au cours de son dernier exercice (2015/2016).  Nina passant le seuil des 30 % des droits de vote d’Euromedis à l’occasion de l’attribution de droits de vote double, a profité de l’occasion pour faire main basse sur la société, encore détenue à plus de 30% par la famille Roturier. Cette dernière va au passage se délester de 100 000 actions Euromedis (3,3 % du capital) en acceptant de perdre la majorité au conseil. Nina et les Roturiers étant d’accord à priori sur le deal, toute contre-offre avec une surenchère est exclue et les autres actionnaires (33 % dans le public) devront se contenter de 7,01 €/action.

En position de force, Nina qui s’est découvert une vocation pour le secteur de la santé, a prévenu qu’il n’y aurait pas de porte sortie aux actionnaires s’ils n’acceptent pas sa proposition à 7,01 €. Aucune offre publique de retrait n’est prévue dans les trois mois de la clôture de l’offre. L’acquéreur estime que son prix donne aux actionnaires une occasion de sortir, s’ils estiment la liquidité de l’action Euromedis insuffisante.

Toutefois, les petits porteurs qui ont jusqu’au 17 mars, selon le calendrier indicatif, pour se décider ne sont pas tous certains de vouloir apporter leurs titres. Et si Nina veut vraiment se débarrasser des minoritaires, il faudrait qu’elle propose un prix correct. Or, c’est là que le bas blesse, dans le cas d’Euromedis,  à la lecture du rapport de l’expert dit indépendant, la prime réelle est ridicule et l’acheteur a fixé son prix bien en dessous de la valeur comptable de la société dont il compte pourtant redresser la rentabilité.

Une expertise indépendante bien pessimiste

Euromedis n’est pas un canard boiteux : la société verse régulièrement un dividende, ses capitaux propres sont de 29 millions €, elle est raisonnablement endettée (8 millions € de dettes financières), son Ebitda s’élevait à 3 millions pour l’exercice clôturé le 31 juillet dernier malgré une 
activité « distribution » déficitaire depuis 8 ans. Sa rentabilité du capital investi est faible mais les performances doivent s’améliorer d’ici 2018 avec un programme d’acquisitions. Euromedis est partie pour faire de la croissance : son chiffre d’affaires de l’ordre de 74 millions € doit grimper à 100 millions à horizon 2017/2018.

Paper Audit & Conseil a validé le prix d’OPA sur Euromedis. Mais les travaux du cabinet Paper Audit & Conseil, sont décevants, ce qui n’a pas empêché  l’AMF de donner son avis de conformité sans contester. Il faut savoir, en effet, qu’à partir du moment où l’expert a « fait le job » et présenté une analyse multicritères, il n’est pas dans les prérogatives de l’autorité de s’assurer que l’analyse sur le prix est juste et qu’elle inclut une vraie prime de contrôle, ce qui compte c’est qu’elle soit étayée.

La référence au cours de Bourse sujette à caution

Dans le cas d’Euromedis, l’expertise est tirée par les cheveux. Le prix de 7,01 €, offre une prime de 22 % par rapport au cours du 6 décembre, ce qui devrait déjà suffire à contenter les actionnaires. Encore faut-il relativiser : une semaine avant le 6 décembre, l’action a connu un gros trou d’air qui a permis de communiquer sur une prime d’autant plus alléchante. Elle l’est moins si on compare le prix d’OPA au cours du 28 novembre de 6,06 € relativement stable depuis mars 2016. Dans ce cas, la prime est d’un peu moins de 16 %. Ensuite,  depuis 28 novembre les indices se sont redressés, ce que ne reflète pas le prix d’OPA. L’indice CACPME a gagné plus de 8 % et le cours de Bastide Le confort ( société citée dans les comparables) a même pris 20%.

La méthode des comparables boursiers éliminée

Le cabinet analyse, a pris  d’autres critères pour juger de l’équité du prix de 7,01 €. Il a retenu l’approche par actualisation des flux futurs de trésorerie qui fait ressortir une valeur de l’action de 4,82 à 8,52 € et il se réfère à une valeur centrale de 6,44€.

Il ne retient pas  la méthode des comparables boursiers ( moyenne année 2016 et estimations 2017), selon laquelle, le prix ressortait plutôt entre 7,26 €/action ( multiples d’Ebit) et 8,19 € ( multiples d’Ebitda). C’est  ennuyeux, d’autant qu’avec cette méthode, si l’on se référait aux estimations de la seule année 2016/2017, l’action vaudrait même 9,96 € ( multiple d’Ebitda) à 10,40 € (multiples d’Ebit). Ce calcul qui aurait rendu difficile l’attestation d’équité, n’a donc pas été pris en compte, au motif que les sociétés comparées ne seraient pas vraiment comparables…

Un actif net comptable de 9,71 € par action balayé 

L’expert rejette aussi  le prix de 9,71 €/action au 31 juillet 2016, qui correspond à la valorisation de l’action basée sur son actif net comptable. Il avance l’argument suivant : « ce prix ne valorise pas les performances futures ». Autrement dit la capacité d’Euromedis à « détruire de la valeur » n’est pas prise en compte. Faut-il en rire ? Nina lance donc une OPA sur une société qui détruit de la valeur et le business plan n’est pas censé corriger cela ! La ficelle est un peu grosse !

Sans doute un peu à court d’arguments, pour expliquer que le prix offert de 7,01 € est fairplay, le cabinet se réfère à « l’objectif de cours des analystes » ou plutôt à l’objectif de cours de l’unique analyste Gilbert Dupont de 7 € datant du 25 novembre 2016. Lequel Gilbert Dupont, seul cabinet d’analyse à suivre la valeur, s’est empressé d’ailleurs dès le 8 décembre de recommander d’apporter les titres Euromedis à l’offre de Nina.

Pas de gendarme pour les experts indépendants

Conclusion de l’expert : à 7,01 €, le prix est équitable. Les arguments sont bien faibles et ce n’est pas l’avis de tous les actionnaires,  qui craignent cependant, s’ils n’apportent pas, de se retrouver avec une action privée de liquidité, et dont le cours risque de s’effondrer.

Ce nouveau cas d’OPA au rabais amène à se poser une question récurrente. Pourquoi l’autorité des marchés financiers, si pointilleuse sur la forme, ne se donne -t-elle pas les moyens de porter un jugement sur le fond, c’est à dire sur la qualité des évaluations fournies par les experts indépendants. Ceux-ci interviennent après que les opérations aient été annoncées et que les prix d’offre aient été validés par les banques d’affaires ( l’autre analyste Portzampac en l’occurence). Difficile pour l’évaluateur de donner une opinion négative sur le prix. Et ça l’est d’autant plus, que son expertise est commandée et payée par la cible qui s’est déjà mise d’accord avec l’acquéreur et que personne ne passe derrière l’expert pour remettre en question son travail.

Si elle veut réellement protéger les actionnaires, l’AMF devrait revoir son processus de délivrance des avis de conformité (visa) pour les OPA. A minima, si ses équipes n’en sont pas capables, l’autorité devrait confier à un comité d’experts, suffisamment indépendants et rémunérés pour ce travail, un vrai travail d’analyse critique des attestations d’équité, dont elle tiendrait compte. Les experts indépendants seraient ainsi fondés à se montrer plus exigeants vis à vis des sociétés qui font appel à eux. Et in fine, les banquiers d’affaires qui font la plus et le beau temps sur les prix, en se rangeant du coté des acquéreurs, cesseraient peut-être de présenter des OPA, OPE ou OPRO au rabais sur des cibles affaiblies.

A lire également

La synthèse des évaluations du cabinet Paper Audit & Conseil

Le calendrier de l’offre sur Euromedis

 

NB : L’auteur est actionnaire d’Euromedis. Les documents reçus de notre intermédiaire sont incomplets. Ils indiquent que la fin de l’OPA est le 22/2/17 et ne mentionnent pas que l’offre sera réouverte, ce qui figure dans les documents de l’opération ( jusqu’au 17 mars 2017).