Les entourloupes médiatiques de Michel Combes chez Alcatel

Le rapport Afep-Medef fixant les règles de rémunération des patrons de grandes sociétés est une mascarade et le « Haut comité de gouvernance » du Medef veillant à une saine auto-régulation des hauts dirigeants relève davantage de l’imposture.

Les conditions de départ insensées accordées au patron d’Alcatel-Lucent démontrent une nouvelle foi l’incapacité du patronat des grandes entreprises, à faire régner l’autorégulation qu’il revendique pour moraliser les rémunérations excessives. Michel Combes, DG qui vient de quitter Alcatel-Lucent, ne se contente pas d’abandonner ses équipes avant l’épilogue de sa fusion avec Nokia, il multiplie les entourloupes médiatiques pour faire croire que l’octroi de ses rémunérations n’ont rien d’extraordinaire. Ses propos en disent long sur la déontologie de ce haut-dirigeant, aussitôt nommé à la tête de l’opérateur Numericable.

Pour justifier le pactole qu’il a obtenu en quittant le groupe, l’ex-DG met en avant le redressement d’Alcatel-Lucent (décapée en supprimant au moins 10 000 emplois) et le sursaut de son cours d’Alcatel-Lucent (toujours en recul de 68% sur dix ans malgré un rebond d’environ 200% environ depuis son arrivée en avril 2013). La « création de valeur » est devenue un prétexte pour les patrons qui se remplissent les poches, comme le soulignait cet été Andy Haldane, l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre qu’on ne peut soupçonner d’anti-libéralisme. Et les petits porteurs en semblent bien plus conscients que les gros investisseurs qui s’entendent pour partager le magot.

Il n’y a  plus de limite aux gratifications hypertrophiées que les grands patrons s’octroient entre eux. En juin, nous avions calculé que Michel Combes allait quitter le groupe avec 13 millions d’euros d’émoluments divers (relire notre article du 15 juin mis à jour). Mais, en juillet, le DG a obtenu une nouvelle rallonge sous forme d’indemnité de non-concurrence, soit 4,5 millions € de plus. Compte tenu de la rechute des actions Alcatel-Lucent, il emporte avec lui une promesse de 16 millions €.

Philippe Camus, qui le remplace à la tête d’Alcatel-Lucent et Jean Cyril Spinetta devenu administrateur référent, ne se sont pas opposés à cette nouvelle bravade. Ces deux ex-patrons qui ont assuré des présidences chez  Airbus, Air France et Areva,  s’offrent ainsi une fin de carrière qui déshonore la fonction de président et d’administrateur.

Comme Philippe Varin en 2013, parti de chez PSA avec une retraite chapeau à laquelle il avait prétendu renoncer, Michel Combes a multiplié les entourloupes médiatiques pour essayer de justifier la somme attribuée, exorbitante au regard des 26 mois passés chez Alcatel.  minoritaires.com a suivi ses mensonges à la trace, relayés par les médias.

Le bobard à BFM Business sur le parachute doré 

Le 22 avril 2015, Hedwige Chevrillon, rédacteur en chef du Grand Journal de BFM Business, interroge le patron de l’équipementier français sur la chaîne d’informations financières.  Celui-ci affirme qu’il renonce à son « parachute doré » en même temps qu’il reconnait qu’il n’y a pas droit. L’indemnité de départ prévue dans son contrat était de 2,4 millions € mais les conditions de performance ne sont pas réunies.

Mais Michel Combes joue sur les mots puisqu’il se fait en même temps attribuer un avantage trois fois plus important, même en cas de départ. Le DG d’Alcatel-Lucent se garde bien de mentionner, ce 22 avril, qu’il a obtenu huit jours plus tôt de son conseil d’administration, le 14 avril 2015, le maintien de ses primes à long terme, même s’il quitte l’entreprise rapidement, contrairement à ce que prévoyait le contrat initial.

Le patron d’Alcatel-Lucent et ses juristes ont donc inventé une nouvelle manière de contourner l’absence de prime de départ pour non réalisation des performances. Car cette gratification est bien ce qu’on appelle un parachute doré. Michel Combes a déjà en tête son prochain départ d’Alcatel-Lucent lorsqu’il présente le rapprochement avec Nokia à l’Elysée le 14 avril, aussitôt adoubé par Emmanuel Macron à Bercy.

Ces primes à long terme, évaluées à plus de 8 millions € au cours actuel (autour de 3€), seront versées en actions en 2016, 2017 et 2018, après le départ du DG. Un détail utile puisqu’il permettra à Michel Combes d’encaisser le jackpot sans rien faire de plus, dans l’hypothèse où le cours de l’action Nokia s’envole après son rachat d’Alcatel-Lucent !

La décision du conseil d’administration d’Alcatel-Lucent dont nous publions un extrait, date du 14 avril 2015.  En voici le détail ci-dessous :

« Le conseil d’administration a décidé l’attribution à M. Michel Combes de 1 300 000 unités de performance lors de sa réunion du 7 mars 2013 et de 700 000 Unités de performance lors de sa réunion du 19 mars 2014 et de 685 000 Unités de performance lors de sa réunion du 13 mars 2015, dont l’acquisition au terme d’une période de 3 ans, est soumise à une condition de présence comme directeur général jusqu’à la fin de la période d’acquisition de 3 ans et à la réalisation des critères de performance applicables sur la totalité des attributions… ».  A noter que les critères de performance sont relatifs au Plan Shift  c’est à dire au licenciements par milliers, au désendettement et aux cessions. « … Le conseil d’administration après avoir pris en compte les circonstance nouvelles ( NDLR : acceptation de l’OPE de  avec Nokia)… a décidé en ce qui concerne les plans d’Unités de Performance dont bénéficie M. Michel Combes, que la condition de présence est supprimée et ses droits sont définitivement acquis … Le conseil d’administration a décidé que M. Michel Combes ne recevra aucune somme en espèces au titre des Unités de performance de la société. Elles donneront droit à un paiement en actions selon le ratio 1 action Alcatel Lucent pour 1 unité de performance ».

Le mensonge aux Echos sur la transparence de l’information

Expert en contrevérités, le DG sortant d’Alcatel-Lucent récidive dans un entretien au journal Les Echos paru le 1er septembre 2015. En voici un extrait toujours au sujet des « Unités de performance » décrites ci-dessus :

Fabienne Schmitt et Romain Gueugneau, journalistes au quotidien Les Echos, interrogent Michel Combes dans un interview publié le 1er septembre 2015 à la suite de la parution de l’article du JDD : « Vous ne deviez pas toucher ces actions ( NDLR :Unités de performances), mais les règles ont été changées pour que cela soit finalement possible… »

La réponse de Michel Combes dont nous publions un extrait est la suivante : « Tout ce qui concerne les éléments de ma rémunération a été rendu public dès le premier jour… Les règles ont été modifiées en avril pour tous les collaborateurs, pas seulement pour moi… Tous ces éléments de rémunération ont été rendus publics en mai et présentés à l’assemblée générale des actionnaires. Il y a donc eu une transparence absolue. »

Michel Combes n’hésite pas à énoncer une double contrevérité. Non, la transparence n’est pas au rendez-vous. Comme il l’avoue lui même, les dates de publication des informations ont été décalées. En effet, la décision reproduite ci-dessus, qui montre que Michel Combes s’est fait attribuer un avantage substantiel lié à son départ, date du  14 avril 2015 et il a fallu attendre un mois, soit le 13 mai 2015 pour qu’elle soit rendue publique. On est loin du « premier jour » évoqué. Alcatel-Lucent l’a ensuite publiée discrètement sur le site de la société peu avant l’AG du 26 mai 2015, mais sans que tous les actionnaires soient précisément informés. Où est donc la transparence en question ?

L’entourloupe concernant l’information aux actionnaires

La modification de certains éléments de rémunération a bien été présentée à l’Assemblée Générale des actionnaires qui se tenait le 26 mai au Palais des Congrès de Paris. Le Président du comité de rémunération, Jean Cyril Spinetta a commenté deux diapos à ce sujet.  Encore fallait-il pouvoir assister à cette AG pour en être informé, car rien ne figurait dans le dossier ou les documents destinés aux actionnaires votant par correspondance. Ni la brochure de convocation à l’AG 2015, ni le document de référence d’Alcatel-Lucent ne font état de la décision du conseil du 14 avril et du fameux ersatz de parachute doré.

Concernant l’attribution d’une indemnité de 4,5 millions € liée à la clause de non concurrence, c’est carrément le grand secret ! Elle n’est évoquée ni dans les documents remis aux actionnaires, ni en AG. Décidée le mercredi 29 juillet, elle ne sera rendue publique que le lundi 3 août 2015.

Il faut dire que les dirigeants d’Alcatel ne sont plus à une contradiction près. Car cette indemnité pour non concurrence tombant comme un cheveu sur la soupe est en totale contradiction avec leur baratin aux actionnaires deux mois plus tôt. Les documents remis le 26 mai 2015, et sur lesquels l’AG a voté le « say on pay », la prétendue transparence des rémunérations, mentionnent clairement que « M. Michel Combes ne bénéficie d’aucune indemnité de non concurrence ». Il se prépare juste à s’en faire tailler une sur mesure mais ne le dira pas. Quel échec pour ce fameux say on pay, promesse creuse de transparence des rémunérations de hauts dirigeants au service d’une autorégulation patronale douteuse !

Nous publions ci-dessous les extraits du say on pay de l’ex-DG d’Alcatel-Lucent :

AG-2015-Alcatel-say-on-pay-vote

Si la loi n’interdit pas la désinformation des médias (et nous le regrettons), la réglementation financière interdit en revanche la diffusion de fausses informations, et impose au contraire une communication exacte et rapide de toutes les informations importantes pour une entreprise ou susceptibles d’influencer son cours. En ce sens, la justice a été saisie dès le 1er septembre par un actionnaire d’Alcatel-Lucent s’estimant lésé par les mensonges de son ex-DG, tandis que l’Autorité des marchés financiers annonçait de son côté ouvrir une enquête après un signalement de Proxinvest.

0 0 vote
Article Rating
1 Commentaire
plus récents
plus anciens plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Cazimajou
8 années plus tôt

Très belle analyse, mais que reste-t-il de la plainte de l’actionnaire et de l’enquête de l’AMF.