« Very bad trip » pour Natixis dans la tourmente judiciaire et réglementaire

« No free lunch » ce célèbre aphorisme¹ signifie que rien n’est gratuit, que tout se paie un jour ou l’autre. Pour Natixis c’est ce qui risque de se passer si la culpabilité est bien prouvée dans au moins deux des affaires pendantes où la banque est mise en cause. Une juge d’instruction a renvoyé la banque en correctionnel suite à une plainte de 2009 déposée par l’Adam, pour laquelle 900 actionnaires de Natixis s’étaient portés partie civile. Quant à l’AMF, elle enquête chez Natixis sur des faits datant de novembre 2018, qui avaient fait, l’objet d’un article dans minoritaires.com en mars dernier.

Natixis renvoyée en correctionnel dix ans après la plainte déposée par l’Adam avec 900 actionnaires parties civiles 

Que ce soit à l’AMF, ou au parquet financier, les affaires qui concernent les grands établissements bancaires ont tendance à s’enliser et le risque que les preuves se soient évanouies dans la nature est grand. Mais il en aurait fallu davantage pour décourager Colette Neuville, la présidente de l’ADAM.

En décembre 2015, minoritaires.com faisait un point sur la suspicion de malversation boursière imputable à Natixis dans les années 2006-2009, après la perte de milliards € par des centaines de milliers de petits porteurs incités en 2006, à acheter des actions Natixis à l’occasion du placement de 5 milliards € d’actions Natixis détenues par les Caisses d’Epargne et les Banques Populaires.

La procédure était en panne et Colette Neuville qui avait regroupé pas moins de 900 actionnaires, était pessimiste en 2015 sur son issue étant donnée la valse des juges d’instruction. La dernière en date, Me Cécile Meyer Fabre, a enfin clos l’instruction en début d’année. Elle n’a pas retenu tous les griefs mais il y aura bien un procès dans les prochains mois.

A relire : Arnaque Natixis : le procès aura-t-il lieu ?

Malgré le refus de la nomination d’un expert demandé par Colette Neuville, le dossier n’a donc pas été complètement enterré. En mars dernier, l’Adam a adressé à chacune des parties civiles un courrier pour annoncer aux 900 actionnaires de Natixis concernés, que suite à la plainte déposée il y a plus de 10 ans, le Parquet avait requis le renvoi de Natixis devant le tribunal correctionnel. La banque doit y être jugée pour avoir « répandu dans le public, par des voies et moyens quelconques, des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives et la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé », ceci, à l’occasion des comptes de Natixis au 30 septembre 2007. Ce procès qui porte sur le comportement comptable des banques en pleine crise des subprimes, devrait avoir un caractère exemplaire.

C’est en tout cas ce qui s’est passé au Bénélux : en août 2019, quelques 290 000 actionnaires de l’ex-assureur Fortis, rebaptisé Ageas, avaient présenté un dossier, via Deminor notamment, pour être indemnisés à hauteur de 1,3 milliard € suite à une « action collective transigée » aux Pays Bas, sur le grief d’une « communication financière » trompeuse au moment de la crise des subprimes.

En France, dans son ordonnance, rendue le 26 juin 2019, la juge d’instruction Me Cécile Meyer Fabre, a  suivi le réquisitoire du Parquet en renvoyant Natixis en correctionnel. De son côté Colette Neuville et les avocats de la partie civile proposent aux plaignants de demander une indemnisation pour le préjudice subi, de 300 euros par partie civile auxquels s’ajouteraient 6 € par action Natixis. Un actionnaire ayant détenu 100 actions au 30 septembre 2019, pourra espérer compenser ses pertes à hauteur de 900 € si le procès est gagné. On pourrait espèrer que, comme pour Ageas tous les actionnaires de Natixis qui détenaient des actions à l’époque (le 30 septembre 2009) soient indemnisés, mais compte tenu de l’absence d’action collective en France, ce serait une première. A l’indemnisation pourraient en revanche s’ajouter pour Natixis, des sanctions plus ou moins lourdes. L’Adam a sollicité ses adhérents qui ne sont pas à jour de leurs cotisations pour couvrir les frais de la procédure. Ils doivent lui verser au maximum 180 € par dossier correspondant à trois années de cotisation.

Lire aussi : Lettre de l’Adam aux actionnaires de Natixis partie civile.

L’AMF enquête sur la vente d’actions du Directeur des risques qui a précédé de cinq semaines l’annonce d’un profit warning  

Autre dossier sur la table, à l’AMF cette fois. En mars dernier, minoritaires.com avait publié une alerte sur une controverse naissante concernant Natixis. En interne, des salariés s’étaient émus de ventes de titres, de la part du Directeur des risques à un moment peu propice : à la veille d’une réunion qui devait chiffrer les pertes de la banque en Asie, lesquelles pertes n’avaient pas été chiffrées jusque là mais faisaient l’objet d’une enquête interne. A la suite de cette réunion, cinq semaines plus tard Natixis avait publié un profit warning. Aussi les salariés intrigués par ces faits quémandaient une enquête de l’AMF pour faire le clair sur cette histoire qui plombait le moral des équipes. Egalement actionnaires et au courant de la probable chute de l’action Natixis, la plupart (sinon la totalité) d’entre eux s’étaient abstenus comme il se doit de céder leurs actions, enregistrant des pertes.

D’après l’information parue sur le site du quotidien Les Echos du 30 octobre 2019, l’AMF s’est enfin décidée à enquêter sérieusement sur cette affaire cet été, tandis qu’un lanceur d’alerte s’était manifesté. Nous avions recueilli suffisamment d’éléments pour signaler une situation surprenante que nous décrivions dans cet article :

Natixis, Zodiac…et profit warnings : les angles morts du délit d’initié

Le Directeur des risques concerné, Pierre Debray, est toujours à son poste à notre connaissance et près d’un an après les faits, l’AMF enquête toujours. La SEC de son côté aurait également demandé des comptes.  » Rien ne dit si cette enquête, qui peut durer plusieurs mois, aboutira à des sanctions de la part du gendarme boursier, affirme le journaliste du quotidien Les Echos, qui a interrogé, lui aussi la direction du groupe BPCE. Celle-ci « estime que ce genre d’enquêtes est fréquent en cas d’avertissement sur le résultat et que l’action n’a pas connu de mouvements suspects en Bourse avant son information aux marchés » rapporte le quotidien. En effet, on peut même penser que l’initiative du Directeur des risques a plutôt conforté et rassuré les marchés…car qui pouvait imaginer à l’époque qu’un directeur des risques s’amuse à vendre des actions de sa société si un profit warning était probable ?

¹ issu du livre de l’économiste et prix Nobel, Milton Friedman « There is no such thing as a free lunch ».