Sequana : BPIFrance a-t-elle abusé de la patience des actionnaires ?

Gaspillage, pillage, boycotte… Les actionnaires de Sequana réunis en association depuis décembre 2016, ont des mots amers pour parler du groupe papetier et de sa filiale Antalis. Ils comptent dénoncer lors de l’assemblée générale du groupe, le 21 juin prochain, les conditions du prêt accordé par BPIFrance Participations à Sequana.

Un regroupement d’actionnaires pour accompagner un hypothétique redressement

En décembre 2016, des actionnaires de Sequana créaient l’association Asamis  et se retrouvaient bientôt une centaine avec 5 % du capital. Il était question d’unir leurs efforts et d’aider le nouvel arrivant au capital, Impala à sortir la société du marasme dans lequel le groupe papetier était plongé. La transformation du secteur du papier en mutation avec « le grand remplacement par internet » ressemblait bigrement au cas SoLocal, société également surendettée et en pleine mutation, où les actionnaires étaient en train de se faire piller par les fonds vautours.

Minoritaires.com avait trouvé que la façon dont Impala et son président Jacques Veyrat s’y prenait pour restructurer l’ex-Arjomari Prioux ( ex-Worms & Cie, devenue Sequana), pouvait aider à résoudre les problèmes. Impala avait pris 20 % du capital et il y avait enfin un pilote dans l’avion. Certes, les actionnaires individuels avaient beaucoup perdu, mais BPIFrance Participations semblait prête à mettre la main à la poche pour aider à la restructuration financière et semblait vouloir sortir la société de l’ornière. On voulait croire à un possible retour à meilleure fortune pour tout le monde, actionnaires et salariés (8500 personnes).

Pour aller plus loin : consultez aussi le site d’Asamis ainsi que le site de Sequana et Antalis 

Sequana plombé par une action en justice en relation avec un litige environnemental

Un an et demi plus tard, la désillusion est totale. Sequana a poursuivi sa restructuration, le groupe a continué à vendre des actifs, à fermer des usines, mais il reste englué dans un procès avec le géant du tabac BAT qui l’empêche de prospérer.

Preuve s´il en est que les violations des droits de l’homme ou de l’environnement ne sont pas à prendre à la légère, un demi siècle après les faits, les poursuites contre Sequana en lien la pollution de la « Fox River » aux Etats-Unis, obscurcissent l’avenir du groupe.

En effet, le procès BAT, s’il demande le remboursement de dividendes,  est bien lié à la pollution d’un site américain  par plusieurs fabricants de papier carbone dont une société rachetée par Sequana, le tout datant des années 1950. Suite à ce scandale, il a fallu mettre un milliard de dollars sur la table pour nettoyer la « Fox river » dans le Wisconsin. Or, en 2009, Sequana avait cru pouvoir se débarrasser du problème en recédant cette filiale Arjo Wiggins Appleton, devenue Windward Prospects alors qu’elle faisait partie des quatre papetiers contraints aux Etats-Unis à payer la dépollution.

Aujourd’hui c’est cette affaire qui lui revient comme un boomerang. Sequana avait été vendue Arjo Wiggins Appleton sans garantie de passif mais avec une assurance environnementale censée couvrir le sinistre américain à hauteur de 250 millions de dollars ( dont 150 millions avaient déjà servi à rembourser une partie du sinistre). Les repreneurs avaient accepté l’affaire vidée de son cash et ils avaient payé le prix en conséquence, probablement pas grand chose.

Si Sequana est rattrappée par cette affaire, c’est que BAT qui faisait partie des pollueurs, a payé pour Windword, et cherche à récupérer le cash qui était dans la société avant la vente et aurait été « aspiré » par Sequana via deux distributions de dividendes préalables à la vente de l’encombrante filiale.

Une sauvegarde bienvenue et pour les actionnaires ?

A la suite d’un jugement non suspensif de la High court of London, qui lui réclamait plus de 135 millions d’euros ( plus des frais) et menaçait la santé financière du papetier, Sequana incapable de régler la note, a demandé à être mise sous procédure de sauvegarde en février 2017. Et le plan de sauvegarde assez judicieux a été présenté par l’administrateur judiciaire Maître Hélène Bourbouloux ( administrateur de SoLocal et de CGG à la même époque). Il a consisté à mettre à l’abri les actifs de la société qui restaient rentables, ( la branche distribution de papier Antalis) tout en préservant l’intérêt des créanciers.  Le papetier a fait appel du jugement britannique tandis que la sauvegarde suspendait le paiement demandé par la justice et l’étalait sur 10 ans, si toutefois, si BAT devait gagner définitivement son procès.

Pendant un moment , les actionnaires de Sequana ont espéré que leur société s’en sortiraient correctement. La filiale Antalis et son activité de distribution papetière ( 4500 personnes), s’en est allée, chargée comme un baudet de l’essentiel des dettes de Sequana, se faire coter en Bourse en juin 2017. Les actionnaires de Sequana, reçurent à l’époque des actions Antalis comme lot de consolation. L’ action valait 3 € et ils obtinrent à raison d’une action Antalis International pour cinq actions Sequana,  18,36% du capital de cette filiale.

Mais, bien vite, il fallu refinancer les dettes de 285 millions d’euros.  Et depuis le 3 avril 2018, c’est chose faite. Reste un point d’ombre : à ce jour, Antalis qui va distribuer 6 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires le 15 juin prochain, n’a toujours pas communiqué sur les conditions du refinancement. On ne sait pas qui sont les nouveaux créanciers d’Antalis, ni quel est le taux du crédit syndiqué, dont la documentation a été signée le 1er juin,  un retard qui a d’ailleurs valu à la société une observation de ses commissaires aux comptes.

Antalis, une action en pente douce

Ce qu’on sait en revanche, c’est que le cours d’Antalis baisse consciencieusement depuis son introduction en Bourse, il y a un an à 3 €. Il a même été divisé par deux. Un actionnaire de l’association Asamis, qui connait bien les marchés soupçonne des manipulations de cours. Il a écrit à plusieurs reprises à la direction, puis dernièrement, à l’AMF, sans que personne ne réagisse.

D’autres, se demandent si la baisse des cours ne serait pas liée à une possible recapitalisation d’Antalis, dans des conditions forcément dillutives avec le risque maintenant bien connu de voir arriver des fonds vautours qui demanderont la transformation de leurs dettes en actions profitant d’un cours « envoyé à la cave ». Mais le pire n’est jamais certain.

L’autre activité de Sequana, la branche Arjowiggings ( fabrication papetière, 2300 salariés) restée peu rentable, a fermé une partie des usines, vendu certaines activités parfois après leur recapitalisation comme  pour la fabrication de papier pour les billets (ArjoWiggings Security).  Sequana a tenu la tête hors de l’eau de ses activités de fabrications papetières grâce à l’intervention de BPIFrance Participations.

La Banque publique d’investissement a « mouillé sa chemise » au point de devenir le principal actionnaire de Sequana depuis le retrait d’Impala, avec 15 % du capital et 17 % des droits de vote, puis après la sauvegarde, elle est  devenue l’unique créancier financier ou presque du holding de tête avec 60 millions d’euros de prêts ( et 25 millions d’euros supplémentaires à venir au second semestre 2018, avec de nouvelles prises de garantie). Elle est aussi devenue le majoritaire putatif de la fille Antalis via un nantissement sur les deux tiers du capital de celle-ci, sans compter son role de banque d’affaires et d’arrangeur des prêts…

Mais malgré et peut-être à cause de ce soutien que BPIFRance Participations fait payer très cher aux actionnaires avec des prêts remboursables en janvier 2019 à 12% en plus du nantissement de l´essentiel des actifs tangibles, le résultat est là : Sequana ne vaut plus que 35 millions d’euros après un cours divisé par 4 en un an et une baisse de 99 % en dix ans. Asamis, l’association des actionnaires a perdu patience et  a levé des procurations auprès de ses membres pour voter en AG le 24 mai 2018, en demandant la nomination de trois représentants au conseil d’administration qu’elle n’a pas obtenu et en refusant finalement de participer à la réunion.

L’assemblée générale reconvoquée le 21 juin 2018

La décision n’a pas été sans conséquence, si l’assemblée générale ordinaire a bien pu se tenir avec un quorum de 20,4 %, l’AGE de Sequana n’a pas réuni suffisamment de votants ( il fallait 25 % des voix) et a donc été reportée. Quant à la résolution 4 de l’AG ordinaire portant sur l’approbation de la convention de prêt de la BPI, elle n’a pas pu être mise au vote, car  BPI Participations, détentrice de 17 % des droits de vote, étant exclue du scrutin, là non plus le quorum n’a pas été atteint.

Le prêt de la BPI constitue ce qu’on appelle une «convention réglementée » c’est à dire une décision du conseil d’administration de voter une convention qui présente une possibilité de conflit d’intérêt. Les actionnaires doivent être consultés, s’ils s’y opposent, les administrateurs peuvent alors voir, le cas échéant,  leur responsabilité engagée pour l’avoir autorisée, sauf à l´annuler ou à supprimer le conflit d’intérêts.

De drôles de conventions de prêt en faveur de BPIFrance Participations

Les conventions de prêts accordés par BPIFrance Participations l’ont été, assurément dans des conditions qui sont loin de servir les intérêts de Sequana. Non seulement le taux d’intérêt à 12 % est particulièrement élevé, mais les conditions de nantissement des actions Antalis (61 % du capital) par BPIFrance Participations sont ubuesques. Car, plus le cours de la filiale Antalis baisse, plus, en théorie, la BPI pourrait raffler d’actifs de Sequana. C’est une des raisons pour lesquelles, les membres d’Asamis contestent les conditions des prêts de la banque publique, qui vont finir de ruiner Sequana après avoir ruiné ses actionnaires.

Les AGO et AGE de Sequana vont de nouveau être réunies, le 21 juin 2018, sur seconde convocation pour délibérer sur la convention réglementée BPI et sur les résolutions de l’AGE.  L’association Asamis propose à ses membres (aujourd’hui 11 % du capital  en théorie), de lui donner une nouvelle procuration pour défendre ce qu’il reste de leurs intérêts. Naturellement c’est une affaire à suivre….

L’auteur possède 100 actions Sequana.