La dernière mésaventure en date de DBV Technologies ne rassure pas sur le compartiment des biotechs cotées à Paris. Une partie de ces sociétés semblent avoir perdu leur boussole et la volatilité affole les compteurs.
En 2018, deux tiers des biotechs ont vu leur cours baisser. La fin de l’ISF et avec elle de l’exonération accordée aux fortunes qui s’investissaient dans les levées de fonds du secteur, les incertitudes de financement et les aléas des partenariats, ont rendu les investisseurs nerveux. Échauffés sur les réseaux sociaux par de mystérieux « bout-en-train », les actionnaires individuels les ont remplacé, mais ils parient sur les titres du secteur comme on joue au casino. A ce jeu là personne n’est gagnant : les petits porteurs croient tirer profit de la volatilité mais se retrouvent en première ligne face à des algorithmes qui les rincent consciencieusement. Et comme ces boursicoteurs votent peu en assemblée générale, les quorum sont difficiles à atteindre en AGE, ce qui risque au final de paralyser certaines sociétés (Voir Hybrigenics) .
Même s’il ne faut pas généraliser, des difficultés de trésorerie pourraient s’annoncer en cours d’année pour les plus fragiles des 49 sociétés cotées à Paris. Quant aux succès espérés des candidats médicaments, ils sont rares. On estime qu’il faut une dizaine d’années, et de multiples levées de fonds, pour arriver à mettre sur le marché une nouvelle spécialité.
La cotation au Nasdaq peut aussi réserver des surprises
Des bonnes surprises sont toujours possibles. Mais même ceux qui tirent leur épingle du jeu comme Quantum Genomics, se plaignent que la place financière de Paris n’est pas accueillante. La BPI soutient les jeunes pousses et le crédit d’impôt recherche (CIR) dispensé par l’Etat français, arrose pourtant généreusement leurs recherches. Le problème serait qu’en France, les biotechs ne bénéficie certes pas du même engouement qu’aux Etats-Unis où l’argent des milieux médicaux coule à flot, créant un écosystème que l’on dit plus favorable.
Jean-Philippe Milon, le DG de Quantum Genomics expliquait en décembre dernier dans une interview à la Web TV « La Bourse et la vie », qu’il se préparait à une introduction de la société au Nasdaq. Il arguait que sur le marché américain, la valorisation de l’action pouvait aller jusqu’à 66 €, là ou en France mi décembre 2018, elle cotait pas loin de 6 € ( 4,50 € ces jours-ci).
Pourtant, tenter une cotation au Nasdaq, ce qu’envisage de nombreuses biotechs cotées à Paris, est-ce forcément une bonne idée ? La mésaventure de DBV Technologies à Wall Street va sans doute refroidir plus d’un patron du secteur. A la suite de l’effondrement du titre DBV en Bourse ( – 70 % en France et – 60 % pour la réplique américaine de l’action française), le 15 décembre dernier, une flopée de cabinets d’avocats américains ont « recruté » des investisseurs pour entamer des actions en justice contre la biotech spécialisée dans le traitement de l’allergie à l’arachide.
Des accusations d’informations « erronées » et « trompeuses »
Plusieurs «class action» ont été déposées aux États-Unis contre DBV Technologies, les 15 et 23 janvier dernier. Les cabinets d’avocats Schall Law, Rosen, Howard G. Smith et Bronstein, Gewirtz & Grossman, sont dans la boucle pour le compte d’actionnaires américains qui ont acheté l’action entre le 14 Février 2018 et le 19 décembre 2018, au Nasdaq. Ils exigent une compensation financière, estimant que les déclarations de la biotech et de certains de ses dirigeants ont été «erronées» et «trompeuses».
La biotech de Montrouge qui avait mis au point un patch contre les allergies à l’arachide, a annoncé peu avant Noël, sa décision de retirer le dossier de demande d’enregistrement déposé courant 2018, auprès de la Food and Drug Administration (l’agence sanitaire américaine du médicament). Ses dirigeants expliquaient que l’agence leur avait indiqué avoir besoin de plus d’informations sur les procédures de fabrication et les contrôles qualité du Viaskin Peanut avant de donner son feu vert. DBV avait encore des chances de faire enregistrer son candidat-médicament aux Etats-Unis, selon les analystes de Portzamparc, qui les estimaient à 90%. Pour autant, le calendrier étant différé, un problème de trésorerie risquait de se poser. Le cours s’est donc effondré, avec la perpective d’une augmentation de capital dillutive et compliquée.
Rien que « du très classique » si ce n’est, cette frénésie de ventes et d’achats d’actions DBV Technologies sur Euronext Paris, qui a saisi les deux dirigeants juste après Noël et jusqu’à l’annonce de la class action. Le Président Pierre-Henri Benhamou et le DGA David Schilansky ont effectué une quarantaine d’allers/retours sur le titre pour des montants de plusieurs millions d’euros, « à des fins de gestion de patrimoine » ont-il avancé. Des mouvements peu responsables dans une période chahutée, puisque certains actionnaires ont cru y voir des encouragements à acheter ou à vendre.
L’AMF enquête-t-elle sur l’information financière et sur les mouvements de titres
Une enquête de l’AMF en France sur ces mouvements de titres et sur l’information financière serait bienvenue. Aux Etats-Unis, la société DBV et certains de ses dirigeants sont accusés d’avoir violé les lois fédérales sur les valeurs mobilières en omettant de divulguer que :
- la demande de licence de produits biologiques de DBV Technologies pour le Viaskin Peanut adressée à la FDA, ne contenait pas suffisamment de données sur les procédures de fabrication et les contrôles de qualité,
- que DBV Technologies a du volontairement retiré sa demande de licence pour cette raison
- que par conséquent, les déclarations concernant les activités, les opérations et les perspectives de DBV Technologies, ne pouvaient qu’être fausses et / ou trompeuses
Pour un observateur attentif du secteur, les dirigeants français n’ont pas forcément compris qu’aux Etats-Unis, arriver devant la FDA avec un dossier de fabrication qui n’est pas complètement bordé constitue une grosse erreur, et ne pas le dire au marché, un crime de lèse majesté. Une leçon pour la profession, en tout cas.