Il faut revoir la gouvernance d’EDF

Nous avions déjà attiré l’attention sur la gouvernance d’EDF détenue à 85 % par l’Etat actionnaire, dans l’article  Areva et les coulisses de la gouvernance extravagante d’EDF . Un an plus tard presque jour pour jour, celle-ci a fait son oeuvre.

La décision finale d’investissement d’EDF sur le projet Hinkley Point C a été votée à raison de 10 voix pour  et 7 voix contre ( Laurence Parisot et les administrateurs représentants les salariés), ce 28 juillet.  EDF s’engage à construire deux EPR au Royaume Uni, un chantier de 22 milliard € particulièrement contesté. L’administrateur Gérard MAGNIN, 65 ans, bien que nommé par décret en tant que membre du Conseil économique, social et environnemental de Bourgogne, a préféré démissionné plutôt que de voter en faveur d’un projet qu’il ne soutenait pas. Dans une lettre, il dénonce, en outre un fonctionnement du conseil d’administration d’EDF dont il qualifie la culture de « plutôt monolithique ».

Si, à l’avenir, des décisions importantes doivent être prises concernant la sécurité du nucléaire, ce n’est plus seulement les actionnaires d’EDF qui risquent de pâtir des effets d’une gouvernance contestable de l’électricien. Les conséquences pourraient être extrêmement graves et on a vu avec Hinkley Point que même les salariés étaient incapables de stopper des décisions à haut risques.

Minoritaires.com a  donc analysé de plus près la composition du conseil et sa capacité à juger des conflits d’intérêts. Conclusion : on voit mal comment l’Etat Français qui se conduit de façon  aussi dictatoriale à la tête de cette entreprise qui compte pourtant 15 % de minoritaires, pourrait continuer à donner des leçons de gouvernance aux grandes entreprises cotées.

En effet, cette affaire, est criblée de conflit d’intérêts car il n’échappe à personne que l’Etat qui nomme un tiers des administrateurs, engage EDF dans cette aventure avec l’espoir de sortir la tête de l’eau de son autre filiale Areva au nom de l’intérêt de la filière nucléaire française. Les critères dictés les bonnes pratiques de gouvernance sont bafoués.

Seulement 3 administrateurs vraiment indépendants sur les 17 du conseil

Dans son document de référence et compte tenu de la nomination de Claire Pedini, en mai dernier, le conseil d’EDF ne peut pas, en toute honnêteté se prévaloir de 5 administrateurs indépendants comme il le fait. Nous avons passé en revue la situation de ces 5 indépendants.

Philippe Crouzet, dirige Vallourec qui ne compte plus les contrats avec Areva et EDF. Son groupe, mal en point, a été recapitalisé au printemps grâce au bras armé de l’Etat ( actionnaire d’EDF), la banque publique d’investissement, entrée au capital de Vallourec à hauteur de 15 %. Il ne peut pas continuer à figurer au tableau des indépendants.

Colette Lewiner a passé 12 ans chez EDF jusqu’en 1992, avant de rejoindre en 1998 Cap Gemini jusqu’en 2014. Elle y était en charge des relations avec les utilities (dont EDF). Cap Gemini a bénéficié de ses services et signé plusieurs contrats d’infogérance avec EDF ou Areva. C’est un des partenaires privilégiés de l’électricien en Grande Bretagne.  Peut-il, le cas échéant emporter des contrats de numérisation sur le contrat Hinkley Point ?  Cap Gemini a  racheté récemment une filiale d’Areva qui a des enjeux importants sur le nucléaire. Colette Lewiner, 70 ans, en retraite depuis deux ans, a rejoint le conseil d’EDF en 2014 mais peut-on imaginer qu’elle soit indépendante d’EDF ou de son ancien employeur ? Nous ne pensons pas.

Reste donc dans le meilleur des cas, trois administrateurs, plus ou moins indépendants :

  • Bruno Lafont qui a quitté la présidence et la direction générale de Lafarge l’an dernier  mais qui depuis la fusion avec Holcim est le co-président de LafargeHolcim.
  • Claire Pedini, Directrice Générale Adjoint de Saint Gobain et administratrice d’Arkema qui a repris en mai dernier la place de Philippe Varin au conseil d’EDF, lequel était également au conseil de Saint Gobain.
  • Laurence Parisot, la présidente de l’IFOP, dont les sondages ont plutôt tendance il est vrai à être conduit pour le compte des partis de droite, est peut-être la seule réellement indépendante au conseil.

Compte tenu du nombre d’administrateurs qui sert de référence pour le calcul de la proportion d’indépendants : 12 sans les représentants des salariés, le conseil d’EDF compte donc 3 indépendants sur 12 donc un quart. Ce qui le situe en dessous des recommandations Afep-Medef qui place la barre à un tiers du conseil pour les sociétés contrôlées. 

La désignation des administrateurs indépendants viciée

Le comité des rémunérations et le comité d’éthique d’EDF décident quels sont les administrateurs indépendants, mais quelle est la composition de ces comités ?

Le comité des nominations et des rémunérations d’EDF est composé de 4 membres :

Colette Lewiner, Bruno Lafont ainsi qu’un représentant nommé par l’Etat actionnaire Martin Vial et Maxime Villota élu par les salariés. Il comprend donc 1 administrateur  indépendant sur 4.

Le comité d’éthique d’EDF  est composé de 5 administrateurs ( 6 avant la démission de Gérard Magnin) :

En font partie Colette Lewiner ainsi que quatre administrateurs représentants les salariés Bruno Échevin, Christine Chabauty, Jacky Chorin, Marie-Hélène Meyling qui ont visiblement du mal à se faire entendre.

Le comité d’éthique d’EDF qui est donc l’organe du conseil d’administration qui doit se prononcer sur l’indépendance des administrateurs, sur les conflits d’intérêts et probablement demain sur les questions de sécurité nucléaire, ne comprend donc aucun administrateur indépendant.

Le code Afep Medef est bien faible, et n’y trouvera rien à redire. En outre, n’ayant force de loi, le fait qu’il ne soit pas respecté n’entraîne aucune sanction et n’ouvre pas de possibilité de recours pour les actionnaires ( Soft Law), pourvu qu’une vague explication soit donnée par la société sur ses raisons pour ne pas le respecter.

Un curieux comité d’éthique pour juger des conflits d’intérêt

La faiblesse du comité d’éthique a été implicitement reconnue. Un avocat a été désigné par EDF qui devait présenter une analyse des conflits d’intérêts au conseil. Cette analyse devait être lue au début du conseil d’administration d’EDF qui s’est tenue le 28 juillet, puisque c’était un des points de contestation des actionnaires salariés opposés au projet HP.

L’indépendance des actionnaires nommés par l’Etat a été mise en cause par la même association représentant les salariés actionnaires. Mais il semble que pour Martin Vial , le patron de l’Agence des participations de l’Etat, depuis la décision du gouvernement du 3 juin 2015,  la vocation d’EDF se confond avec celle de la filière nucléaire et que, donc, il n’y avait pas lieu de parler de conflits d’intérêts.

L’AMF qui avait été saisi de la question par l’association des actionnaires salariés d’EDF (EAS), dans les semaines qui ont précédées le conseil,  n’a pas donné suite à la demande de nomination d’un expert indépendant sur ce sujet, alors que le cabinet Govership était proposé pour cette mission. Que se passera-t-il si demain, il faut des expertises sur la sécurité des installations nucléaires ?

Rappel des recommandations de l’AMF en matière de gouvernance

Sans doute l’AMF a-t-elle estimé que les recommandations, qu’elle conseille d’appliquer aux entreprises cotées ne valent pas pour EDF. En effet, minoritaires.com, n’a pas trouvé dans le document de référence d’EDF, toutes les explications qui semblent pourtant recommandées par le gendarme des marchés.

Nous publions ci-dessous un extrait de la recommandation AMF n° 2012-02 – Gouvernement d’entreprise et rémunération des dirigeants des sociétés se référant au code AFEP-MEDEF mis à jour le 22 décembre 2015.

1.1.5 Les membres indépendants des conseils et la gestion des conflits d’intérêts

Concernant la gestion des conflits d’intérêts, l’AMF recommande aux sociétés qui se réfèrent au code AFEP- MEDEF, dont les recommandations prévoient expressément des dispositions en matière de déclaration et de gestion des conflits d’intérêts des membres du conseil d’administration ou de surveillance :

  • de donner des éléments d’information sur la gestion de ces conflits au sein du conseil ;
  • de présenter dans leur document de référence ou rapport annuel les extraits de leur règlement intérieur ou de leur charte relatifs à la prévention des conflits d’intérêts appliqués par les administrateurs.S’agissant de l’indépendance des membres, l’AMF recommande aux sociétés :
  • d’identifier clairement les membres qualifiés d’indépendants par le conseil, qu’ils soient membres ou non de comités spécialisés
  • de bien préciser la conformité avec les critères retenus par le code AFEP-MEDEF pour définir l’indépendance des administrateurs et, lorsque la société déroge à l’un de ces critères, de le justifier précisément. Pour ce faire, l’AMF recommande que les sociétés intègrent ces éléments dans un tableau de synthèse précisant la situation (conformité ou non) des administrateurs au regard des critères retenus par le code AFEP-MEDEF pour définir l’indépendance des administrateurs ;
  • que toute exclusion du critère de définition de l’indépendance relatif à l’exercice de mandats sur plus de 12 années consécutives ne soit pas justifiée par la seule expérience ou compétence de l’administrateur concerné ;
  •   de fournir chaque année des éléments d’information détaillés afin d’expliquer la manière dont leur conseil d’administration ou de surveillance a apprécié le caractère significatif ou non des relations d’affaires susceptibles d’être entretenues par des membres qualifiés d’indépendants avec la société dont ils sont administrateurs ou membres du conseil de surveillance. Dans ce cadre, l’AMF recommande aux sociétés de décrire avec précision les critères qualitatifs et/ou quantitatifs d’appréciation du caractère significatif de la relation entretenue avec la société ou son groupe ainsi que le contenu de tout engagement que les administrateurs concernés auraient, le cas échéant, pris afin de préserver les conditions de cette qualification d’administrateur indépendant, ainsi que les conséquences d’une éventuelle violation de ces engagements.

A ce titre, l’AMF recommande aux émetteurs de ne pas apprécier le caractère significatif des relations d’affaires uniquement à l’aune de critères quantitatifs et de réaliser autant que possible une analyse qualitative selon des paramètres permettant d’apprécier si une telle relation est non significative et exempte de conflit d’intérêts, tels que et sans que cela soit limitatif :

  •  la durée et la continuité (antériorité, historique, renouvellements);
  • l’importance ou « intensité » de la relation d’affaires (éventuelle dépendance économique, exclusivité ou prépondérance dans le secteur objet de la relation d’affaires, répartition du pouvoir de négociation…) ;
  • l’organisation de la relation (position de l’administrateur concerné dans la société contractante, pouvoir décisionnel direct sur le(s) contrat(s) constitutifs de la relation d’affaires, perception par l’administrateur d’une rémunération liée au contrat, lien ou relation d’affaires éventuels avec des sociétés dont relèvent d’autres administrateurs, montants des engagements réciproques des sociétés entre elles, etc.).Dans l’hypothèse où, aux fins de cette appréciation, une société souhaiterait conserver exclusivement un critère quantitatif, un plafond en montant absolu (à l’instar de ce que prévoient certaines agences de conseil en vote6) semble plus pertinent pour apprécier le caractère significatif d’une relation d’affaires. En tout état de cause, il convient que tout seuil quantitatif en pourcentage du volume d’affaires soit apprécié pour chacune des deux sociétés ou parties contractantes.

Concernant le comité des nominations et des rémunérations

  • Aux termes du code AFEP-MEDEF, le comité des rémunérations doit être majoritairement composé d’administrateurs indépendants. En pratique, cette recommandation implique de disposer d’un nombre de tels administrateurs supérieur à la moitié du nombre de membres (en particulier dans les comités constitués de quatre membres), et il convient à défaut d’en expliquer les raisons.
A lire également :

EDF : Comment l’Etat et la direction embobinent les minoritaires