Restructuration financière de SoLocal : mauvais plan à refaire

Le plan  de restructuration financière de SoLocal qui prétend ramener la dette financière de SoLocal de 1,1 milliard à 400 millions € est un véritable tour de bonneteau. Heureusement, il a du plomb dans l’aile. Il sera pas présenter au vote des actionnaires de SoLocal  le 19 octobre en assemblée générale.

Les discussions avec les créanciers n’ont pas pour l’instant abouti à un accord des deux tiers d’entre eux. Officiellement, le taux de la nouvelle dette est toujours en discussion. L’expert indépendant qui doit attester de l’équité de la valorisation de SoLocal Group pour les actionnaires, n’a pas encore été nommé par le conseil d’administration, mais c’est une question de jour. Quant aux actionnaires, on ne leur a pas demandé leur avis mais ils l’ont donné. L’association RegroupementPPLOCAL qui rassemble 1200 petits porteurs de SoLocal ainsi que quelques fonds a qualifié le  projet « d’inacceptable et de totalement déséquilibré ».

A qui profite le plan ? 

Dans les faits, le projet de la Direction de SoLocal est tout simplement un mauvais plan sauf pour les fonds vautours qui se sont invités autour de la table. Les hedge funds (GSO Capital Partners LP, Farallon Capital Europe LLP, Amber Capital UK Holdings Ltd et Boussard & Gavaudan Asset Management, ainsi que des fonds gérés ou conseillés par Paulson & Co. Inc) ont racheté 50% des dettes de SoLocal au rabais, et s’ils souscrivent à l’augmentation de capital et exerce leur quote part des bons de souscription d’actions, ils peuvent peser sur  la société, voire prendre le contrôle et sans doute réaliser une belle plus value.

En quoi consiste le plan ?

Inutile de s’attarder  sur les différentes hypothèses du plan qui dépendent du taux de souscription à l’augmentation de capital de 400 millions €, il est probable que le projet ne se concrétisera que si la Direction est assurée que la levée de fonds est destinée à être un succès. Ce n’est pas acquis d’avance, mais la « journée investisseurs » de SoLocal du 31 août prochain destinée à présenter ce fameux plan « Conquérir 2018 » pourrait permettre de tester le marché.

Dans le cas contraire, si la levée de fonds s’annonçait catastrophique, il faudrait peut-être explorer d’autres voies. Car les créanciers qui risqueraient de se retrouver  avec plus de 90 % du capital de SoLocal endettée à hauteur de 600 M € n’ont pas du tout envie de se faire épingler pour soutien abusif. On voit mal  2/3 d’entre eux ( majorité nécessaire à l’adoption du plan) s’engager sur ce terrain glissant si l’augmentation de capital de 400 M€ ne permet pas de lever au moins 300 M€.

Donc, si l’on se base pour l’analyse, sur l’hypothèse d’une réussite du plan de restructuration financière, il passerait par quatre augmentations de capital, qui viendraient renforcer les fonds propres de SoLocal Group SA à hauteur de 1,15 milliard € et ramener la dette nette à zéro au lieu de 1,15 milliard € fin 2015. En voici le détail :

• Une levée de fonds de 400 M € provenant des 400 millions d’actions émise à 1 € avec attribution de droits préférentiels de souscription pour les actionnaires actuels ( augmentation de capital avec DPS)

•Une conversion de dette de 384 M € provenant des 81 millions d’actions correspondant à la transformation d’un tiers de la dette en capital sur la base d’actions émises à 4,73 € au profit des créanciers ( augmentation de capital réservée)

•Une levée de fonds de 58 M € qui viendront de l’exercice des 39 millions de BSA donnés aux actionnaires actuels, et permettant de souscrire à une action à 1,50 € ( 1 pour 1) dans les deux ans.

•Une levée de fonds  de 310 M € qui viendront de l’exercice des 155 millions de BSA attribués gratuitement aux créanciers, leur permettant de souscrire à une action à 2 € dans les cinq ans..

Grâce au cash apporté par les actionnaires ( y compris les BSA) les créanciers trouveront 438 millions € d’argent frais dans les caisses pour rembourser les dettes. Ils pourront convertir le reste en actions : 384 millions sur la base de 4,73 € l’action et si nécessaire 310 millions sur la base de 2 € par action. A noter que si la société est florissante, ils pourront aussi attendre sagement le remboursement des dettes résiduelles dans les 5 ans et revendre leurs BSA avec une plus value.

Quels risques prennent les créanciers ? 

Voilà donc pour les créanciers qui prennent comme on le voit un risque minime, si ce n’est celui de financer SoLocal, société bénéficiaire et capable de dégager 90 M€ par an pour rembourser ses dettes et leurs intérêts.  A noter qu’ils n’abandonnent aucune créance, ce qui tant que la société n’est pas sous sauvegarde, risquait d’avoir un impact fiscal exorbitant. Parmi les prêteurs, les fonds vautour qui ont racheté une partie de la dette à 50 % de sa valeur, peuvent même espérer réaliser des profits. C’est le prix à payer, dit-on, pour que les entreprises les plus fragiles, puissent placer leur dette même avec un mauvais rating. Mais au final ce sont les actionnaires qui passent à la caisse.

Quelles conséquences pour les actionnaires actuels ?

Pour ceux de SoLocal, le plan se traduit par une dilution monumentale. Il multiplie le nombre d’actions par 18.  Alors que les petits porteurs ont perdu 85 % de ce qu’ils ont investi il y a deux ans, en souscrivant à l’augmentation de capital de 2014, Jean-Pierre Rémy, leur propose de tenter de nouveau leur chance. Quitte ou double ? Pour chaque action détenue d’une valeur d’environ 2,50 €, l’actionnaire qui investira 10,3 € pour souscrire à l’augmentation de capital à 1 €, peut espérer regagner ses 15 € investis de 2014,  pour peu que l’action retrouve un niveau de 2,2 € après les opérations. C’est sur cette base que repose le montage proposé.

Encore faudrait-il que les augmentations de capital arrivent devant l’assemblée générale, et ne soient pas rejettées en bloc par les actionnaires furieux. L’association des petits porteurs RegroupementPPLOCAL estime que les chances d’un refus du plan sont maintenant élevées. Les soit-disants « lots de consolation » promis  aux actionnaires ne sont pour l’instant que virtuel : l’attribution de BSA pour souscrire une action à 1,50 € ou de droit préférentiels de souscription  ( 10,3 par action chacun donnant droit à 1 action SoLocal à 1 €),  ne prendront de la valeur qui si  l’appétit des investisseurs pour l’action SoLocal se réveille. Or, pour l’instant, le cours de l’action ne reflète qu’une valorisation de la société proche de 2 € par action, à laquelle s’ajoute un espoir de gain de 0,50 € lié à l’attribution d’un BSA exerçable à 1,50 €.

Quelles reproches peut-on faire à ce plan ? Le retour du plan B ? 

Le plan proposé dope les fonds propres de SoLocal et laisse à la Direction une marge de manoeuvre pour investir mais aussi pour déprécier certains actifs. Une provision pour dépréciation de la filiale PagesJaunes de 1,6 milliard € a été discrètement passée dans les comptes sociaux de SoLocal Group fin 2015. PagesJaunes est encore inscrite au bilan pour plus de 2 milliards €, une valeur qui est de plus en plus difficile à justifier.

Des fonds propres trop généreux, c’est confortable pour la direction et les créanciers, mais très dilutif pour les actionnaires et ça n’a rien de rassurant pour les nouveaux investisseurs qui se demanderont certainement où  SoLocal compte trouver les bénéfices pour les rémunérer.  Second reproche, le plan privilégie la conversion de dettes en actions, notamment via l’attribution de BSA aux créanciers. Exerçables à 2 €, un prix bas, ces BSA créent risquent de coiffer le cours pour longtemps autour de 2 €. Ce parachute pour les financiers qui pourront ainsi s’assurer que la dette résiduelle sera convertie en action, en cas de problème, est donc payé par les actionnaires et il coûtera cher puisqu’il va créer 155 millions d’actions nouvelles et donc environ 28 % de dilution supplémentaire.  SoLocal qui n’est pas une entreprise de croissance aura donc beaucoup de mal à rémunérer toutes ces actions.

On pourrait donc imaginer un effort plus important des créanciers avec un abandon de dettes, même symbolique (100 M €), une conversion de dettes en actions plus importante à hauteur de 40 % de celle-ci sur une base de 4,73 €/action, ceci conduisant à une dette résiduelle de l’ordre de 500 M€. Une augmentation de capital avec DPS ne serait alors pas nécessaire, SoLocal disposant d’un cash flow confortable (90 millions € pour la dette et ses intérêt), serait en mesure de rembourser sur 10 ans et peut-être d’obtenir une caution de la BPI. Les actionnaires se verraient attribuer des bons de souscription à 1,50 € qui permettraient de lever environ 58 M € et de porter les fonds propres au dessus de 500 M €. Les créanciers ne toucheraient aucun BSA. Le cours de l’action pourrait alors remonter significativement, ce qui permettrait aux actionnaires de toucher une prime liée à la valorisation du BSA voire aux créanciers de réaliser une plus value sur la dette convertie en actions.

Le plan peut-il attirer de nouveaux investisseurs ? 

Le plan actuel ne séduit pas les actionnaires, mais a-t-il des chances d’attirer de nouveaux investisseurs ? Pour essayer d’y parvenir, il a fallu faire baisser le prix de l’action. Mais attention, la réglementation boursière surveille les ventes à perte.  SoLocal va faire travailler un expert indépendant sur le sujet pour s’assurer que la valeur de l’entreprise estimée autour de 2 € par les banques d’affaires ne s’éloigne pas trop de la réalité.

La Direction a-t-elle essayé de faire profiter les futurs actionnaires d’un gros rabais, en favorisant la diffusion de mauvaises nouvelles et donc en provocant la chute de l’action divisée par 4 en un an ? C’est une accusation grave mais la communication financière anxiogène, les mauvaises surprises liées à  une provision pour PSE, la dépréciation de 1,6 milliard € dans les comptes sans explications valables, les ventes à découvert massives, et surtout l’incapacité à repousser l’échéance du crédit syndiqué à 2020,  tout semble avoir convergé pour que le cours de SoLocal s’effondre, sans que la valorisation de l’entreprise ait, elle, radicalement changée.

Un gros rabais sur le titre, suffira-t-il pour autant à attirer de nouveaux investisseurs ? Pas sûr. D’abord parce que le plan d’affaires « Conquérir 2018 » sur lequel s’appuie la restructuration n’offre pas des perspectives enthousiasmantes et qu’il ne prend pas en compte les aléas. Il promet un retour à la croissance des activités Internet en 2018  (+ 10%) avec un taux de marge EBITDA / CA stabilisé et durablement entre 28% et 30%. Ce n’est pas un grand pas en avant.

Ensuite, parce que la crédibilité de l’équipe de direction est au plus bas. Jean-Pierre Rémy est  contesté sur sa gestion de la transformation du groupe par les analystes financiers. Ils voient en lui un bonimenteur qui n’a cessé de revoir ses objectifs à la baisse depuis 2014, de changer les indicateurs de référence. Le dirigeant saura-t-il inspirer la confiance et remonter l’action ?

La Direction est aussi pointée du doigt par l’association des actionnaires de SoLocal. Elle pourrait être affaiblie dans les prochains mois par des enquêtes judiciaires ou réglementaires. Une liste des griefs retenus a été communiquée à l’autorité des marchés financiers . RegroupementPPLOCAL a  demandé  l’ouverture d’une enquête de l’AMF sur la communication financière de SoLocal et sur le marché du titre.

Enfin, si l’augmentation de capital de SoLocal ne suscite pas d’engouement, c’est aussi parce qu’on voit mal de nouveaux investisseurs se précipiter pour souscrire l’action en déboursant  entre 1 et 2 € ( après achat du DPS) alors que le cours risque d’être coiffé pendant 5 ans par l’exercice des BSA au prix préférentiel de 2 €.

Nos calculs de valorisation (1) 

  • Si l'augmentation de capital prévue dans le plan devait être un succès c'est à  dire souscrite au dessus de 300 M € :

Le cours théorique après l’augmentation de capital de SoLocal pourrait rejoindre 2,30 €,  avant exercice des BSA.

Le calcul est le suivant :

Valeur d’entreprise estimée à 6 fois l’Ebitda soit 1500 M€, de laquelle on retranche la dette nette résiduelle ( y compris la trésorerie) de  300 M€ = 1200 M€ de capitalisation boursière soit 520 M d’actions à 2,30 €

Après exercice des BSA, le cours théorique serait de 2,20 €

Soit  valeur boursière = 1500 M€ – 300 M€ (dette nette)+ 368 M€ apportés par les BSA = 1568 M€ pour 713 millions de titres, soit 2,20 € par action.

  • Si l'augmentation de capital prévue dans le plan devait être un échec  c'est à  dire souscrite au dessous de 300 M €

La valeur théorique de l’action SoLocal  pourrait rejoindre,  avant exercice des BSA,  1,80 €

Le calcul serait le suivant :

Valeur d’entreprise estimée à 6 fois l’Ebitda soit 1500 M€, de laquelle on retranche la dette nette résiduelle de  (400 M€ +200 M€-100 M€ de trésorerie) = 1000 M€ de capitalisation boursière pour  555 M d’actions ( yc exercice des BSA actionnaires) à 1,80 €. 

(1) Nous partageons nos calculs à titre indicatif, sans engagement de notre part

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NB : L’auteur détient quelques actions de SoLocal Group