Louis Bulidon : « Le capitalisme d’État est une boîte noire »

Les habitués des assemblées générales du CAC40 connaissent bien Louis Bulidon qui nous explique ci-dessous comment il investit en Bourse. Cet ingénieur-chimiste en retraite a fait carrière chez ExxonMobil, puis est devenu un de ces minoritaires, actif et dévoué qui année après année, gère tranquillement son portefeuille de grandes valeurs et repère les sorties de route. Ils sont une douzaine dans ce cas, un bataillon d’actionnaires individuels qui se serrent les coudes et posent aux dirigeants du CAC40 les questions de bon sens que ces derniers ont tendance à éluder. Chacun a sa spécialité. Celle de Louis Bulidon, c’est l’analyse pertinente des comptes et le coup d’œil avisé sur la stratégie. Il est l’un des rares actionnaires individuels à lire avec intérêt le document de référence, comme on ausculterait un patient. Il interroge les responsables en charge des relations avec les actionnaires, et il lui arrive de rencontrer certains administrateurs pour des éclaircissements sur la gouvernance. Sa contribution aux AG, lors des séances de questions-réponses entre petits porteurs et dirigeants est donc très appréciée.

Sa démarche pour investir en Bourse reste classique voire légèrement surannée. Il accorde sa confiance pour longtemps, affectionne les vaisseaux amiral du CAC40 mais s’attache finalement plus à la transparence de l’information financière et à la qualité des hommes qu’aux performances financières à court terme. A force d’assister chaque année à une quinzaine d’AG, a-t-il développé une sorte de sixième sens ? Son jugement sur les entreprises cotées est rapide, incisif. Le développement durable et le patriotisme économique ne sont jamais loin. Vous ne le croiserez jamais, en revanche, à l’AG d’une entreprise où l’État est actionnaire. 

Comment avez-vous débuté en Bourse ?

Louis Bulidon: Je me suis investi à titre personnel dans l’étude du marché boursier à l’occasion de l’ouverture de deux PEA familiaux, supports relativement intéressants pour la défiscalisation des revenus et des plus-values. Mon objectif était de m’assurer d’une épargne de long terme en sélectionnant des valeurs à conserver pour leur rentabilité globale. M’investir signifiait rester à l’écart des conseils du gestionnaire de portefeuille qu’une banque met à votre service contre une rétribution mais sans engagement de résultat.

J’ai fait mes premiers pas en bourse avec pour tout bagage la lecture du rapport annuel des sociétés auxquelles je portais un intérêt, ce que l’on nomme aujourd’hui « le document de référence ».

Comment avez-vous bâti votre portefeuille ?

Louis Bulidon: Je suis un actionnaire de long terme. Je ne fais jamais d’aller-retours sur une valeur. Mon portefeuille compte 21 titres dont 4 ne font pas partie du CAC 40. Sans être exceptionnelle, la performance de mes PEA sur plus de 20 ans est plus qu’honorable et me satisfait.

Deux critères essentiels m’ont guidé dans mes choix avec des succès divers. Le premier fut d’investir dans les deux banques auxquelles j’avais fait confiance jusqu’ici pour mon épargne de précaution, le Crédit Lyonnais et BNP avant que l’une devienne LCL sous la coupe du Crédit Agricole, et l’autre BNP Paribas. A ces deux établissements financiers, j’ajoutais Dexia, ou plutôt l’ancien Crédit Local de France. Mon second critère fut la notoriété de la marque support des valeurs cotées, à commencer par Air Liquide suivie de L’Oréal, Pernod Ricard pour les plus en vue, mais encore Danone, Sanofi ou Schneider Electric, et beaucoup plus tard Essilor International. A cette liste de mes plus belles valeurs, figure aussi Imerys, l’ancien Imétal, leader de la valorisation des minéraux, coup de cœur en souvenir de mon expérience d’ingénieur-chimiste. Mais j’ajouterai ici, un troisième critère, le jugement porté sur le dirigeant à l’occasion des assemblées générales.

Quel intérêt voyez-vous à participer aux AG où finalement la langue de bois est souvent de mise ?

Louis Bulidon: Elles me permettent d’apprécier la qualité des dirigeants, leur implication, le respect qu’ils manifestent vis à vis de ceux qui apportent leur épargne pour financer leurs projets qu’ils soient petits ou grands investisseurs.

Quels sont les patrons qui vous ont le plus marqué ? N’avez-vous jamais été déçu ?

Louis Bulidon: La forte personnalité et la force de persuasion de quatre grands patrons m’ont beaucoup marqué, à commencer par Lindsay Owen-Jones et, tout aussi méritant, son successeur Jean-Paul Agon chez L’Oréal, Patrick Ricard et, tout particulièrement, Xavier Fontanet qui m’a fait découvrir sa superbe valeur, Essilor, lors d’un « road show » où il fut convaincant. Plus tard, j’ai identifié cette très grande qualité chez Benoît Potier, le PDG d’Air Liquide. Mais attention, ce critère peut aussi me conduire à de lourdes erreurs dans le jugement que je serai conduit à porter sur la valeur d’un grand dirigeant car j’ai connu un sérieux échec avec Pierre Richard, emblématique dirigeant de Dexia. L’homme m’a beaucoup trompé à travers ses mises en scène des présentations de la performance de sa banque. Plus tard, la lourde dérive constatée dans le non-respect des règles internationales encadrant les établissements financiers les plus en vue de la place me feront douter de la qualité de leur gestion et de la solidité de leur bilan. Cette suspicion demeure.

Votre absence lors de certaines AG surprend. Pourquoi ne vous rencontre-t-on pas chez EDF, Airbus, Orange, Bouygues, Veolia Environnement, Vinci ou encore Renault ? 

Louis Bulidon: Même en position de minoritaires, je ne fais pas confiance au capitalisme d’État. Il suffira pour s’en convaincre de se pencher avec les bonnes sources d’information sur la gestion calamiteuse du nucléaire français tant civil que militaire, lourd d’un passif qui menace de se dégrader de nouveau avec le vieillissement du parc des centrales, les enjeux insurmontables aujourd’hui de son renouvellement ou encore l’entreposage et l’enfouissement des déchets radioactifs.

Par ailleurs, concernant les autres sociétés citées, le mélange des genres entre public et privé et ses interférences politiques ou politiciennes me font douter du respect accordé à la défense des intérêts des petits épargnants. Les minoritaires sont souvent considérés comme force d’appoint au capital mais mis à l’écart des grands enjeux stratégiques dont ils ne subissent que les conséquences, bonnes ou mauvaises. Le capitalisme d’État comme celui de ses grands associés du privé est une boîte noire dont il vaut mieux sortir si on y est entré !                          

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Mecheri
8 années plus tôt

Fort heureusement, il existe parfois des gens comme Mr BULIDON qui, au-delà de sa maîtrise des dossiers, ose à un moment donné ( lorsque le paroxysme de l’ironie est atteint ) dire tout haut ce que tous les initiés pensent tout bas ! Le tout dans l’intérêt et la bonne marche du Groupe en question, y compris au niveau des valeurs affichées et de sa bonne image. Enfin, ayons toujours à l’esprit que l’enceinte des assemblées générales annuelles d’approbation des comptes est le moment privilégié pour mettre en lumière les avantages et inconvénients des décisions de gestion de la direction, puisque les administrateurs et autres membres du Comex ne sont que des mandataires des actionnaires et que le Législateur et les Juridictions commerciales invitent et encouragent les actionnaires à prendre position. Encore, faut-il que ces actionnaires qui montent au créneau dans l’intérêt du groupe et de notre société soient entendus… Lire la suite »