Le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), émanation à sa création de l’AMF et de la Banque de France, vient de rendre son rapport sur ses préconisations en matière de réforme du retrait obligatoire.
Le « retrait obligatoire » est une procédure qui permet aux actionnaires majoritaires d’une société cotée de retirer celle-ci de la cote en expropriant ses derniers actionnaires minoritaires. Pour la mettre en oeuvre accompagnée d’une Offre publique de retrait, les « majoritaires » doivent détenir plus de 95 % du capital de l’entreprise et de ses droits de vote, un chiffre qui apparait comme élevé par rapport à ce qui se pratique sur d’autres places financières comme Londres.
Pour entrer en Bourse, les entreprises doivent pouvoir en sortir facilement
Arguant du fait que pour entrer en Bourse au Palais Brongniart, les sociétés qui se font coter, ont besoin de savoir qu’il ne sera pas difficile d’en sortir, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, souhaite inclure dans la Loi PACTE un abaissement du seuil de 95 % à 90 % afin de faciliter les retraits de la cote.
Mais en France, rien n’est simple et la première esquisse de proposition établie dans le cadre du HCJP par un groupe de travail présidé par les professeurs Stéphane Tork et Alain Pietrancosta, propose un système à deux vitesses :
- lorsque l’initiateur d’une OPA ou les initiateurs agissant de concert ne détiennent pas la majorité du capital ( 50 %), le retrait obligatoire qui suivra éventuellement l’offre publique pourra intervenir dès lors que l’initiateur aura acquis à l’issue de l’offre, plus de 90 % des actions et du capital (1). On est ici dans le cas de ce qu’on appelle aussi « offre soumise à la procédure normale encore appelée offre volontaire ou offre publique obligatoire » et ce qui est proposé est bien, dans ce cas de figure, un simple abaissement du seuil à 90 %.
- En revanche, si l’initiateur ou les initiateurs de concert, sont déjà majoritaires, s’ils détiennent plus de 50 % du capital au lancement de l’offre, le ou les initiateurs devront avoir passé le seuil de 95 % du capital et des droits de vote (1) pour pouvoir exproprier les derniers minoritaires. On est là dans le cas d’une offre dite de fermeture ou offre publique simplifiée. Et ce cas de figure ne serait pas concerné par l’abaissement du seuil.
Enfin, à côté de ces deux cas, un troisième continuerait probablement à subsister. Il s’agit de la procédure de radiation de la cote pour illiquidité qui relève d’ Euronext. Mise en oeuvre par un émetteur, comme ce fut le cas pour Radiall, elle permettrait sous conditions, à partir du moment ou plus de 90 % du capital est entre les mains des majoritaires, d’obtenir d’Euronext la radiation des titres cotés. Les minoritaires se voyant imposé un prix de sortie sans être obligé de l’accepter puisqu’ils peuvent rester actionnaires de la société non cotée. Pour bien comprendre, c’est un peu comme si on construisait une voix de chemin de fer à côté de votre maison, qu’on vous propose de la racheter à un certain prix et que si ce prix ne vous convient pas, on vous explique que vous pouvez continuer à habiter votre logement jusqu’à ce que vous changiez d’avis !
(1) attention les seuils de 90-95 % s’entendent y compris les titres que l’initiateur s’est fermement engagé à acquérir par contrat ( exemple: cas Safran-famille Zodiac).
Une fusée à trois étages pour expulser le minoritaire
Pourquoi mettre en place une fusée à trois étages qui ajoutent de la complexité, mais dont aucune n’est satisfaisante pour le minoritaire qu’on veut expulser ? De l’avis des rédacteurs du rapport, ce serait pour mieux protéger les investisseurs et leur assurer un juste prix, un argument assez difficile à justifier.
Minoritaires.com a eu l’occasion d’observer de nombreuses manoeuvres ayant trait à des tentatives de retrait de la cote par des actionnaires majoritaires, le problème est toujours le même, la contestation porte quasiment toujours sur le prix auquel ils vont être indemnisés. Récemment, les actionnaires d’Hubwoo se sont regroupés pour contester l’offre publique d’achat sur leur société, craignant une manoeuvre visant à les exproprier in fine à un prix (0,20 €) qu’il estimaient inconcevable. A la fin de l’OPAS, le holding Perfect commerce, initiateur de l’OPA détenait toujours moins de 95 % du capital et des droits de vote, mais la liquidité de l’action a chuté et le cours est, à présent, en dessous du prix d’OPAS. Et ceci pour une raison : la protection des minoritaires n’est pas correctement assurée en matière d’expropriation et les majoritaires qui le savent, attendent patiemment que les derniers actionnaires perdent patience et cèdent leurs actions.
Le problème est moins le seuil du retrait obligatoire que le prix d’expropriation
En matière de retrait obligatoire, le problème semble être moins de recréer une « fusée à trois étages » comme le suggère le HCJP que d’assurer aux minoritaires le meilleur prix d’indemnisation de leurs actions, en échange de l’expropriation. C’est là que le bas blesse et il serait dommage que cette situation perdure.
Mais comment traiter cette question du « bon prix » de sortie des minoritaires, en l’absence, la plupart du temps, d’une expertise indépendante crédible et digne de ce nom ? La question est centrale et seules des expertises incontestables mettront fin aux manipulations qui émanent parfois autant des majoritaires qui entretiennent l’illiquidité, que de certains hedge funds qui bloquent le retrait de la cote pour être certains de pouvoir négocier un prix correct.
L’actionnaire minoritaire qui risque l’enfermement dans une situation d’absence de liquidité, sera toujours en position de faiblesse par rapport au majoritaire. L’expert indépendant censé valider le prix d’expropriation, nommé et payé par la société cible contrôlée par le majoritaire, sera toujours du côté de celui qui signe le chèque. Quant à l’évaluation multi-critères, si elle satisfait les juristes, elle fait sourire les financiers, qui savent qu’on peut lui faire dire n’importe quoi, selon les critères choisis.
Pour que l’actionnaire minoritaire ne soit plus le dindon de la farce, « l’expert indépendant qui se prononce sur l’équité du prix, devrait être tiré au sort » propose Anne-Sophie d’Andlau, co-fondatrice du fonds activiste CIAM en première ligne lors des OPA sur Club Méditerrannée et sur Eurodisney. Et pour être certain que le prix d’indemnisation soit fair play, l’actionnaire minoritaire devrait pouvoir demander une contre-expertise aux frais de l’initiateur du retrait, ou encore une médiation sur le prix assurée par un comité des sages réunis au sein de l’AMF, composé d’auditeurs et d’analystes choisis pour leur indépendance d’esprit, une idée qui avait été évoquée en 2005, à l’occasion du rapport Naulot sur l’expertise indépendante.