Le gendarme des marchés a-t-il peur des petits porteurs ? Pourquoi barre-t-il la route au vote à distance pendant les assemblées générales d’actionnaires ? Pourquoi refuse t-il de permettre à un collectif de 100 actionnaires d’une société, de proposer des résolutions comme au Royaume Uni ? Pourquoi conserve-t-il sciemment un formulaire de vote par correspondance incompréhensible et qui affaiblit la contestation ? Pourquoi fait-il barrière à tout ce qui peut faciliter les regroupements d’actionnaires ?
Le collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui délibérait en octobre sur les propositions d’un groupe de travail de sa commission consultative des épargnants, a manqué l’occasion de faire valoir auprès des jeunes, grâce au digital, l’attrait de l’investissement en actions. La commission consultative avait publié en mars, un rapport avec 31 propositions pour faciliter le vote en AG et permettre à la démocratie actionnariale de mieux fonctionner, le Collège en a rejeté ou différé les trois quarts.
Pour l’AMF, les petits porteurs sont des interlocuteurs encombrants. La direction des épargnants préfère qu’ils investissent en Bourse via des sicav actions s’ils ont peu de capital et/ou peu d’expertise. Et si les frais sont trop lourds,elle recommande des sicav indicielles. Autant dire que les spécialistes du Forex et des plateformes de trading qui démarchent les jeunes investisseurs, ont encore de beaux jours devant eux !
Trois représentants des petits porteurs sur vingt membres à la commission consultative des épargnants
Autant l’autorité semble à l’aise avec les émetteurs et le monde de la gestion d’actifs qu’elle supervise en tant que régulateur, autant elle est sur le qui vive dès qu’il est question d’actionnaires individuels, de proxy ( cabinet de conseil en vote) ou d’activistes .
La composition du collège de l’AMF composé de 16 membres ne facilite pas il est vrai, la compréhension des problèmes pratiques qui se posent aux actionnaires individuels qui veulent exercer leur droit de vote. Cet organe compte des magistrats, des auditeurs, des professeurs, plusieurs représentants des émetteurs et des gestionnaires d’actifs mais aucun représentant des petits porteurs. Un seul membre représente les actionnaires personnes physiques mais il s’agit des actionnaires salariés dont l’épargne est gérée collectivement.
Composition du Collège de l’AMF au 30 novembre
- Robert Ophèle, président
- Jean-Claude Hassan, désigné par le vice-président du Conseil d’Etat
- Claude Nocquet, désignée par le premier président de la Cour de cassation
- Michel Camoin, désigné par le premier président de la Cour des comptes
- Patrick de Cambourg, Président de l’Autorité des normes comptables
- Denis Beau, représentant de la Banque de France, désigné par le Gouverneur de la Banque de France
- Bernard Coupez, désigné par le président du Sénat
- Thierry Philipponnat, désigné par le président de l’Assemblée nationale
- Christian de Boissieu, désigné par le président du Conseil économique, social et environnemental
- Helman le Pas de Sécheval, désigné par le ministre de l’Économie
- Jean-Claude Hanus, désigné par le ministre de l’Économie
- Jean-Pierre Hellebuyck, désigné par le ministre de l’Économie
- Christian Schricke, désigné par le ministre de l’Économie
- Sophie Langlois, désignée par le ministre de l’Économie
- Sylvie Lucot, représentant des salariés actionnaires, désignée par le ministre de l’Économie
- Muriel Faure, désignée par le ministre de l’Économie
La plupart des membres du Collège préfèrent ne pas détenir d’actions en direct, pour ne pas se retrouver en situation de conflit d’intérêt ce qui explique probablement qu’ils aient du mal à imaginer les problèmes que rencontrent les actionnaires qui veulent voter ou participer aux AG. La plupart ignorent sans doute qu’avec la plateforme de vote électronique Votaccess, utilisée par la moitié des émetteurs seulement, on peut en quelques clics consulter les documents d’une AG d’actionnaires, voter sur le champs les résolutions, obtenir immédiatement une attestation de détention de titres ou une carte d’admission pour assister à l’AG ou encore donner une procuration à la personne de son choix, tout ça sans bouger de sa chaise.
C’est d’ailleurs pour palier cette ignorance, que l’AMF s’appuie sur une commission de vingt membres pour faire évoluer sa doctrine quand il s’agit d’actionnariat. Mais là encore, seulement trois portent la voix des petits porteurs : l’Adam, association de défense des actionnaires de Colette Neuville, le F2IC qui représente les clubs d’investisseurs et le journaliste Jean-François Filliatre fondateur du site Quesaco.
Cette commission consultative ne chôme pas. C’est elle qui a publié en mars 2017 avec l’aide de la Direction juridique de l’AMF, un rapport de 90 pages, résultat de ses travaux sur le thème «Pour un vote transparent et effectif en assemblée générale à l’ère du numérique » menés en 2016. Or, ce qu’il reste de ce rapport, une fois passé devant le collège de l’AMF est consternant.
Trois quart des propositions de la commission des épargnants différées ou rejetée par le collège de l’AMF
La moitié des 31 propositions examinées par le Collège a été purement et simplement rejetée. Un quart est soumis à un énième groupe de travail, sous prétexte d' »approfondissement ». Enfin, ce qui a obtenu l’aval du collège contient essentiellement des « recommandations d’appliquer les recommandations » auxquelles s’ajoutent des bonnes pratiques qui tombent sous le sens comme « annoncer la date de l’AG suffisamment à l’avance », « reconnaître le droit à la parole à tout actionnaire qui dépose des résolutions en AG, l’obligation d’exposer ses motifs et pour l’émetteur de publier sur son site ces motivations » ou encore « rappeler aux émetteurs qu’ils doivent répondre en AG à toutes les questions orales ». En ce qui concerne l’essor du vote via le numérique, on peut se demander tout simplement si le Collège a compris comment utiliser Internet. La seule « aide digitale » consiste à recommander aux émetteurs de mettre sur leur site internet un formulaire type pour permettre à l’actionnaire de demander à recevoir par mail, les documents de l’AG que le même actionnaire peut tout simplement consulter sur le site !
Le dépôt de résolutions externes en AG refusé aux regroupements de plus de 100 actionnaires
Les 17 personnes auditionnées par la commission des épargnants ( dont Hervé Chefdeville, président de l’APAI, seul représentant des petits porteurs) n’ont pas toutes perdu leur temps. L’autorité a quand même suggéré au législateur de modifier la loi qui permet aux actionnaires détenant seul ou à plusieurs, 0,5 % du capital d’une société, de déposer des résolutions « dites externes » en AG (c’est à dire qui ne sont pas à l’initiative du conseil qui s’y oppose généralement).
Le seuil à réunir pour prendre cette initiative pourrait passer de 0,5 % à 0,25 % du capital. Cette division par deux avec des taux qui s’appliquerait aussi aux actionnaires regroupés en association, concerne assez peu les petits porteurs : si la loi va à son terme, pour la plus petite des sociétés du CAC40, les contestataires devront détenir 25 millons € d’actions (0,25 % du capital) et non plus 50 millions € d’actions ( 0,5 %) pour avoir droit au chapitre. Ce qui revient presque au même. L’abaissement du seuil pourra tout au plus faciliter le travail des activistes « institutionnels » qui savent se servir des actionnaires individuels comme porte-voix. Pas question, en revanche pour l’AMF de retenir la seule proposition qui aurait vraiment permis aux actionnaires individuels regroupés de se faire entendre. Rejetée la proposition qui prévoyait, comme au Royaume Uni, qu’une centaine d’actionnaires faisant bloc, puisse inscrire des résolutions à l’ordre du jour de l’AG, sans avoir à respecter des conditions de seuil.
Un refus qui ferme la porte à des initiatives qui pourraient permettre à des regroupements de demander par exemple, un relèvement du dividende ou au contraire une réduction lorsque l’entreprise est trop endettée, de suggérer la nomination d’administrateurs vraiment indépendants, de proposer des alternatives à des augmentations de capital très dilutives ou des distributions d’actions gratuites mal calibrées , ou encore, pourquoi pas, de présenter une résolution relative à la rémunération des dirigeants ( say on pay) qui soit moins excessive…ceci, sans présager bien sûr du vote en AG de la majorité du capital.
Un faible niveau d’incitation pour l’exercice des droits de vote et l’engagement actionnarial
Les réticences de l’Autorité des marchés financiers, émanation de Bercy qui préfère l’entre soi entre banquiers et émetteurs, ne datent pas d’hier. Nous publions ici la liste exhaustive des 15 propositions rejetées ou reportées sine die ainsi que des huit autres qui doivent, avant d’espérer voir le jour, être soumises au verdict d’un nouveau groupe de travail « chargé d’approfondir les réflexions ». Cette fois-ci deux associations d’actionnaires individuels ont écrit à l’AMF pour demander de participer aux travaux. Il s’agit de RegroupementPPLocal et de l’APAI ( association pour la Promotion de l’actionnariat individuel).
Les propositions soumises au groupe de travail et qui, selon l’AMF, méritent d’être approfondies
Au vu des propositions, on ne comprend pas très bien pourquoi certaines n’ont pas été adoptées telles quelles.
Le groupe de travail devra décider s’il y a lieu :
- de recommander aux teneurs de comptes-conservateurs de ne pas facturer aux actionnaires de frais spécifiques liés à des formalités inhérentes à l’exercice du vote.
- de recommander aux teneurs de comptes-conservateurs de ne pas facturer des frais dissuadant les actionnaires au porteur de s’inscrire au nominatif.
- de rappeler aux émetteurs qu’ils doivent prendre en compte tout vote exprimé via un formulaire de vote répondant aux exigences légales et réglementaires
- de faire en sorte que quand l’entreprise fait appel à un huissier de justice dans le cadre d’une AG, elle lui demande également de vérifier que la totalité des votes a été prise en compte.
- de demander l’adoption d’un « guide de bonne conduite » de l’établissement centralisateur intervenant dans le cadre des AG, afin notamment d’éviter les conflits d’intérêts et de leur interdire de transmettre à l’émetteur avant l’assemblée générale toute information sur le résultat anticipé des votes à distance et les procurations données au président. Pratiques qui semblent pour l’heure largement répandues.
- de recommander ou pas aux émetteurs de remettre aux mandataires ( personnes à qui on a donné procuration en AG) plusieurs boitiers de vote ou à défaut, un boitier de vote et des formulaires de vote sous format papier.
- Et enfin, s’agissant du vote par procuration ou par correspondance, d’améliorer la transparence en s’assurant que les émetteurs fassent toute la lumière sur les procurations et votes par correspondance rejetés, en en donnant communication aux actionnaires résolution par résolution, et en s’assurant que les actionnaires ont pu être informés lorsque leur démarche a échoué pour un motif valable. Les propositions, si elles aboutissaient passeraient par une modification des articles 225-95, 225-106-1, 225-77 et 225-79 du code du Commerce.
Les propositions rejetées ou reportées sine die par le collège de l’AMF
La liste des propositions rejetées est longue (14 propositions accessibles ici). Il faut retenir que le collège a écarté toutes les propositions relatives au vote à distance et aux plateformes de vote électroniques.
Interrogée par nos soin sur les raisons de ce rejet ciblé du collège, l’autorité des marchés financiers s’est réfugiée derrière son petit doigt et nous a répondu que « le Collège a considéré qu’en l’absence de consensus, certaines propositions ne pouvaient être retenues ». Faut-il comprendre que le nouveau Président de l’AMF, Robert Ophèle a refusé de trancher face aux désaccords du Collège, ou bien qu’il refuse d’endosser la responsabilité des décisions prises par le Collège ?
Les faits sont là : l’autorité a refusé d’encourager le regroupement d’actionnaires face à des émetteurs de plus en plus organisés. Alors que depuis l’été 2017, les émetteurs peuvent obtenir d’Euroclear un TPI ( liste des actionnaires de la société et actions détenues) où figurent aussi les emails des actionnaires dont disposent les teneurs de compte, l’accès à ces emails est refusé à tout actionnaire. Les émetteurs ne pourront pas non plus connaître l’identité des actionnaires non résidents, s’ils ne se dévoilent pas.
Un actionnaire est autorisé par la loi à consulter a posteriori une liste de présence à l’AG ( sans les emails), mais pas question, qu’il puisse consulter la dernière version disponible avant l’AG pour savoir quels sont les votants en présence. La proposition a été rejetée.
Il restera impossible donc pour les proxy et les associations d’actionnaires individuels de fédérer à grande échelle avant une AG ou de mettre en place un vote par procuration, sinon à grand frais ou avec le soutien de l’émetteur, ce qui l’assure de ne pas être contré. Le gendarme, conforte ainsi les organes de gouvernance des sociétés cotées et se range du côté du plus fort.
Les dirigeants des émetteurs resteront aussi les seuls à connaître le nom des actionnaires qui franchissent les seuils statutaires juste avant l’AG. Les déclarations de franchissement des ces seuils sont des informations privilégiées dont les actionnaires ne pourront toujours pas disposer.
Le collège de l’AMF a refusé également d’encourager l’installation de plate-formes électroniques sur le site de l’émetteur pour les formalités de vote, comme il a refusé de recommander à ceux-là même de créer des applications tablette ou smartphone pour aider les jeunes générations à passer de la Bourse Casino à l’actionnariat de long terme.
Enfin, ce n’est pas demain que les actionnaires pourront voter en direct par électronique, même si la loi le permet tout à fait. Le collège a refusé de l’encourager alors qu’une telle possibilité permettrait de revivifier l’actionnariat, et de lui permettre de voter en temps réel, en ayant connaissance des développements de l’AG et des réponses aux questions posées. A défaut, la commission consultative a bien proposé que des conférences téléphoniques soient organisées par la direction avec ses actionnaires avant l’AG pour les éclairer sur les résolutions qu’ils devront voter mais cette suggestion a essuyé un nouveau refus.
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Merci de ces encouragements et du soutien aux actionnaires individuels. Il est bien entendu que les petits porteurs doivent pouvoir exprimer le plus facilement et le plus massivement possible leurs votes. Ceci est aussi vrai pour les investisseurs institutionnels qui ont autant sinon plus de difficultés et qui peuvent parfois être tentés de « pactiser » avec la Direction. Voter est un droit mais savoir « qui vote quoi » devrait en être un autre. Si l’information financière délivrée aux marchés est contrôlée et diffusée assez correctement sur les marchés réglementés, il existe tout un pan de l’information extra-financière qui reste masquée sans que les autorités de marché ni le législateur n’aient la volonté de s’y opposer. Exemple : Ainsi comment être certain, alors que la loi et les réglements ne s’y opposent que très mollement voire pas du tout, que les entreprises elles-même représentées par leur dirigeant n’utilisent pas des convention de portage,… Lire la suite »
Bravo pour cet article très instructif dont je prends connaissance avec retard. Mais j’avais eu quelques échos…. Je regrette profondément que les actionnaires individuels soient si mal représentés au sein des instances technocratiques qui croient pouvoir décider de tout à la place des (supposés) incultes. Bien entendu, rien n’est fait au niveau gouvernemental pour tenter de relever le niveau des connaissances en bourse du bon peuple dont on voudrait pourtant orienter l’épargne vers les entreprises!
Quant au vote direct par internet, je ne comprend pas ce qui peut gêner, sauf mauvaise volonté. Il me paraît essentiel qu’un votant puisse écouter tout ce qui se dit en AG avant d’exprimer son vote. Donner systématiquement carte blanche au président, c’est en fait renoncer à ses droits d’actionnaires.
C’est à lui qu’il faut demander…
Pourquoi Nicolas Miguet a-t-il voulu rentrer a l’AMF sinon pour faire le ménage ?
Si ce que vous dites est probablement exact, il est difficile de mettre en doute la déontologie de ces deux journalistes qui ont fait un travail considérable, dont malheureusement le collège de l’AMF qui tranche, n’a pas retenu grand chose. Les conférences qu’ils organisent ont en tout cas le mérite de présenter aux actionnaires les sociétés cotées, et de faire la pédagogie de l’investissement en Bourse. Minoritaires.com n’a jamais cherché à faire partie de la commission consultative des épargnants de l’AMF, dont on peut se demander d’ailleurs si l’existence n’a pas pour conséquence de verrouiller la contestation en accueillant des membres, tenus par le secret. Le rôle de cette commission au sein de l’Autorité des marchés financiers, source possible de multiples conflits d’intérêts mérite réflexion. A l’instar des associations de consommateurs financées par l’Etat, il manque en France une grande association/Fédération d’actionnaires individuels, capable de produire des études et de… Lire la suite »
Bravo pour votre article.
Effectivement, le rôle de cette commission pose question.
Vous auriez pu rajouter également que M. FILIATRE et la F2IC, tirent leurs ressources financières de sociétés cotées et/ou d’établissements financiers qui les financent au travers de conférences qu’ils organisent pour leurs comptes . A ce titre, ils ne sont pas neutres et ne sont donc pas représentatifs des épargnants, ce qui les placent de fait dans une position ambiguë.
Cordialement